Voyage sentimental à travers la France et l Italie
99 pages
Français

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Voyage sentimental à travers la France et l'Italie , livre ebook

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Description

Extrait : "Oh ! ce sujet, dis-je, se traite avec bien plus de méthode en France. - Quoi ! Vous auriez vu la France ? répliqua mon interlocuteur avec vivacité en se tournant vers moi de l'air le plus civil et le plus triomphant. - Etrange prérogative, me dis-je à moi-même, que donne aux gens une traversée de vingt et un milles maritimes !"

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Nombre de lectures 58
EAN13 9782335028041
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0006€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

EAN : 9782335028041

 
©Ligaran 2015

Voyage sentimental
« Oh ! ce sujet, dis-je, se traite avec bien plus de méthode en France.
– Quoi ! vous auriez vu la France ? répliqua mon interlocuteur avec vivacité en se tournant vers moi de l’air le plus civil et le plus triomphant.
– Étrange prérogative, me dis-je à moi-même, que donne aux gens une traversée de vingt et un milles maritimes ! car il n’y a absolument que cette distance de Douvres à Calais. Allons ! c’est ce qu’il faudra voir par moi-même. »
Je termine brusquement la dispute. Je vais droit chez moi, j’assemble à la hâte six chemises et une culotte de soie noire. « L’habit que j’ai sur moi peut encore passer », dis-je en jetant un coup d’œil sur chaque manche.
Je retiens une place pour Douvres, et le paquebot partant le lendemain à neuf heures du matin, je me trouve sur les trois heures en face d’une fricassée de poulets, apprêtée pour mon dîner, et si incontestablement assis en France que, si une indigestion m’eût emporté pendant la nuit, rien au monde ne pouvait défendre mon petit bagage des invasions du droit d’aubaine . Chemises, culotte de soie noire, porte manteau, tout enfin devenait la propriété du roi de France ; je n’en excepte pas même ton portrait, Éliza ; cette miniature si chère que je porte depuis si longtemps, et que je t’ai juré tant de fois d’emporter au tombeau. On l’eût arrachée de mon cou : usage barbare ! Quoi ! ravir la dépouille, saisir les débris de l’étranger imprudent que vos sujets ont appelé sur leurs côtes ! Oh ! parbleu, Sire, cela n’est pas bien ! et ce qui me peine le plus, c’est d’adresser le reproche au monarque d’un peuple si courtois, si poli, si renommé pour la délicatesse de ses sentiments. Eh ! vous le voyez bien ; à peine ai-je reposé mon pied sur votre territoire !

Calais
J’avais fini mon dîner par une rasade à la santé du roi de France, et venais de m’assurer que, loin de lui garder rancune, je professais au contraire une haute estime pour sa personne et l’humanité de son caractère ; je me levai de table plus haut d’un pouce par l’effet seul de cette réconciliation. Non, les Bourbons, ajoutai-je, ne sont point une cruelle race. On peut les égarer sans doute comme le reste des mortels ; mais il y a de la douceur dans le sang de cette famille. En faisant cet aveu, une rougeur de l’espèce la plus bénigne vint tapisser mes joues, avec une chaleur si suave, que le bourgogne (de deux livres la bouteille pour le moins) que j’avais bu à mon dîner n’eût jamais pu produire un épanchement aussi ami de l’homme.
« Juste ciel ! m’écriai-je en rangeant de côté ma valise avec le bout de mon pied ; parmi les biens de ce monde, qu’est-ce qui peut donc ainsi aiguiser nos animosités, et faire trébucher si cruellement dans les sentiers de la vie tant d’hommes appelés à y vivre avec fraternité et bienveillance ? »
Quand l’homme est en bonne intelligence avec ses semblables, le plus lourd des métaux acquiert dans sa main la légèreté d’une plume. Sa bourse n’est plus comprimée par la défiance ; elle se joue entre ses doigts ; ses regards se promènent autour de lui, comme pour chercher avec qui la partager. C’est ce que je faisais moi-même en ce moment : un sang plus fluide se dilatait dans mes veines, mes artères battaient avec harmonie, toutes les puissances de mon âme remplissaient leurs fonctions vitales par un frottement si léger, que la précieuse de France la plus physicienne en eût été confondue. En dépit de son matérialisme, je n’eusse plus paru à ses yeux une simple machine. « Je suis sûr à présent, me dis-je, de bouleverser toute sa doctrine. » Cette idée additionnelle porta mon exaltation naturelle aussi haut que possible ; je m’étais mis en paix avec l’univers avant que cette pensée me fût venue : elle acheva le traité commencé avec moi-même.
« Quel moment ! Si j’étais roi de France, oh ! quel moment pour l’orphelin qui aurait à me redemander le porte manteau de son père. »
Le moine

CALAIS
Comme j’achevais ces mots, un pauvre moine mendiant, de l’ordre de Saint-François, se présenta dans ma chambre, demandant l’aumône pour son couvent.
Personne n’est flatté de voir ses vertus devenir ainsi le jouet d’un caprice du hasard. Un homme peut bien être généreux avec la même liberté qu’un autre est puissant. Sed non, quo ad hanc . Il en sera du reste ce qui pourra, car il n’est pas aisé de raisonner avec justesse sur le flux et le reflux de notre humeur ; rien n’empêche même d’en rechercher l’origine dans la cause même qui influe sur les marées, et ce ne serait pas insulter à la nature humaine que de croire qu’il en est ainsi. Je sais bien, pour mon propre compte, que j’aimerais mieux en plus d’un cas voir le monde attribuer certains de mes procédés à l’influence immédiate de la lune, ce qui ne peut jamais présenter l’idée d’une faute accompagnée de honte, que de voir mettre sur le compte de ma réflexion un acte qui ne peut souvent m’être réputé personnel sans devenir aussi honteux que répréhensible. Je le répète, il en sera ce qui pourra ; mais, du moment où je jetai les yeux sur le moine, je me sentis déterminé à ne pas lui donner un simple sou. En conséquence, je remis ma bourse à ma poche, que je fermai avec le bouton ; puis, me rappelant un peu sur mon centre, je m’avançai vers lui avec gravité. Il y avait aussi, je le crains bien, quelque chose de sévère dans mes regards ; et, comme j’ai encore cette figure suppliante devant mes yeux, je confesse qu’elle offrait des traits dignes d’un meilleur traitement.
Si on en juge par la tonsure qui occupait tout le sommet de sa tête, ou d’après ces tempes à peine ombragées du peu de cheveux gris qui lui restaient encore, le moine pouvait avoir soixante-dix-ans ; mais en voyant ses yeux encore pleins d’un reste de feu plus tempéré par l’habitude des prévenances que par la glace des années, je ne lui en trouvai plus que soixante. La vérité est probablement dans le juste milieu, il avait sûrement soixante-cinq ans. Son air, sa contenance, je ne sais quoi de morose qui semblait avoir amené des rides prématurées : tout confirmait mon observation.
C’était une de ces têtes si souvent reproduites sous le pinceau du Guide, douce, pâle, insinuante, dégagée de ces lieux communs que l’ignorance présomptueuse prend pour des idées, et qui s’annoncent assez par la direction abjecte des regards. Les siens n’avaient rien d’oblique ; il les jetait avec sérénité au-devant de son front, comme s’il eût entrevu quelque chose au-delà des limites de ce monde.
Comment l’ordre des mendiants put-il faire une semblable recrue ? Il n’y a que Dieu qui sache cela, lui qui destinait cette tête à parer les épaules d’un moine. Elle eût bien certainement fait honneur à un bramine ; et, dans les plaines de l’Indostan, elle eût sûrement attiré ma vénération. L’esquisse des autres contours demande à peine quelques coups de pinceau et pourrait être l’ouvrage du dessinateur le plus vulgaire ; car ils n’offraient d’autre élégance que celle du caractère et de l’expression ; des formes grêles, maigres ; une taille au-dessus du commun, et qui eût eu de la majesté sans la courbure des vertèbres et la projection de la figure. Après tout, c’était le maintien de la supplication, et comme le moine est encore présent à mon imagination, il gagne plus qu’il ne perd à cette attitude.
À peine eut-il fait trois pas dans la chambre, qu’il s’arrêta, sa main gauche posée sur sa poitrine, et la droite appuyée sur un bâton léger, le bâton blanc du voyage. Lorsque je me fus approché de lui, il me fit, par forme d’introduction, tout le menu détail des besoins de son couvent, et en général de l’indigence de son ordre. Il mit dans son récit tant de simplicité et de grâce, la teinte de la déprécation répandue dans ses regards et sur toute sa physionomie offrait des nuances si touchantes, qu’il fallait être ensorcelé pour se défendre d’une vive émotion.
Une meilleure raison que tout cela, c’est que j’étais déterminé à ne l’assister de rien, pas mê

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