Les pieds dans le vide
101 pages
Français

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Les pieds dans le vide , livre ebook

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101 pages
Français

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Description

"Comment ai-je pu te laisser tomber ?" se demande cette célibataire coupée en deux par la mort de son fils unique, adopté au Sénégal à l'âge de quatre mois et qui s'est défenestré vingt-cinq ans plus tard. Ce récit poignant, empreint d'humanité, livre l'introspection douloureuse d'une mère qui veut essayer de comprendre, pour avancer, pour accepter. Elle souhaite faire entendre ce témoignage sur la difficulté à se construire que rencontrent certains enfants nés sous le secret et adoptés dans un pays d'une autre culture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 31
EAN13 9782296699762
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LES PIEDS DANS LE VIDE
© L’Harmattan, 2009
5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librakieharmattan. com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11971-0
EAN : 9782296119710

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Franca Deumier



LES PIEDS DANS LE VIDE

Le lâcher prise d’un adopté sans filiation
A toi, mon fils

A tes amis :
Jarod, Nike, Doc-dimac,
Ross/juju, Doblar, Mobi one,
Ketut, Horia, Leila, Fatiha,

et tous les autres


« Ma vie, c’est ma vie. A chacun sa vie ! » Christophe, 4 ans
Prologue
Il y a plus de trente ans, j’ai voulu écrire un livre qui commençait ainsi : une jeune femme, au volant de sa Renault 5, tourne depuis des heures sur le périphérique parisien, enfermée dans sa bulle, sans penser, sans rien voir, dans un ronronnement sans fin. Illustrations assez fidèles de mon état d’esprit depuis l’adolescence, cette distanciation, ce désenchantement me valaient, dans les enquêtes de personnalité chères aux magazines féminins, le conseil de ne pas passer trop près d’un étang à la nuit tombée de peur que je m’y jette dedans. Le livre n’est jamais sorti… du périphérique. Pas assez d’imagination, ni de talent. Je ne suis pas un écrivain. Cela, on le découvre tout petit, on l’a dans la tête tout le temps, on ne le devient pas. Pourquoi, alors, ce livre aujourd’hui ? Je devais exorciser le terrible, l’impensable, la mort de mon fils unique adoré. Un jour, on m’a mis dans les bras un petit être tout chaud, bien noir, vif et potelé de quatre mois. Vingt-cinq ans plus tard, il s’est laissé, je l’ai laissé, tomber sur le maudit pavé d’une courette triste. Un immense gâchis.
Et alors, de quoi est-ce que je me plains ? Ne l’ai-je pas voulu sa mort, peut-être, quand je me répétais, au bout du rouleau : « Ah ! S’il pouvait passer sous un autobus !… » ? Comme cela, fini d’un coup, plus de peur, plus d’angoisse, ni pour l’un ni pour l’autre, plus de culpabilité, ni pour l’un ni pour l’autre. Pas le temps de se rendre compte. Le destin qui décide pour nous. La fatalité. Mais pas ça ! Pas qu’il se laisse tomber ainsi. Des mois à s’y préparer peut-être, des heures à chercher une autre solution, et cette petite seconde avant de choisir de basculer dans le vide, cette effroyable solitude. A cela il me faudra survivre. Y arriverai-je ? Comment moi, sa mère, n’ai-je pas su le protéger, pas réussi à le comprendre ? Pourquoi suis-je restée campée sur mes certitudes, mes références, mes réflexes de fille de bonne famille, bonne élève, inconnue des services de police, ouverte, tolérante, et tout et tout, mais jamais au diapason d’un gamin hypersensible, buté et paumé ? Pourquoi ai-je attaché tant d’importance à des choses pour lui secondaires et suis-je passée à côté de ce qui, pour lui, était sans doute essentiel ? Je n’étais pas préparée, on ne m’avait pas donné les codes. L’amour n’a pas suffi.
Pourtant il en avait, mon fils, des possibilités d’avenir, des chances de réussir, des atouts pour plaire ! Cela me désespère de penser qu’entre nous deux il y a eu maldonne au départ, que nous nous sommes rencontrés mais jamais vraiment trouvés. Et de me dire qu’il aurait pu, qu’il aurait mérité de tomber sur une famille capable de le comprendre. Christophe détesterait que l’on parle ainsi de lui à tout le monde, mais j’avais besoin de mettre des mots pour continuer à le faire vivre, pour ne plus souffrir dans le vide. Ce livre, je l’ai écrit avant tout pour tenter de m’expliquer ce qui s’est passé, pour avancer, pour accepter. Mais aussi pour témoigner. Tout ce qui se dit plus loin ressort tel que gravé dans mon souvenir. Les personnes qui ont côtoyé mon fils de près ne le reconnaitront pas nécessairement dans ce regard rétrospectif, car la mémoire peut se montrer parfois très subjective, occulter, transformer, enjoliver ou au contraire noircir, atténuer ou bien forcer le trait. J’ai seulement voulu exprimer ici ma vérité sur notre vie commune, sur notre naufrage commun.
Je n’étais sans doute pas la mère idéale
Seule pour t’élever… Nerveusement fragile…
Laxiste face au racisme… Peu douée pour te comprendre
Il est où papa?
Christophe, 18 mois

Tu commences à peine à baragouiner quelques mots quand un soir, assis sur mes genoux, tu sors une vraie phrase, claire, précise, qui me cloue sur place : «Il est où papa?». Ce mot, je ne l’ai jamais prononcé devant toi auparavant, j’ignore même si tu sais ce qu’il veut dire exactement. Prise de court, je balbutie : «Y a pas de papa!», ce qui clôt aussitôt le débat. La réponse ne doit pas te satisfaire, j’imagine, mais elle a au moins le mérite de ne pas tourner autour du pot. Elle est en tout cas meilleure que les minables explications données par la suite. Par exemple : «Tu n’as pas de papa, parce que je ne me suis pas mariée». Non mais vraiment! Quel rapport un enfant peut-il trouver entre l’absence d’un père et le mariage de sa mère!
Ma plus lourde responsabilité reste de t’avoir privé, en t’adoptant, de la possibilité de grandir aux côtés d’un père. Les nourrissons adoptables de sexe masculin étant rares – on abandonne plus souvent les bébés filles – tu aurais été, sans problème, accueilli par un couple. Or moi, à trente-six ans, quand débutent mes démarches, je suis toujours célibataire. Pourquoi ? Difficile de répondre à cette question sans une bonne dose de mauvaise foi, sans accuser le hasard, la malchance, la maladie de mes parents. Pour être tout à fait honnête, l’histoire de ma vie affective remplirait à peine une page de ce livre. Jusqu’à dix-huit ans, je vis sans histoire, plutôt heureuse, entourée de copines fidèles qui me suivent de la balle-au-prisonnier au baccalauréat (et que je vois encore cinquante ans plus tard). Je partage avec elles une existence bien protégée dans un milieu très homogène – bourgeoisie chrétienne, école privée non mixte – où l’on ne se pose surtout pas de questions. A dix-neuf ans, timide, pas très bien dans mon corps, me voilà débarquée toute seule, en pleine guerre d’Algérie, dans le grand foutoir universitaire parisien. Sans transition et sans protection. Aussi mal à l’aise parmi les étudiants fauchés et communistes de l’Institut de Géographie qu’avec les petits bourgeois réacs de la Fac de Droit. Ecoutant avec la même incompréhension les premiers raconter des histoires de paras détruisant les villages kabyles aux lance-flammes et les seconds scander «Algérie Française!».
Paumée, sans opinion, sans identité, je traverse alors un désert affectif total entre mon père qui s’enferme dans la maladie et les angoisses terribles de ma mère ; mon frère et ma sœur se sont mariés et ont quitté Paris. Physiquement j’ai une certaine classe, avec mon profil grec, mes yeux et mes cheveux très noirs, et on me trouve plutôt bien fichue même si je me tiens voûtée pour tenter de dissimuler des seins trop volumineux à mon goût. Mais très bloquée, très cérébrale, trop exigeante aussi sans doute, j’intimide ceux qui n’essaient pas de percer la cuirasse. De petites phrases assassines, attrapées au vol, me font un mal de chien et écornent un peu plus mon manque de confiance en moi, surtout lorsqu’elles émanent d’hommes que j’apprécie. Comme cette remarque, lors d’une séance photo, devant une diapo qui montrait une falaise abrupte : « Tiens, on dirait F. ! ». Ou encore, lors d’un échange entre collègues de bureau : « Elle ? Se faire du mauvais sang pour quelqu’un ou quelque chose ? Alors là, ça m’étonnerait ! ». Et avec cela, une déveine incroyable ! : les garçons qui me plaisent ne me regardent pas, ceux qui s’attachent à moi ne m’intéressent pas. Avec J.-Y., je commence à vivre. Et à souffrir beaucoup. Il préfère les femmes mûres, divorcées, désemparées. Moi, je suis sans histoire, après dix ans de jachère. Les autres aventures m’apprennent, par la suite, à prendre du recul pour éviter les cicatrices. A force d’aimer très fort ceux qui m’aiment seulement bien, une solide carapace s’est formée qui me protège. Au prix d’un gros déficit de complicité et de tendresse.
Ne me crois pas malheureuse pour autant, mon fils. Pendant toutes ces années, je voyage beaucoup et collectionne des souvenirs inoubliables, comme ces nuits passées dans un hamac sur le Rio Branco en Amazonie ou au milieu des nonnes dans un monastère bouddhiste japonais, les ragoûts de crabes dégustés sur la plage de corail d’un motu en Polynésie, les plongées en bouteilles pour ramasser des éponges le long des îles g

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