Les femmes dans les discours fréristes, salafistes et féministes islamiques
249 pages
Français

Les femmes dans les discours fréristes, salafistes et féministes islamiques , livre ebook

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Description

Quelle est la place des femmes, au sein des espaces privé et public, dans les discours des acteurs fréristes et salafistes et quelles sont leurs positions respectives à propos du voile ? La présence d'actrices féministes islamiques, intervenant au sein de la mouvance frériste, engendre-t-elle une remise en question des postulats véhiculés par les acteurs religieux ? À partir d'une recherche de terrain, Leïla Tauil répond à ces questionnements qui s'avèrent d'une grande actualité.

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Publié par
Date de parution 18 mars 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9782806110671
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Leïla Tauil
e n c h a n g e m e n t Les femmes dans les discours fréristes, salafistes I s l a m s et féministes islamiques
U n e a n a l y s e d e s r a p p o r t s d e f o r c e g e n r é s
Islams en changement
Collection dirigée par Felice Dassetto, en collaboration avec la direction du Cismoc (UCL)
Cette collection vise à présenter et difuser auprès d’un large public des travaux portant sur l’islam avec une attention par-ticulière aux changements en cours dans le monde contem-porain. Les textes sont issus de recherches universitaires, de mémoires de maîtrise ou de colloques particulièrement originaux pour le terrain étudié, la capacité interprétative ou leur apport de synthèse. Les travaux présentés proviennent de domaines disciplinaires divers : anthropologie, sociolo-gie, psychologie, droit, sciences politiques, sciences des reli-gions, islamologie.
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Fécé DASSETTO,La rencontre complexe. Occîdents et îslams, 2004. Fécé DASSETTO,Dîscours musulmans contemporaîns. Dîversîté et cadrages, 2011. Yoûnoûs LAMGHARî,L’îslam en entreprîse. La dîversîté culturelle en questîon, 2012. Màrà CHRîSTODOULOU ,Amour, îslam et mîxîté. La constructîon des relatîons au seîn des couples musulman/non-musulman, 2012. Ghàyà DJELLOUL,Parcours de fémînîstes musulmanes belges. De l’engagement dans l’îslam aux droîts des femmes ?, 2013. Domnqûé CABîAUX, Frànçosé WîBRîN, Lûàn ABEDîNAJ ét Làûréncé BLÉSîN (coordonnÈ pàr),Neutralîté et faîts relîgîeux. Quelles înteractîons dans les servîces publîcs ?, 2014. Nàmà EL MAKRîNî,Regards croîsés sur les condîtîons d’une modernîté arabo-musulmane. Mohammed Arkoun et Mohammed al-Jabrî, 2015. Loné REMY,Partî ISLAM. Fîlîatîons polîtîques, références et stratégîes, 2018. Léà TAUîL,Les femmes dans les dîscours frérîstes, salaistes et fémînîstes îslamîques. Une analyse des rapports de force genrés, 2020.
Les femmes dans les dIscours frérIstes, salaistes et fémInIstes IslamIques
Une analyse des rapports de force genrés
Leïla TauIl
Nos pûs vfs ét sncèrés rémércéménts vont àû profésséûr Fécé Dàssétto ét À à profésséûré Brgtté MàrÈchà poûr éûrs pàténtés rééctûrés, éûrs fÈcondés crtqûés, éûrs prÈcéûx consés, à inéssé dé éûrs éxpértsés, én qûàtÈ dé ins connàsséûrs dé ’sàm contémporàn, ét éûrs chàéûréûx éncoûràgéménts.
À la mémoîre de mon père quî m’a înculqué avec amour les valeurs humanîstes et le prîncîpe de l’égalîtéentre les femmes et les hommes
©Academia-L’Harmattan s.a. Grand’Place 29 B-1348 Louvain-la-Neuve
D/2020/4910/14 DD//2201250//4499110//3194îISSBBNN::9778--2--800661-0-0512--7ISBN : 978-2-8061-0512-7
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IMRîMÉ E FRàCE
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stescontemporains qui, ens’appuyant surl’argument d’autorité  tes contemporains qui, en s’appuyant su l’argument d’autorité
véritable obstacle aux dés de la modernité. Voir Sharabi H., véritable obstacle aux dés de la modernité. Voir Sharabi H.,
 Le concept de « glocalisation » signie une dynamique locale/globale propre  Le concept de « glocalisation » signie une dynamique locale/globale propre  Nous qualions de « fréristes » les tendances issues de l’organisation des  Nous qualions de « fréristes » les tendances issues de l’organisation des
Introduction
Le débat autour du statut des femmes en islam constitue un enjeu politique majeur au sein de l’ensemble des sociétés à majorité musulmane, car il demeure tributaire des Codes du statut personnel et de la famille promulgués par les gouvernements, qui sont issus du droit musulman médiéval (la charî‘a)qui légalise un rapport hiérarchique des sexes. Ces codes sont, depuis des décennies, constamment critiqués par les mouvements féministes en terres d’islam. Durant les années 1970-1980 apparaissent dans 1 le monde musulman et ailleurs des mouvements islamistes et de réislamisation, qui font de la question des femmes une des centra-2 lités de leurs discours en les assignant à un rôle subalterne . À l’heure de fécondes controverses entre différents acteurs sociaux, démocrates, conservateurs, féministes séculières, féministes islamiques, islamistes, laïques et religieux réformistes à propos notamment de la place des femmes dans un projet de société 3 démocratique et égalitaire ou conservateur et néopatriarcal , depuis lesdits Printemps arabes, il nous a semblé important de traiter de ce sujet en nous focalisant sur le phénomène de la réislamisation. En qualité de chercheure, nous avons choisi d’étudier plus précisément la question de la place des femmes dans les discours 4 5 glocaux de réislamisation portés par des acteurs fréristes et sala-stescontemporains qui, ens’appuyant surl’argument d’autorité  tescontemporainsqui, ens’appuyant sul’argumentd’autorité
1  Voir notamment Harbi M.,L’islamisme dans tous ses états, Paris, Arcantère, 1991. 2  Voir Lamchichi A.,L’islamisme politique,Paris, L’Harmattan, 2001, pp. 11-49. 3  Le néopatriarcat dans le monde arabe et musulman contemporain est conceptualisé par l’historien Hisham Sharabi, qui observe un durcissement des structures patriarcales dans ces sociétés fragmentées qui constituent un véritable obstacle aux dés de la modernité. Voir Sharabi H.,Le néopatriarcat, véritableobstacleauxdésdelamodernité.VoirSharabiH.,trad. de l’anglais (États-Unis) par Yves Thoraval, préface de Jacques Berque, Paris, Mercure de France, coll. « Essais »,1996. 4  Le concept de « glocalisation » signie une dynamique locale/globale propre Leconceptde«glocalisation»signieunedynamiquelocale/globalepropreà la logique de la globalisation. 5  Nous qualions de « fréristes » les tendances issues de l’organisation des Nousqualionsde«fréristes»lestendancesissuesdel’organisationdesFrères musulmans ou celles qui se réfèrent et partagent leur idéologie, voire
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Les femmes dans les discours fréristes, salaIstes et féministes islamiques
religieuse en tant qu’instance de légitimité sacralisée, autrement dit « voulue par Dieu »,peuvent entraîner des effets sociaux de genre puissants. Cette recherche nous paraît originale, car, d’une part, elle contribue à enrichir au niveau académique le domaine relatif à la question du genre et de l’islam et, d’autre part, elle peut apporter un éclairage genré sur l’inuence des discours de réisla-misation sur des questions de société nodales qui touchent direc-tement les femmes tant au sein du monde musulman que dans les sociétés d’accueil comprenant de fortes populations d’ascen-dance musulmane. En effet, cette étude propose une analyse des contenus des discours normatifs relatifs à l’attitude des femmes au niveau des sphères privée et publique et sur le contrôle de leur corps, à travers notamment leur voilement.
Cet ouvrage a pour objectif de restituer une analyse genrée d’un corpus représentatif composé de discours fréristes et sala-stes relatifs à la gent féminine, véhiculés en Europe et au sein du monde arabe, surtout entre les années 2006 et 2011.
Le choix de l’approche locale/globale (glocale) du champ discursif de la réislamisation nous semble pertinent dans la mesure où, à l’ère de la globalisation et de l’ère numérique, ces discours prônés dans les mosquées, les associations et les émissions des chaînes satellites dans le monde arabe (Arabie saoudite, Qatar, etc.) et en Europe (Bruxelles, etc.), circulent notamment sur la toile, les réseaux sociaux et dans les librairies islamiques (ouvrages, CD, DVD, etc.) à une échelle internationale. Ce phénomène local/global, souligne le sociologue Felice Dassetto, « s’est accentué aujourd’hui en raison des nouveaux processus de planétarisation qui se sont accélérés par le développement 6 des technologies, des transports et de la communication ». Cette 7 « connexion mondiale », ajoute l’auteur, se traduit par la circula-tion, d’une part, des personnes – par exemple, de jeunes prédica-teurs bruxellois étudient dans la faculté de Médine (d’obédience wahhabite) pour ensuite investir le champ de la réislamisation à Bruxelles – et, d’autre part, des idées, via notamment les livres
leur éthos. Voir Maréchal B.,Les Frères musulmans en Europe, racines et discours, Paris, Presses universitaires de France, 2009. 6  Dassetto F.,L’Iris et le croissant : Bruxelles et l’Islam au déï de la co-inclusion, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2011 [en ligne 2013]. 7 Ibid.
la déstabilisation de la société. L’analyse réalisée des discours fréristes et salastes nous révèle qu’ils demeurent ancrés dans l’idéologie du salasme réformiste né au XIX
 Darbellay K. & Parini L., « Rapports sociaux de sexe et multiculturalisme : analyse du traitement médiatique des problématiques d’intégration des Le Féminisme face aux déïs du Multiculturalisme, Benradi M. (dir.), Université Mohammed V Rabat-Agdal, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Rabat-Agdal, AFARD, Maroc, 2009, p. 7.
nité, est né au début du XIX en 1798 en Égypte. Face au choc entraîné par la prise de conscience de
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apporter un éclairage genré sur l’inuence des discours de réisla
dance musulmane. En effet, cette étude propose une analyse des
Cet ouvrage a pour objectif de restituer une analyse genrée
stes relatifs à la gent féminine, véhiculés en Europe et au sein du
Le choix de l’approche locale/globale (glocale) du champ
phénomène local/global, souligne le sociologue Felice Dassetto,
L’Iris et le croissant : Bruxelles et l’Islam au déï de la co-inclusion,
Introduction
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édités en Arabie saoudite et au Liban qui sont vendus dans les librairies à Bruxelles. Au niveau des imaginaires individuels et collectifs, ces acteurs et ces ouvrages produisent des « émotions 8 créant un sentiment d’appartenance » via le Web et les chaînes satellites qui véhiculent, entre autres, des prêches et l’actualité du 9 monde musulman « en temps réel ».
Au-delà du fait que la question des femmes constitue une des centralités des discours islamistes et de la réislamisation, il est important de souligner qu’ils s’élaborent également en réaction aux discours politiques et médiatiques qui érigent « la “société occidentale” comme garante de l’égalité des sexes, se donnant aussi comme objectif celui de “sauver les femmes musulmanes” 10 de l’oppression ». Cette instrumentalisation idéologique de la question du genre et de l’islam a également pour effet d’occulter le sexisme des sociétés occidentales. Dans un jeu de miroirs « iden-titaires », le modèle de « la femme musulmane vertueuse » au sein du champ discursif de la réislamisation est souvent exalté, en comparaison du modèle de « la femme occidentale dépravée», à déplorer.
Les discours de réislamisation des acteurs religieux étudiés se focalisent sur la question des femmes, car elles sont considérées comme le pilier de la cellule familiale qui serait, dans leur projet de société, le gage de la stabilité sociale. Le contrôle des femmes, à travers leur voilement et la biologisation de leurs rôles, est une thématique récurrente révélatrice d’une peur de perte du contrôle de la conduite de la gent féminine qui serait susceptible, selon eux, d’entraîner la dislocation de la famille, le désordre social et la déstabilisation de la société. L’analyse réalisée des discours fréristes et salastes nous révèle qu’ils demeurent ancrés dans e 11 l’idéologie du salasme réformiste né au XIXsiècle , à savoir :
8 Ibid. 9 Ibid. 10  Darbellay K. & Parini L., « Rapports sociaux de sexe et multiculturalisme : analyse du traitement médiatique des problématiques d’intégration des musulmans en Suisse », inLe Féminisme face aux déïs du Multiculturalisme, Benradi M. (dir.), Université Mohammed V Rabat-Agdal, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Rabat-Agdal, AFARD, Maroc, 2009, p. 7. 11  Le réformisme musulman, qui tente d’allier l’islam dit authentique à la moder-e nité, est né au début du XIX siècle à la suite de l’expédition de Bonaparte en 1798 en Égypte. Face au choc entraîné par la prise de conscience de la supériorité technologique des forces coloniales occidentales, les acteurs
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Les femmes dans les discours fréristes, salaIstes et féministes islamiques
le peuple et la famille musulmane, dépositaires de la loi divine, ne peuvent être abandonnés par Allah que s’ils s’éloignent de ses commandements ; tant que les peuples et les familles ne reviennent pas au Coran et à la Tradition prophétique, ils connaî-tront la perdition, la domination, la crise familiale, les divorces, etc. Ce raisonnement « messianique et utopique » relève, comme le souligne l’historien Mohammed Arkoun, de l’épistémologie spécu-lative normative et non de l’épistémologie historique en mouve-12 ment . Contrairement à l’avènement de la pensée moderne qui postule l’autonomie réexive de l’individu, la conception de l’islam idéologique relatif à l’ordre social se fonde sur un système de pensée basé sur une hétéronomie sacralisée, c’est-à-dire des normes « dictées par Dieu », censée gérer la collectivité. Dans cette optique, le bonheur de l’être humain et de la société est conditionné par une orthopraxie qui se réfère à l’hétéronomie 13 divine et non à la référence exclusive de l’autonomie humaine .
Par ailleurs, faut-il le rappeler, l’infériorisation des femmes est loin d’être une spécicité de l’islam orthodoxe et idéologique. En effet,l’ensemble des sociétés a été – et continue à l’être ici et là – travaillé par des discours politiques, philosophiques et religieux patriarcaux qui assignent les femmes à un statut subalterne – au nom de la nature, de la culture et de la religion – qui justie la séparation des sphères privée et publique fondée sur la division sexuelle du travail. Même le siècle des Lumières, qui prône pour-tant la liberté et l’égalité, n’échappe pas à la vision patriarcale de la société en instituant l’inégalité des sexes au nom de la « nature », en s’appuyant sur des discours relatifs à la théorie de l’ordre social formulés notamment par les philosophes Auguste Comte (m. 1857) et Pierre-Joseph Proudhon (m. 1865). Le mouvement
intellectuels, politiques et religieux de laNahda, mouvement intellectuel de e e renaissance arabe entre le XIX et le XXsiècle, se sont posés une question avec insistance : « Quelles sont les causes du retard du monde musulman ? » Au-delà des causes sociales, économiques et politiques, les acteurs religieux se sont focaliséssur les causes jugées religieuses, selon eux, de ladite « décadence » de la civilisation islamique.12  Voir Arkoun M.,Humanisme et Islam, combats et propositions, Paris, Vrin, 2006, p. 119. 13  Voir notre ouvrageLes féministes de l’islam, de l’engagement religieux au féminisme islamique, Étude des discours d’actrices religieuses « glocales » à Bruxelles, préface de Firouzeh Nahavandi, Bruxelles, Pensées féministes, 2011, pp. 20-21.
XX siècle peut être comparée, à nos yeux, à celle des esclaves au XIX
le stéréotype d’un « islam ennemi par essence des femmes L’islam, comme tous les systèmes de pensées et de croyances,
relatives à la gent féminine. Aristote (m. 322 av. J.-C.) afrme que
le seigneur de tous les mondes qu’Il ne m’ait pas fait femme. » La
 En réaction, Olympe de Gouges (morte guillotinée en 1793) est l’auteure, en 1791, de la fameuse « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ».
citer, entre autres, les ouvrages suivants : Collin F., Pisier E. & Varikas E.,
Découverte, 2005 ; Guionnet Ch. & Neveu E.,Féminins/Masculins, sociologie
, trad. Barthélémy-Saint-Hilaire, 1874, cité par Collin F., Pisier E. & Varikas E.,
Les femmes dans les discours fréristes, salaIstes et féministes islamiques
postule l’autonomie réexive de l’individu, la conception de l’islam idéologique relatif à l’ordre social se fonde sur un système de
loin d’être une spécicité de l’islam orthodoxe et idéologique. En
nom de la nature, de la culture et de la religion – qui justie la
en s’appuyant sur des discours relatifs à la théorie de l’ordre
renaissance arabe entre le XIX et le XX
Introduction
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féministe à l’échelle mondiale, qui révolutionne l’histoire anthro-pologique – l’émancipation juridique des femmes qui débute au e XX siècle peut être comparée, à nos yeux, à celle des esclaves e au XIX siècle –, naît, par exemple, en France, du paradoxe de la Déclaration universelle des droits de l’homme qui prône l’éga-lité des individus en excluant la moitié de la société, à savoir : 14 les femmes . Les nombreuses études démontrant le caractère transcultureldu patriarcat – construit historique, social, culturel et donc changeable – permettent aisément de ne pas tomber dans 15 le stéréotype d’un « islam ennemi par essence des femmes». L’islam, comme tous les systèmes de pensées et de croyances, relève également d’une construction sociohistorique et culturelle portée par des acteurs sociaux qui orientent son devenir.
Les textes fondateurs de la philosophie grecque et des reli-gions du Livre contiennent des passages patriarcaux, liés aux contextes sociohistoriques de leurs émergences, qui ont contribué à la « validation » rationnelle ou religieuse des représentations relatives à la gent féminine. Aristote (m. 322 av. J.-C.) afrme que « chez les Barbares, la femme et l’esclave sont des êtres de même ordre. La raison en est simple : la nature, parmi eux, n’a point fait 16 d’être pour commander ». Dans le judaïsme, les hommes, dans leurs prières matinales, disent : « Béni soit Dieu notre seigneur et le seigneur de tous les mondes qu’Il ne m’ait pas fait femme. » La supériorité de l’homme est également présente dans le christia-nisme : « Mais je désire que vous sachiez que Jésus-Christ est le chef et la tête de tout homme ; que l’homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Jésus-Christ » (Apôtre Paul, Première Épître aux Corinthiens). Dans l’islam, la prééminence masculine est contenue dans ce verset : « Les hommes ont auto-rité sur les femmes, en raison des faveurs par lesquelles Dieu a
14  En réaction, Olympe de Gouges (morte guillotinée en 1793) est l’auteure, en 1791, de la fameuse « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ». 15  Parmi les études sur le patriarcat et les questions du genre, nous pouvons citer, entre autres, les ouvrages suivants : Collin F., Pisier E. & Varikas E., Les Femmes de Platon à Derrida, Anthologie critique, Paris, Dalloz, 2011 ; Maruani M.,genre et sociétés, L’état des savoirs, Femmes, Paris, La Découverte, 2005 ; Guionnet Ch. & Neveu E.,Féminins/Masculins, sociologie du genre,Paris, Armand Colin, 2004. 16  Aristote,Politique, trad. Barthélémy-Saint-Hilaire, 1874, cité par Collin F., Pisier E. & Varikas E.,Les Femmes de Platon à Derrida, Anthologie critique, Paris, Dalloz, 2011, p. 35.
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Les femmes dans les discours fréristes, salaIstes et féministes islamiques
élevé les uns au-dessus des autres, et des dépenses qu’ils font de leurs biens» (Sourate 4, « Les Femmes », verset34).
À l’issue d’une confrontation acharnée entre les partisans de la 17 Raison (Ahl ar-ra’y) et les partisans de la Tradition (Ahl al-hadîth) , l’histoire de la pensée islamique connaît, avec la victoire des e traditionalistes, une orientation juridico-normative décisive au III / e 18 IXsiècle, à travers l’élaboration de ladite loi islamique (charî‘a) qui, à l’image des systèmes juridiques de l’ensemble des sociétés médiévales, entérine le rapport hiérarchique des sexes dans les relations matrimoniales.
Dans le monde musulman, le choc entraîné par l’occupation impérialiste occidentale, qui débute en 1798 avec l’expédition de Napoléon en Égypte, participe à l’éclosion d’un mouvement intellectuel moderne de renaissance arabe, laNahda(essor, e e éveil), entre les XIX et XXimprégné de la philosophie siècles, des Lumières qui se développe aux niveaux politique, culturel et religieux. Ce mouvement intellectuel, qui prône l’émancipa-tion des peuples et des esprits, donne notamment naissance au 19 réformisme musulman . Ce dernier comprend, dans un premier temps, une aile libérale (al-islâh), inaugurée par Rifa’a al-Tahtawi (m. 1873), qui tente d’allier l’islam dit authentique à la modernité
17  Voir notamment Abou Zeid N.,Critique du discours religieux,Paris, Sindbad-Actes Sud, 1999, pp. 93-125 ; Char A.,L’islam entre le message et l’histoire, Tunis, Sud Éditions, 2004, pp. 145-199 (ce livre est également édité chez Albin Michel). 18 Charî‘asignie littéralement « le chemin », « la voie », « la route », mais, dans la littérature et les discours théologico-juridiques islamiques, lacharî‘a, e e élaborée au III /IXsiècle, indique les règlements et les lois censés régir l’exis-tence des musulmans à partir des interprétations des textes scripturaires (le Coran et la Tradition prophétique), d’où l’appellation de «Loi divine ». 19  D’un point de vue doctrinal, le réformisme musulman s’est appuyé sur deux concepts islamiques, à savoir :al-islâh(la réforme) et letajdîd(la rénovation). Al-islâh,qui vient du verbeaslaha, signie « rendre bon, meilleur » dans le sens de réformer, et s’inscrit dans un champ sémantique très présent dans le Coran. Le termetajdîd, qui signie rénovation ou régénération, permet de conceptualiser le changement, et repose sur unhadîthattribué au prophète de l’islam, à savoir : « Dieu enverra à cette communauté, à chaque début de siècle, celui (ou ceux) qui lui rénovera (yujaddid) sa religion. » Cehadîth a permis aux théologiens musulmans d’envisager la perspective d’un renouvel-lement périodique possible de l’islam. Voir notamment Mervin S.,Histoire de l’islam, Fondements et doctrines, Paris, Flammarion, 2000, pp. 152-155.
al-salaïyya), initiée par Rashid Rida (m. 1935) – d’où sera issue la célèbre association des Frères
fondé par Mohammad Ibn Abdel Al-Wahhab (m. 1792), qui est un réformisme salaste rigoriste dans la mesure où il prône une
) et qui condamne, d’autre part, lesdites innovations soues,
 Précisons, comme le souligne l’islamologue Rachid gence d’une pensée moderne, au sein de pays musulmans devenus indé
musulmans, il s’agissait surtout d’allier les idées et les acquis scientiques
l’interprétation des textes fondateurs de l’islam. Ils espèrent ainsi répondre à
leur croyance en rapport avec la modernité et non plus dans le cadre de lois
d’État islamique. Voir Benzine R.,
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