Guillevic, les noces du Goéland
179 pages
Français

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Guillevic, les noces du Goéland , livre ebook

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Description

"Il arrive que la poésie soit victime des discours qu'on tient sur elle. La théorie, par les temps qui courent, est bien souvent grise, quand la matière vivante du poème réclame l'appréhension sensible, le partage avant même la connivence de l'intelligence. C'est pourquoi la démarche que Marianne Auricoste entreprend dans ce livre est particulièrement heureuse. A travers le dialogue pudique et brûlant qu'elle entretient avec Eugène Guillevic, elle apporte la preuve que le meilleur lecteur de la poésie est... l'amour." A. Laabi

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2007
Nombre de lectures 305
EAN13 9782336260921
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan 2007 5-7 rue de l’École Polytechnique ; Paris 5 e
www.librairieharmattan.com harmattanl@wanadoo.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
9782296027695
EAN : 9782296027695
Sommaire
Page de Copyright Page de titre GUILLEVIC - Bibliographie
Guillevic, les noces du Goéland

Marianne Auricoste
Je t’ai promis ce livre, et soudain voilà que je bégaie. Comment parler de toi autrement que par tes poèmes. Ils sont là, vivants, présents, puissamment réels. Ils épousent la durée, denses et silencieux, obstinés à vaincre le temps.
Toi, tu nous as quittés, tu as labouré, retourné ton humus. Tu nous as laissé tes mots sculptés dans l’épaisseur. À nous de les incorporer.
Oui, c’est bien cela ton message gravé dans l’ordinaire des jours, dans le profond du quotidien, dans le réel habité par l’instant : « Délirer, / Délirer // Dans du vrai. » (Vitrail- Trouées p.133.)
« Les mots, c’est pour savoir... », disais-tu. Savoir accueillir, recueillir l’instant, le posséder, l’habiter, le transgresser. Régner sur notre présent comme l’oiseau sur son nid.
Comme la durée épouse l’instant.
Épouser, tu n’as fait que cela d’un poème à l’autre.
Acte d’amour, tes poèmes, certes. Acte d’émergence, mise au clair. Possession, enracinement dans le sacré, contact avec le vivant, tout le vivant. Émerveillement, tremblement devant l’insaisissable réel. Tu nous as appris que le banal était la grande histoire, l’épopée véritable, le chemin de la source :
« Ce n’est pas difficile // Dans une touffe d’herbe / De voir un incendie /Où s’exaltent des cathédrales, //[...]- Mais voir la touffe d’herbe. » (Inclus p.111.)
Méditation, rumination, tu n’as rien épargné. Tu as brouté tes mots, mâché leur sel pour nous livrer le cœur du bouton d’or :
« Tout ce qu’on a tenu / Dans ses mains réunies : [...] » (Tenir - Sphère p.94.)
Ces mains réunies, sorte de prière, d’invocation et d’offrande de la vie à la vie.
Salut fraternel aussi. Car « se vivre », c’est vivre le monde, entrer en résonance avec lui, être ce canal : « Raccordé / Au réseau des sèves. » (Requis p.183.) Et transmettre le chant  :
« En somme, l Avec les mots, ll C’est comme avec les herbes, [...] Il faut les laisser faire, / Par eux se laisser faire [...]. » (Inclus p.223.)
Pénétrer, être avec, cheminer à l’intérieur, rêver le monde par le dedans, je n’ai encore rien dit de ta sève, de ton suc, de ce courant qui te traverse. Tu es trop vaste pour qu’on puisse te réduire, t’inventorier. Mon désir ici est simplement de te rendre proche, de te tutoyer comme tu as tutoyé le monde, comme tu l’as possédé, non pour le dominer mais pour l’apprivoiser, le rendre habitable.
Pour y bâtir ton tabernacle, y creuser ta lumière, celle qu’on arrache au noir, et à la dure nécessité de vivre. Tu as traversé ton temps, ses bonheurs, ses horreurs en poète et en homme. Tu n’as rien négligé ni dans tes mots ni dans tes actes. Tu t’es vécu pommier, fabricant ses pommes, modestement, en artisan amoureux du langage, conscient de son énergie et de sa haute nécessité :
« [...] C’est pommier qu’il ira / Vers cet autel qui le réclame. » (Inclus. p.98.)
Cet autel, c’est le don du poème, la pomme pleine. L’alchimie du langage : « [...] Mais si, quand tu dis : rond, / C’est plein que tu veux dire, / Plein de rondeur / Et rond de plénitude, // Alors il n’y a rien / De plus rond que la pomme. » (Rond - Sphère p.70.)
Et voilà tracé ton autoportrait.
Ce poème Rond, je le dis aux enfants chaque fois que je te présente. Depuis des années, je parle de toi dans les écoles où je fais des animations autour de la poésie et j’entame nos conversations par cette question périlleuse : — « qu’est-ce que la poésie, le poème  ? » — Qui pourrait y répondre sans trébucher ?
Alors j’offre d’emblée l’or de tes raccourcis : — La poésie, c’est la sculpture du silence —, « Les noces de la parole et du silence » . Notre dialogue s’engage et nous rêvons ensemble, les enfants et moi, autour de ces mots magiques : le silence, les noces, la sculpture.
Très rapidement, nous abordons les notions d’espace et de temps par des images, des sensations qui nous offrent le paysage dans lequel les mots s’assoient comme des galets dans la mer. Tout devient simple. Tes mots s’approchent de nous, respirent. Nous caressons leur matière, nous rencontrons la nôtre. Nous captons la sève des mots, leur énergie et leur tendresse. Et comme toi nous osons dire :
« [...] J’ai vécu dans des fruits / Qui rêvaient de durer. // J’ai vécu dans des yeux l Qui pensaient à sourire. » (Habitations - Sphère p.82.)
Pour l’avoir constaté bien souvent, je peux affirmer que les enfants t’accueillent parce que ta poésie est déjà nichée en eux.
Un simple geste suffit à entrouvrir la lucarne par où ils pourront se reconnaître à travers tes mots et s’écouter dans l’intimité de leurs sensations.
Tu es ce plein, ce rond qui contient le poème et qui s’offre à qui sait mordre dedans et mâcher longtemps la saveur des fruits mûris dans la lenteur.
Et pour compléter ce portrait, j’ajoute que tu es né à Carnac le 5 août 1907 d’un père gendarme et d’une famille pauvre dans un pays où parler le breton était interdit, que tu as appris à marcher parmi les menhirs et que dès l’enfance, tu as été habité par les mots que tu gravais sur des troncs d’arbre. Tu as récité ton alphabet dans cette Bretagne rebelle où tu as maraudé en gamin solitaire, amoureux déjà du silence et des landes.
Tu as grandi, poursuivi tes études, ce qui était rare à l’époque pour un gosse de ta condition.
Tu as réussi brillamment tes concours et tu es rentré dans l’administration, en Alsace d’abord, à Besançon ensuite, puis à Mayence. En 1935, tu débarques à Paris. Tu rentres au ministère des Finances où tu poursuivras ta carrière. En même temps que tes fonctions au ministère, s’ouvre ta vérité de poète. Tu rencontres Paul Eluard, Jean Follain, Marcel Arland, Jean Paulhan, la NRF où tu publies tes premiers poèmes.
En 1942 paraît Terraqué, le recueil qui te consacrera.
Puis vient la guerre. Tu milites au Parti Communiste sans jamais renoncer à ton état de poète.
Plus tard, tu affirmeras : — « Je ne suis pas un poète encagé » — quand on te questionnera sur tes poèmes de résistance.
Depuis ce premier recueil, Terraqué, ton oeuvre n’a cessé de rayonner, de s’épurer. Tu as ouvert un espace, pour nous tous, le champ du quotidien où conquérir nos « tenailles de gloire ».
Guillevic et Marianne Auricoste dans la maison de Courcelles pendant le tournage du film d’Hélène Martin Plain Chant (avril 1973). Photo Berthe Judet.
Guillevic, petit diable, c’est aujourd’hui notre grand rendez-vous en Bretagne.
Je suis venue m’exiler ici pour parler de toi ou plutôt, parler avec toi. Voilà longtemps que nous avons interrompu notre « sacré dialogue », que tu n’es plus là pour me rassurer, me remettre les deux pieds dans le réel. Toi, tu l’habitais ce réel, tu t’en servais comme d’un outil. Tu l’aimais et tu t’ajustais à lui. Ta passion de vivre était puissante, si impérieuse que tu occupais ton présent où qu’il soit et quelles que soient les circonstances. Tu forçais toujours le destin à se plier à ton désir. Tu n’acceptais ni ne cédais aux injonctions. Tu étais breton, têtu et coléreux, doux et généreux :
« Il y a des monstres qui sont très bons, [...]. » (Monstres - Terraqué p.27.)
La bonté coulait en toi comme du lait chaud, ce qui n’empêchait ni ta mauvaise foi ni tes excès.
Oui, breton tu étais et breton tu resteras.
J’ai lu quelque part que tu refusais le titre de poète breton comme tu refusais celui de poète communiste. Tu étais poète tout simplement. La substance de ta poésie s’est nourrie de ton enfance bretonne, de ses paysages, de sa lumière, de sa rudesse, comme elle s’est nourrie de tes amours, de tes rencontres et de tout ce qui constitue une vie d’homme et de citoyen. Tu étais vraiment citoyen-poète.
Tu n’as pas observé le monde en ornithologue. Tu as retroussé tes manches et tu as pris la vie à bras le corps.
Tu t’es trompé avec ferveur, avec candeur même. Avec sincérité et maladresse. Tu étais souvent malhabile dans les imbroglios de ta vie privée et comme les enfants qui redoutent une punition, tu te réfugiais dans les mensonges.
Mais tu savais aussi te montrer habile dans tes relations professionnelles. Tu mettais tout le mo

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