Une psychanalyste lit Tchékhov
179 pages
Français

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Une psychanalyste lit Tchékhov , livre ebook

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179 pages
Français

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Description

Dans cet essai, il s'agit de mettre en rapport la vie et l'oeuvre de Tchékhov, non pas pour expliquer l'oeuvre, mais en repérant les correspondances secrètes entre les expériences de sa vie et les thèmes qui traversent ses écrits avec une constance qui témoigne de leurs racines dans l'Inconscient. C'est aussi une recherche qui permet d'accompagner un écrivain qu'on aime, avec l'espoir d'en comprendre davantage sur son talent.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2010
Nombre de lectures 36
EAN13 9782296700482
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Une psychanalyste lit
TCHÉKHOV
Annie ANARGYROS


Une psychanalyste lit
TCHÉKHOV


Préface de Gilbert Diatkine
Du même auteur


TOLSTOÏ, La déchirure, Delachaux et Niestlé, 1999.


© L’HARMATTAN, 2010
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-12004-4
EAN : 9782296120044

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Préface La violence de Tchékhov
Presque toutes les pièces de Tchékhov se terminent par un suicide. La Cerisaie se termine seulement par l’enfermement de Firs, le vieux serviteur oublié dans la maison de campagne abandonnée, mais le traumatisme de l’enfant noyé hante tous les personnages du drame. Nous associons plus volontiers l’œuvre de Tchékhov à la nostalgie qu’à cette dépression meurtrière que les psychiatres appellent la mélancolie. Annie Anargyros nous montre pourtant comment toute l’œuvre de Tchékhov, non seulement le théâtre, mais aussi les nouvelles, est infiltrée par une violence secrète. Tchékhov en était bien conscient: « …tous les actes se déroulent doucement, tranquillement, mais à la fin je tape sur la gueule du spectateur »
Pour le montrer, l’auteur use d’une méthode psychanalytique dont le secret lui vient de Proust : une véritable œuvre d’art donne toujours à son lecteur ou à son spectateur le moyen de « lire en soi-même ». Dans le cas d’un analyste, l’œuvre d’art lui permet de poursuivre son autoanalyse. Il peut ensuite faire partager au public la meilleure compréhension qu’il a obtenue de l’œuvre. La pensée d’Annie Anargyros court associativement d’une donnée biographique à une pièce, d’une pièce à une nouvelle, d’un conte à un aspect de la société Russe pré-révolutionnaire, de Tchékhov à Tolstoï puis à Kafka, et il en naît un éclairage nouveau de l’œuvre.
Les biographes de Tchékhov ont bien décrit ce que l’on appellerait aujourd’hui la maltraitance dont Tchékhov a été victime dans son enfance de la part de son père. Annie Anargyros la replace dans son contexte, qui est celui de l’abolition toute récente du servage. Dans la Russie du XIXe siècle, comme dans le reste de l’Europe, il était normal de battre les enfants. Mais de plus, on battait les serfs. Tchékhov a intériorisé cette violence et l’a transformée. Il s’est interdit toute manifestation extérieure de violence et est ainsi devenu au contraire un adulte particulièrement tolérant et respectueux d’autrui. Mais une partie de cette agressivité a été retournée contre lui-même, ce qui explique les fréquents accès de dépression qu’il a subis.
Ceux-ci ne duraient jamais longtemps, car il a découvert très tôt contre eux un remède d’une extrême efficacité : la création. Comme beaucoup d’artistes, il a été soumis à une véritable compulsion à écrire, au point de trouver absurde l’injonction qu’il se donnait à lui-même d’écrire sans cesse. La relation étroite que la création entretient avec l’humour chez Tchékhov nous fait entrer dans l’intimité de son processus créateur. On s’étonne d’apprendre que Tchékhov considérait La Cerisaie comme une farce, de même que Kafka était pris de fou-rire en lisant Le Château à ses amis. Freud, dans L’humour, montre que le surmoi de l’humoriste regarde de haut le moi en proie à ses malheurs, devenus minuscules. De même, l’enfant adopte une semblable position de surplomb, quand, avec deux trombones et un bout de ficelle, il invente une petite scène de théâtre où il fait vivre à des rois et à des reines des drames dérivés de ceux que vivent ses parents dans la vie réelle. Le créateur adulte n’a pas perdu cette capacité qu’ont les enfants de transformer en histoires intéressantes les désastres de l’existence.
Tchékhov a transformé sa dépression en rire, et par là-même, il a pu renverser la situation de soumission humiliante dans laquelle son père l’avait maintenu durant toute son enfance. Tout en poursuivant ses études de médecine, il écrit sans relâche de courts récits humoristiques qui sont très vite publiés, et grâce auxquels il tire sa famille de la misère dans laquelle l’imprévoyance du père l’avait plongée. Dans la nouvelle Le père, c’est un fils qui donne de l’argent au père prodigue, comme Tchékhov a subvenu aux besoins de sa famille à la place de son père. Ce renversement est précédé d’un temps d’homosexualité inconsciente. La trace s’en retrouve dans la relation que Tchékhov a longtemps entretenue avec son protecteur Alexei Souvorine. Ce fantasme homosexuel se double d’un masochisme inconscient, sublimé en un dévouement inouï. Tchékhov se dépense sans compter pour venir en aide à sa famille et à ses amis. Il crée plusieurs écoles à ses frais pour les moujiks, participe activement sur le terrain à la lutte contre la famine et le choléra. Alors que sa tuberculose est déjà très avancée, il entreprend un voyage à travers la Sibérie, au risque de sa vie, pour enquêter sur les conditions de détention des bagnards de Sakhaline, et obtenir une réforme du système pénitentiaire Russe. Dans Salle N°6, le masochisme du héros, le psychiatre Raguine le pousse à prendre la place de ses malades, et à ne se sentir heureux que lorsqu’il est lui-même soumis aux mauvais traitements des soignants sadiques.
Ce mouvement masochiste passe par une identification inconsciente de Tchékhov au masochisme de sa mère. De même qu’il s’est identifié à son père violent en en prenant le contre-pied et en devenant généreux, respectueux des autres, et capable d’indiquer à tous le bien et le mal, de même, il s’est identifié à sa mère épuisée en devenant, au contraire, une mère inépuisable, surabondante, et capable d’engendrer sans cesse de nouveaux personnages. Dans son triomphe masochiste, Tchékhov se tue à force de travail, mais possède la maison avec son contenu, les invités, les frères et surtout la sœur, condamnée au célibat pour se dévouer à lui. Tous sont réduits à une totale dépendance envers lui, y compris le père qui a été autrefois si redoutable. En lisant ce livre, nous pouvons comprendre l’impression si poignante produite par la dernière scène de La Cerisaie, l’enfermement du vieux Firs, oublié dans la maison vendue aux enchères : Firs est l’image du père enfermé dans la maison, réduit à l’ombre de lui-même.
Cette résolution tout à fait particulière de son conflit œdipien mène toutefois Tchékhov à une impasse dans sa vie personnelle. Beaucoup de personnages de son œuvre s’y heurtent également: il lui sera impossible de vivre avec une femme et d’en avoir des enfants. Il ressent la vie de famille comme une menace mortelle pour sa créativité. Tout se passe comme si faire des enfants à une femme en tant qu’homme pouvait porter atteinte à sa capacité à créer lui-même une multitude d’enfants imaginaires. Tchékhov s’est identifié « en contre » à ses deux parents, mais non pas à chacun d’eux en tant que partenaire d’un couple sexuel. C’est pourquoi Annie Anargyros peut dire de lui qu’il n’a pas fait le deuil de ses objets parentaux : il les a perdus et incorporés séparément, mais pas en tant que couple sexuel. Ce n’est que proche de la mort qu’il acceptera de se marier, et encore à la condition de ne rien changer à son mode de vie solitaire.
Les maisons de campagne somptueuses qu’il a achetées et aménagées avec soin pour accueillir parents et amis et qui sont représentées dans la plupart de ses pièces, se transforment dans son fantasme en des prisons remplies de parasites, qu’il lui faut fuir d’urgence, dans des voyages au loin, malgré son état de santé déplorable. L’obtention de l’objet désiré transforme celui-ci en piège (« je me sens comme une écrevisse prise dans un filet avec d’autres écrevisses » dit-il pour décrire sa maison de campagne devenue invivable).
Les comparaisons entre Tolstoi et Tchékhov (entre Une banale histoire et La mort d’Ivan Ilich ), puis entre Kafka et Tché

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