Un cercueil pour scène - Mortel théâtre de Jean Genet
62 pages
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Description

S'il y a un système romanesque décelable dans l'œuvre de Jean Genet, c'est sans doute celui d'une idolation dévastatrice. Loin de prétendre au réalisme il y a chez l'auteur de Notre-Dame des Fleurs une volonté de capturer la vie non pas pour la rendre dans sa réalité enchâssée dans le tissu narratif mais pour faire de cette « distillation » l'essence même du récit.
On retrouve à l'œuvre dans ses créations théâtrales le même désir d'échapper à la reproduction fallacieuse du vrai, de la vie, qui l'amène, on va le voir, à faire de son théâtre un art qui se confond, par bien des aspects, avec la mort.

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Publié par
Date de parution 07 novembre 2018
Nombre de lectures 10
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

SERGE DOMINIQUE MÉNAGER
UN CERCUEIL POUR SCENE Mortel théâtre de Jean Genet
S'il y a un système romanesque décelable dans l'œuvre de Jean Genet, c'est sans doute celui d'une idolation dévastatrice. Loin de prétendre au réalisme il y a chez l'auteur deNotre-Dame des Fleursune volonté de capturer la vie non pas pour la rendre dans sa réalité enchâssée dans le tissu narratif mais pour faire de cette « distillation » l'essence même du récit. On retrouve à l'œuvre dans ses créations théâtrales le même désir d'échapper à la reproduction fallacieuse du vrai, de la vie, qui l'amène, on va le voir, à faire de son théâtre un art qui se confond, par bien des aspects, avec la mort.
Le théâtre de Genet est souvent caricatural. Cet aspect, loin de produire une lourdeur de l'œuvre, renforce au contraire sa démarche épurative par la simplification souvent très comique de certains personnages. Ceux-ci semblent offrir d'eux-mêmes l'image la plus traditionnelle, les poncifs les plus éculés : le nègre est puant et violent, le blanc puissant et bête. La cérémonie mise en scène dansLes Nègresest destinée à produire sous les yeux de la Cour une série de
tableaux stéréotypés illustrant blancheur et noirceur. Le costume même que revêt Monsieur Diouf est assez révélateur; la pâleur du masque de carnaval grossier qui recouvre son visage -riant avec des grosses joues rouges -, le tricot, les gants blancs (qui voilent non seulement la noirceur des mains de l'acteur mais signifient aussi un certain état d'esprit tout autant qu'une distance sociale; elle est « celle qui n'y touche pas », ou seulement avec des gants), sont autant de symboles caricaturaux de ce que représente la blancheur aux yeux des noirs, ou plutôt de ce qu'elle souhaite représenter.
Dans ses attitudes, la femme blanche tente en fait de personnifier l'essence de cette blancheur. Elle sait jouer du piano, chanter en s'accompagnant à l'harmonium, prier à genoux, peindre à l'aquarelle ou encore rincer les verres (Genet, 1958, p. 101-102). Elle est donc l'inutilité même, la superficialité poussée à l'extrême. Premier signe fatal, elle en mourra.  Les nègres, durant cette cérémonie, s'appliquent de leur côté à être ce que la Cour attend d'eux ; des êtres perfides et sournois, sombres, convoitant la femme blanche, la violant et (nous y voilà) la tuant. Ce ne sont pas seulement les caractères
des personnages mis en scène qui sont ainsi stylisés, Genet a voulu s'éloigner plus encore du réalisme en travaillant non seulement sur la caricature mais sur la technique même du jeu des acteurs. Il montre d'ailleurs à leur endroit des exigences tout à fait tyranniques. D'une violence inouïe dans ses propos, il les insulte et parle d'eux d'une manière souvent blessante, souhaitant leur faire subir des sévices et s’employant à les terroriser, menaçant même de les empoisonner (par écrit tout du moins). (Genet, 1968, p. 241) Mort, encore !
Lié à eux, prisonnier de leur interprétation, il reconduit dans sa liaison aux interprètes, le couple éternel du Criminel et de la Sainte : il y a interdépendance, impossibilité d'exister l'un sans l'autre. Genet n'est pas le premier dramaturge contemporain à mettre ainsi l'emphase sur la confusion des rôles mais, ce qu'il y a de remarquable dans sa manière de procéder, c'est qu'elle sert si bien ses desseins. Dans le roman, Genet ne s'efforçait à bâtir l'apparence de ses héros que pour un lecteur anonyme qui pouvait, somme toute, rester très extérieur aux pièges qu'il lui tendait. Intégré, égaré, trompé par le savoir-faire du dramaturge, le spectateur est emporté dans le tourbillon mortel de la
représentation, il ne saurait rester en dehors du spectacle auquel il est sommé de prendre part. Ils'y abîme. Cette entrée en force du spectateur dans le spectacle, Genet l'évoque lorsqu'il tente de redéfinir la place de celui-ci, dépeignant dans une lettre à Roger Blin le théâtre de l'avenir qui ressemble beaucoup au théâtre grec.
Le spectateur sera installé dans la salle non selon sa fortune ou son rang, mais plutôt selon sa chance et son agilité, ou encore selon sa ruse spontanée. Genet pense même que le public devrait être costumé de la manière la plus folle, afin que le maquillage, le masque ou la parure, lui soient comme un rempart en même temps qu'une disponibilité à recevoir le spectacle qu'il est venu voir, et qu'il pourra contempler comme on va admirer un tableau, s'approchant ou reculant de la peinture pour mieux choisir son point de vue (Genet, 1968, p.2l). Le public, dans sa mobilité, dans la réalité de sa masse changeante, dans sa vie donc, est un élément trop incontrôlable à son goût :
...si l'on jouait «Les Paravents », il faudrait qu'un espace fût réservé directement sur la scène, pour un certain nombre de spectateurs ayant revêtu un costume dessiné par le décorateur
(Genet, 1968, p. 22)
Première tentative de momification d'un élément trop vivant. Pourtant, Genet ne souhaite pas la mort complète de ce public, il en désire plutôt la docilité active. Il lui faut mettre de force un terme à toute possible indifférence, embarquer malgré lui le spectateur sur la galère qu'il n'était venu voir passer que depuis la tranquillité du port. Ayant ainsi montré une volonté de plier à ses désirs de mise en scène l'auditoire lui-même, on comprend aisément son souhait d'asservir les acteurs, éléments quasi insaisissables de la création théâtrale. Genet, qui ne vise qu'à la perfection de la représentation et à la construction la plus maîtrisée possible de l'image de son œuvre, se heurte à nouveau à la versatilité de la vie, à l'indocilité du matériau humain. Comment réduire ce facteur essentiellement instable à ses volontés créatrices ? Il pense y parvenir en instaurant un véritable carcan d'exigences chargé de clouer l'acteur à son rôle, à l'apparence qu'il lui a voulue. Sa démarche ne vise pourtant pas à rejeter l'acteur dans le néant pour que triomphe la pièce, Genet veut au contraire que sa beauté soit frappante.
Lorsqu'il sera happé par le vide des coulisses,
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