Le théâtre de Michel Vinaver
420 pages
Français

Le théâtre de Michel Vinaver , livre ebook

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420 pages
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Description

La poétique dramatique de M. Vinaver est abordée dans cette étude à la lumière des manifestations microstructurales du dialogisme et de la polyphonie. En effet, le dialogue vinavérien est à l'écoute des voix infimes de l'ordinaire, fondues dans des formes dérangeant l'ordre sous-jacent à la banalité du quotidien. Pour circonscrire les aspects du dialogisme et de la polyphonie, sont convoqués des concepts empruntés aussi bien aux branches de la linguistique énonciative et pragmatique, qu'à l'ancienne et la nouvelle rhétorique.

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Publié par
Date de parution 01 juin 2012
Nombre de lectures 70
EAN13 9782296493476
Langue Français
Poids de l'ouvrage 10 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Le Théâtre deMichelVinaverDu dialogismeàla polyphonie
Univers Théâtral Collection dirigée par Anne-Marie Green  On parle souvent de « crise de théâtre », pourtant le théâtre est un secteur culturel contemporain vivant qui provoque interrogation et réflexion. La collectionUnivers Théâtralest créée pour donner la parole à tous ceux qui produisent des études tant d’analyse que de synthèse concernant le domaine théâtral.  Ainsi la collectionUnivers Théâtralentend proposer un panorama de la recherche actuelle et promouvoir la diversité des approches et des méthodes. Les lecteurs pourront cerner au plus près les différents aspects qui construisent l’ensemble des faits théâtraux contemporains ou historiquement marqués. Dernières parutions Michel BOSC,Symbolisme et dramaturgie de Maeterlinck dans « Pelléas et Mélisande »,2011. Franck WAILLE (sous la dir.),Trois décennies de recherche européenne sur François Delsarte, 2011. Samar HAGE,Bernard-Marie Koltès. L’esthétique d’une argumentation dysfonctionnelle, 2011. Elise VAN HAESEBROECK,Identité(s) et territoire du théâtre politique contemporain, Claude Régy, le Groupe Merci et le Théâtre du Radeau : un théâtreapolitiquementpolitique, 2011. Françoise QUILLET,L’opéra chinois contemporain et le théâtre occidental, Entretiens avec WU Hsing-Kuo, 2011. Françoise QUILLET,Arts du spectacle, Identités métisses, 2011. Emmanuelle GARNIER,Les dramaturges femmes dans l’Espagne contemporaine, 2011. Françoise QUILLET,Le théâtre s’écrit aussi en Asie(Inde, Chine, Japon),2011. Salah EL GHARBI,Yasmina Reza ou le théâtre des paradoxes, 2010. Marjorie SCHÖNE,Les figures géométriques et arithmétiques dans le théâtre d’Eugène Ionesco, 2009. Jean VERDEIL,L’acteur et son public. Petite histoire d’une étrange relation, 2009. Stina PALM,Bernard-Marie Koltès, vers une éthique de l’imagination, 2009. e Romuald FÉRET,siècle. L’exemple de la Seine-et-Théâtre et pouvoir au XIX Oise et de la Seine-et-Marne, 2009. Johannes LANDIS,Le théâtre d’Henry Bernstein, 2009.
Marianne NOUJAIMLeThéâtredeMichelVinaver Dudialogisme àlapolyphonie
Le texte qui suit est une version remaniée d’une thèse de doctorat en cotutelle soutenue à Paris 3 sous la direction de M. le Professeur Gilles Declercq que je remercie pour ses conseils et son soutien. Ma reconnaissance va également à Mme le Professeur Nicole Chalhoub, co-directrice de la thèse, M. le Professeur Jean-Michel Adam, président du jury, et Mme le Professeur Anna Rahal. Enfin, j’exprime toute ma gratitude à chacun des membres de ma famille qui m’ont continuellement encouragée et épaulée. © L’HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-96096-1 EAN : 9782296960961
À Marc
INTRODUCTIONL’écriture théâtrale me va parce que ce sont d’autres que moi qu’elle fait parler, et parce que cette parole ne décrit pas, ne commente 1 pas, n’explique pas, mais agit.
Âgé aujourd’hui de 85ans, Michel Vinaver est l’un des auteurs privilégiés qui ont fait leur entrée, de leur vivant, au répertoire de la Comédie-Française. Après une carrière dramatique longue de plus de cinquante ans, période pendant laquelle son œuvre était demeurée insuffisamment connue du grand public, il semble actuellement, comme l’affirme l’auteur, que «le temps agit » en facilitant la réception juste de son œuvrele momentque «  parce 2 historique fait que ces textes n’achoppent plus sur les mêmes obstacles» . Preuve de cette reconnaissance, cet auteur à plusieurs égards pionnier et solitaire dans le paysage dramatique de son temps entre en février 2009 au répertoire de la Comédie-Française avecL’Ordinaire, pièce qu’il met en scène en collaboration avec Gilone Brun, après avoir obtenu le Prix Théâtre de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en 2004 et le Grand Prix du Théâtre de l’Académie française en 2006.Ayant d’abord publiéLataume(1950) etL’Objecteur(1951), deux romans parus sous l’égide d’Albert Camus aux éditions Gallimard, c’est en 1955 que Michel Vinaver se tourne vers le théâtre, avec sa première pièce,Les Coréens, écrite dans la foulée de la guerre de Corée, à l’instigation de l’une des grandes figures de la décentralisation théâtrale en France, Gabriel Monnet. Jusqu’à ses dernières pièces,11 septembre 2001(2001) etLes Troyennes(adaptée d’après Euripide, rédigée en 2003), il se livre exclusivement à l’écriture dramatique qui, déclare-t-il, est parmi les formes littéraires celle qui lui correspond le mieux. Auteur de dix-sept pièces, il a également traduit un roman d’Henry Green(Amour), adapté et/ou traduit des pièces d’Euripide (Les Troyennes), de Shakespeare (Jules César), de Thomas Dekker (La Fête du cordonnier), de Maxime Gorki (Les Estivants), de Nicolaï Erdman (Le Suicidé), de Botho Strauss (Le Temps de la chambreetViol)ainsi que le poème de T.S. Eliot,The Waste Land (La Terre vague). Par ailleurs, il a publié des écrits théoriques sur ses pièces et sur le théâtre en général, notammentÉcrits sur le théâtre(deux volumes publiés aux éditions de L’Arche en 1998) et Écritures dramatiquesSud, 2003). Dans ce dernier ouvrage collectif (Actes qu’il dirige, il aboutit, à l’issue d’analyses de fragments de pièces diverses effectuées par lui-même ou par les autres auteurs, à l’exposition d’une
3 «méthode d’approche du texte théâtrCes écrits, ainsi que plusieursal » . dossiers pédagogiques portant sur des pièces classiques et publiés dans une collection qu’il dirige chez Actes Sud, témoignent d’une réflexion continue sur les formes et les modes d’expression dramatiques d’époques etpays de différents. Cependant, pour prolifique qu’elle soit, la carrière dramatique de Vinaver a longtemps été subsidiaire au regard de son itinéraire professionnel. Né à Paris dans une famille d’émigrés juifs russes, Michel Vinaver, de son nom Michel Grinberg, part avec les siens pour les États-Unis en 1941, prévenus de l’imminence de la guerre en Europe. Il y poursuit ses études et y obtient un Bachelor of Arts en 1947, après s’être temporairement rendu en France en 1944-1945 comme engagé volontaire dans l’armée française. Ses études universitaires terminées, il rentre définitivement en France en 1947. Après s’être essayé à l’écriture romanesque avec ses deux premières œuvres, Vinaver est admis dans la société Gillette France, à la faveur d’un malentendu, se plaît-il à souligner, d’abord comme stagiaire puis nommé chef du service administratif. S’ouvre alors une phase d’une trentaine d’années pendant laquelle il mène de pair ses deux carrières (tout en gardant confidentiel son statut d’écrivain dans l’univers de l’entreprise). Période doublement productive durant laquelle il est promu en 1966 PDG de Gillette France, d’une part, et rédige, de l’autre, la majeure partie de ses pièces créées par les «grands » metteurs en scène de notre temps (Planchon, Vitez, Lassalle, Françon, etc.) : Les Coréens(1955),Les Huissiers(1957),Iphigénie Hôtel(1959),Par-dessus bord(1969),La Demande d’emploi(1971),Dissident, il va sans direetNina, c’est autre chose(1976),Les Travaux et les jours(1977),À la renverse(1979) etL’Ordinaire(1981). Ce n’est qu’en 1982 qu’il quitte Gillette pour se consacrer à l’écriture, conjuguée avec son activité de professeur (à l’Institut d’études théâtrales de Paris 3 de 1982 à 1986, puis à l’Université Vincennes-Paris VIII en 1988). Depuis, il a également écritLes Voisins(1984),Portrait d’une femme(1984),L’Émission de télévision(1988),Le Dernier Sursaut (1988),King(1998),11 septembre 2001(2001) etLes Troyennes(2003). Si nous évoquons la biographie et le double parcoursde l’auteur, c’est parce qu’ils sont indissociables de son œuvre, qui retrace de près l’évolution économique et politique des cinquante dernières années et s’ancre par ailleurs de manière très solide mais aussi très particulière dans la réalité sociale de son époque. En effet, ayant entamé sa carrière dramatique dans les années 50, Vinaver se détache d’emblée du paysage littéraire et dramatique marqué alors par les figures prééminentes du théâtre de l’absurde, Beckett, Ionesco et Adamov, d’une part, et parchantres du théâtre engagé, Sartre, Camus et les
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Brecht (dont la découverte en France provoque une vague d’enthousiasme auprès des praticiens, de la critique et des universitaires), de l’autre.Plus admissible serait son assimilation, à partir des années 70, au « théâtre du quotidien» (aux côtés d’auteurs comme Michel Deutsch et Jean-Paul Wenzel), puisque le théâtre vinavérien tient à « partir de paroles, de paroles quelconques, de paroles à l’extrême de l’ordinaire, du quelconque. La banalité dans le désordre, c’est mon point de départ, toujours, il ne peut pas y 4 en avoir d’autre». Et la banalité recelée dans les faits de l’intrigue, mais surtout dans le matériau ou le « magma » verbal traverse chez Vinaver le discours de tous les personnages, de quelque classe, profession, âge et sexe soient-ils. Le langage est au ras de la réalité; l’auteur refuse de se situer en surplomb des personnages et, sur le plan extra-scénique, des lecteurs-spectateurs. Les formes linguistiques des lieux communs, des préjugés, des sentences, des truismes, des clichés, des discours et citations inlassablement répétés et rapportés sont à cet effet autant de constituants de la pâte du magma ou de la banalité à laquelle puise le dialogue vinavérien. Alors même qu’il s’attache à la représentation du quotidien, le théâtre de Vinaver se démarque néanmoins aussi des autres poétiques dramatiques de cette tendance en développant une poétique personnelle : il nous semble en réalité que l’écriture vinavérienne se situe davantage, au niveau de ses techniques, dans la lignée de la réflexion du sémanticien et théoricien de la littérature Mikhaïl Bakhtine sur les notions dedialogismeet depolyphonie. Elle est également à replacer dans le contexte transartistique des pratiques du collage et du montage. Chez Vinaver, les formes de la « parole empruntée » et usée sont constitutives du profil du personnage, dont la parole est hantée par les discours d’autrui. L’espace du personnage et plus fondamentalement l’espace inter-personnages, moteur de l’action chez Vinaver, prennent relief à partir des chocs et des entrecroisements de ces paroles hétérogènes et indifférenciées du magma. L’auteur laisse agir ces entrelacs et entrechocs des éclats de banalité langagière, faisant ressortir leurs charges autoritaires ou persuasives par des phénomènes de « mises en relation » qui constituent le noyau à partir duquel se développent les axes et les composants majeurs de l’œuvre. C’est en ce sens également que se comprend la prédilection de Vinaver pour la parole quelconque qui se transforme en « parole-action», et cesse ainsi d’être un 5 simple « instrument» secondaire de l’action dramatique: Dès qu’on part de là, tout le travail, tout l’effort, tout le processus de création, c’est d’en arriver à ce que quelque chose se forme, se constitue, qui aboutisse à des thèmes, à des personnages, à une histoire, à une cohérence. Et à un objet finipièce. Alors bon, ce travail, ça ne une consiste pas en autre chose qu’en une mise en relations des éléments
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indifférenciés d’origine. Il faut espérer que s’établiront des connexions, des liaisons. Pas autoritairement, pas par un acte de volonté de l’auteur, ni même par un acte d’imagination, mais par la poussée de l’écriture qui ne supporte pas de rester dans l’état originel de magma. Mon écriture ressortit au domaine de l’assemblage, du collage, du montage, du tissage. C’est par ce genre de processus, en partant de ce qui est a priori inconnaissable, littéralement vide de toutintérêt, que je fais effraction dans le connaissable, dans l’intéressant. Le quotidien se constitue. Je dirai un mot de ces mises en relation, de ces liaisons. Elles sont de nature matérielleje veux dire, c’est au niveau de la matière du langage qu’elles se produisenteffets rythmiques, frottements de sons, dérapages de sens d’une phrase à l’autre, collisions déclenchant comme de mini-6 phénomènes de décharges ironiques. Dès lors, s’impose l’évidence du rapprochement entre la poétique dramatique vinavérienne et la poétique du roman polyphonique, telle que dégagée par Mikhaïl Bakhtine notamment à partir de son analyse des œuvres de Dostoïevski et de Rabelais. En effet, dans la section deLa Poétique de Dostoïevski« Le roman polyphonique de Dostoïevski et son analyse intitulée dans la critique littéraire», Bakhtine dégage deux particularités de l’écrivain russe qui ne sont pas sans rappeler les propos de Vinaver : le narrateur dostoïevskien, explique-t-il, laisse la personnalité (entendons le discours) du personnage se déployer librement, « sans y mélanger sa propre voix ni la rabaisser jusqu’à en faire une réalité psychique chosifiée. […] Il s’agit, avant tout, d’une liberté et d’une indépendance des personnages dans la structure même du roman, par rapport à l’auteur ou, plus exactement, par rapport aux 7 définitions habituelles ‘extériorisantes’ et ‘achevantes’ de l’auteur.» Deuxième caractéristique : le roman de Dostoïevski tire sa structure et son unité à partir même de la diffraction des points de vue propres aux personnages, lesquels sont eux-mêmes en proie à un conflit perpétuel entre le solipsisme et l’admission de l’altérité, représentée par les conventions sociales et par les voix particulières des autres personnages. En fait, les éléments incompatibles de la matière littéraire de Dostoïevski sont répartis entre plusieurs mondes et entre plusieurs consciences autonomes ; ils représentent non pas un point de vue unique, mais plusieurs points de vue, entiers et autonomes, et ce ne sont pas directement les matériaux, mais les différents mondes, consciences et points de vue qui s’associent en une unité supérieure, au second degré, si 8 l’on peut dire, celle du roman polyphonique.
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