Le règne de la Technique se développe sur lensemble des domaines de la vie sociale, y compris sur celui de la prévention des risques. Les solutions préventives développées relèvent dune pensée de lingénierie qui se substitue à dautres manières dappréhender les dangers. La plupart des solutions sopposent à des pratiques de précautions traditionnelles. Ce clivage entre ingénierie et cultures peut compromettre les résultats escomptés de politiques de prévention des risques dont le fondement technique puise désormais sa source dans la raison scientifique. Ingénieries et sciences humaines. La prévention des risques en dispute vise à démontrer ce problème à travers trois exemples. Le premier traite des usages des consommateurs de gaz domestique. Alors que les distributeurs souhaitent la rationalisation de ces usages sur un mode instrumental pour accroître la sécurité dans lunivers domestique, et améliorer ainsi limage du produit, les usagers construisent leur propre manière déviter les accidents. Le deuxième a trait au rôle de la vidéosurveillance dans les espaces publics. Il est montré que tout appareil technique sinscrit dans une action collective, quil la transforme. Le troisième reconstitue lhistoire du « facteur humain », notion qui accompagne la technicisation du travail humain et qui désigne aussi bien un terrain à conquérir par la technique quun lieu de refuge pour la subjectivité menacée. Cette dispute entre ingénieries et sciences humaines pourrait permettre une prise en compte pluridisciplinaire de la prévention des risques.
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Dominique Pécaud Maître de conférences en sociologie à l’École polytechnique de l’université de Nantes Responsable du pôle Risques et Vulnérabilité de l’Institut de l’Homme et de la Technologie à Nantes
11, rue Lavoisier 75008 Paris
Dans la même collection série « Notes de synthèse et de recherche » Modélisation dynamique des systèmes industriels à risques Maîtrise des risques et sûreté de fonctionnement : repères historiques E. Garbolino, J.-P. Chéry, F. Guarnieri, 2010et méthodologiques A. Lannoy, 2008 Introduction à la sécurité économique La défense en profondeur – Contribution de la sûreté nucléaire G. Pardini, 2009 à la sécurité industrielle Retour d’expérience et maîtrise des risques – Pratiques et méthodes E. Garbonlino, 2008 de mise en œuvre Le cadre juridique de la gestion des risques naturels J.-L. Wybo, W. Van Wassenhove, 2009 V. Sansévérino-Godfrin, 2008 Cadre juridique de la prévention et de la réparation des risques Les plans de prévention des risques : la prévention des risques professionnels majeurs par la maîtrise de l’usage des sols P. Malingrey, 2009 G. Rasse, 2008 Pratiques de prévention des risques professionnels dans les PME Risques et enjeux de l’interaction sociale C. Martin, F. Guarnieri, 2008 J.-M. Stébé, 2008 Maîtriser les défaillances des organisations en santé et sécurité du Retour d’expérience et prévention des risques – Principes travail – La méthode TRIPOD et méthodes J. Cambon, F. Guarnieri, 2008 W. Van Wassenhove, E. Garbolino, 2008 série « Références » La psychologie du risque L’expertise : enjeux et pratiques J.-P. Assailly, 2010 K. Favro, coord., 2009
La ville au risque du ghetto Introduction à l’analyse probabiliste des risques industriels H. Marchal, J.-M. Stébé, 2010 H. Procaccia, 2009 Aide à la décision et expertise en gestion des risques Le syndrome de vulnérabilité M. Merad, 2010 J. Bouisson, 2008 Traité du risque chimique Les fondements des approches fréquentielle et bayésienne. N. Margossian, 2010 Applications à la maîtrise du risque industriel Risque environnemental et action collective. Application H. Procaccia, 2008 aux risques industriels et d’érosion côtière dans le Pas-de-Calais La politique de sécurité routière – Derrière les chiffres, des vies O. Petit, V. Herbert, coord., 2010 J. Chapelon, 2008 Risques et territoires — Interroger et comprendre la dimension locale La catastrophe AZF – L’apport des sciences humaines et sociales de quelques risques contemporains T. Coanus, J. Comby, F. Duchêne, E. Martinais, coord., 2010 G. de Terssac, I. Gaillard, coord., 2008 série « Innovations » Anticipation, innovation, perception : des défits pour la maîtrise des Réduire la vulnérabilité des infrastructures essentielles – Guide risques à l’horizon 2020 méthodologique B. Robert, L. Morabito, 2009 P. Kahn, A. Lannoy, D. Person-Silhol, D. Vasseur, 2010 Climat et risques : changements d’approches Le risque inondation. Diagnostic et gestion D. Lamarre, 2008 F. Vinet, 2010 Sociologie d’une crise alimentaire : les consommateurs à l’épreuve La santé au travail à l’épreuve des nouveaux risques de la maladie de la vache folle N. Dedessus-Le-Moustier, F. Douguet, coord., 2010 J. Raude, 2008 Les paradigmes de la perception du risque La réduction de la vulnérabilité des PME-PMI aux inondations C. Kermisch, 2010 P.-G. Mengual, 2008
Le débat public, un risque démocratique ? L’exemple de la mobilisation autour d’une ligne à très haute tension D. Boy, M. Brugidou, coord., 2009
série « Débats » Violences routières – Des mensonges qui tuent C. Got, 2008
Ingénieries et sciences humaines – La prévention des risques en dispute
et sociale et à hiérarchiser des mesures de prévention. Qui désigne ces dangers comme tels, qui en décrit les particularités réelles, qui en fixe la charge physique et symbolique ? Comment et par qui la connaissance ainsi constituée est-elle diffusée et prise en compte ?
À partir de trois illustrations, nous avons cherché à regarder ces dangers à partir des effets immédiats ou retardés, directs ou figurés, qu’ils provoquaient sur la vie sociale.A contrario,avons essayé de comprendre comment des nous rapports sociaux pouvaient se construire à travers la manipulation physique et imaginaire des dangers que suppose la mise en œuvre de politiques de préven-tion. Nous nous sommes donc intéressés à tout ce qui participait à la construction 1 sociale des dangers, notamment à l’organisation heuristique et politique des pratiques d’évaluation des risques. Les méthodes issues de la pensée de l’ingé-nierie sont apparues d’importance. Elles contribuent à fixer la manière dont les dangers sont pris en compte par les groupements humains, et la manière dont vont être justifiées des formes de lutte que ces mêmes groupements entreprennent pour les éradiquer ou pour les éviter.
Dans tous les cas, la définition des dangers et de la prévention des risques qu’ils représentent relève des situations de la vie sociale. Nous avons distingué au moins trois univers. L’univers de la prévention des risques est caractérisé par la multiplication d’injonctions instrumentales reposant sur l’existence de corpus 2 de connaissances valides scientifiquement . L’univers des précautions recouvre une multitude de rites et de pratiques signifiantes collectivement, en lien avec des représentations plus ou moins stables décrivant lemonde vécu. Enfin, l’univers de 3 lapréservation de soi comme de celle des autres est centré sur la construction
1. La plupart du temps, quand nous ferons référence à la notion de politique, nous désignerons la dimension pratique de l’organisation de l’action collective plus que le projet idéologique de cette organisation. 2. Ces connaissances valides scientifiquement fournissent descertitudes explicativespropos à de tel ou tel phénomène constaté. 3. Référence à la pensée de Ricœur (1990) concernant la construction de l’identité personnelle. Pour le philosophe, cette identité se manifeste et se construit à travers et selon trois dimensions : l’identité-idemcorrespond à un ensemble de dispositions psychosociales par lesquelles une personne est reconnue comme étant la même ici et maintenant dans un temps social. C’est une identité stable à laquelle correspondent des manières d’agir, de penser et de sentir socialement et culturellement disponibles pour permettre sa construction ; l’identité-ipseest une identité en train de se constituer. C’est la parole donnée à autrui qui engage la personne dans une perma-nence ; enfin, l’identité narrativecorrespond à la capacité de mettre en récit de manière cohé-rente les événements de sa propre existence. Elle se construit dans la reconstitution significative, pour soi comme pour les autres, de sa propre existence. La notion depréservation de soi comme celle des autresfait référence aux travaux de P. Ricœur (1990), mais aussi à ceux de Foucault (1984, p. 56-58) et de Weber (1995, p. 28-29 et p. 58sq). À Ricœur, nous avons emprunté les intentions qu’il énonce à propos de l’identité : lesoiindique le mouvement de réflexion sursoi, constitutif de toute construction identitaire ; il n’est pas obli-gatoire pour définir l’identité de faire l’hypothèse de sa permanence temporelle. L’identité peut seulement être envisagée en référence à l’autre, par différenciation desoiet de l’autre; de plus, la référence à l’autreune référence à l’obligation de l’ est autre dans la construction desoi. À Foucault (1984), nous empruntons l’idée selon laquelle la notion d’individualisme peut recouvrir des registres différents de la vie sociale : valeur attribuéeà « l’individu dans sa singularité »; « valorisation de la vie privée »définie à travers «l’importance reconnue aux relations fami-
d’identités et sur la manifestation de solidarités mises en scène formellement et symboliquement. Ces univers se distinguent au titre de pratiques sociales et de représentations dumonde vécuAucun d’entre eux n’est exclusif des différentes. autres.
Les sciences de la nature participent à leur façon à la construction de ces univers et à la justification des pratiques destinées à identifier les dangers et à s’en préserver. Très présentes dans l’univers de la prévention, elles ont tendance à s’estomper dans les deuxautres, saufpeut-être dans celui des précautions où elles peuvent apparaître comme des représentations particulières.