Le boiteux de Carthagène
282 pages
Français

Le boiteux de Carthagène , livre ebook

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282 pages
Français

Description

Inspiré de la vie d'Antonio Martin (1895-1937), anarchiste espagnol à la réputation sulfureuse, ce roman "historique" brode librement sur le peu de sources dont nous disposons. Sans la guerre civile espagnole, et son cortège d'horreurs, mais aussi de hauts faits, qui lui a permis de se rendre maître de Puigcerda entre 1936 et 1937, nous n'aurions rien su de cet homme. Un récit à mi-chemin entre la micro-histoire et le roman picaresque.

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Informations

Publié par
Date de parution 05 juin 2016
Nombre de lectures 8
EAN13 9782140012938
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Robert-Pierre ROMIEU
Le boiteux de Carthagène Inspiré de la vie d’Antonio Martín, anarchiste
Roman
Le boiteux de Carthagène
Inspiré de la vie d’Antonio Martín, anarchiste
Robert-Pierre ROMIEULe boiteux de Carthagène
Inspiré de la vie d’Antonio Martín, anarchiste Roman
© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-09181-5 EAN : 9782343091815
SIGNIFICATION DES SIGLES
C.N.T :Confédération nationale du travail. Les “cénétistes” sont des anarcho-syndicalistes.F.A.I :Fédération anarchiste ibérique. Elle est le bras armé de la C.N.T.U.G.T :Centrale syndicale socialo-communiste.P.O.U.M :Parti ouvrier d’unification marxiste. Parti communiste dissident d’inspiration trotskiste.P.S.U.C :Parti socialiste unifié de Catalogne, d’obédience communiste.E.R.C :Gauche républicaine catalane. Parti de gauche modéré et autonomiste.
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CHAPITRE PREMIERVolets clos, fenêtres aveugles ajoutaient leur part d’ombre à l’obscurité du sentier cahoteux qui tenait lieu de rue. En haut d’une cheminée, seule une flambée discrète laissait sourdre un peu de lumière. Elle n’éclairait dans cette misérable bicoque secouée par tous les vents d’Extrémadure qu’une table grossière, quelques chaises bancales près d’un lit en fer où une jeune femme gémissait. Le village s’arrêtait là, sur cette souffrance, à la limite d’une terre glacée et d’un ciel frissonnant d’étoiles. L’hiver était rude en ce début d’année 1895. C’est ce que se disait le passant qui en trébuchant cherchait son chemin par cette nuit sans lune. Une pierre un peu plus grosse faillit le faire tomber. Il jura et, tout essoufflé, stationna un moment devant sa porte le temps d’en retrouver la clé. Aussitôt entré, il regarnit le feu, puis s’approcha de la couche. - Comment ça va ? Tu as déjà fait les eaux ? En se penchant sur la parturiente pour voir où elle en était, il en profita pour s’assurer qu’était bien posé sous le drap le papier goudronné qui avait servi à l’accouchement précédent. - La Tia Carmela m’a donné tout ce qu’il fallait, annonça-t-il. Défaisant sa cape, le visiteur sortit de sa besace un savon noir et un flacon d’aguardiente. - Est-ce qu’elle viendra ? demanda la future mère d’une voix où perçait l’angoisse. - Elle viendra, ne t’en fais pas. Il alluma deux bougies qu’il plaça de part et d’autre du lit comme on le faisait pour les morts. Leur flamme vacilla sous le vent infiltré autour des volets pour venir siffler aux oreilles en attisant au passage la modeste flambée de l’âtre où seul le ronronnement des bouilloires apaisait un peu l’atmosphère. On entendit l’homme se laver les mains, et une odeur d’eau-de-vie finit par envahir la pièce. Il remplit ensuite deux cuvettes avant de retourner au chevet de la femme. - N’aie crainte. Je suis là.
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Sur son visage buriné, on lisait aussi une souffrance, celle-là peut-être qui bloquait parfois sa respiration en raidissant alors son bras au long de son torse et le faisait paraître si âgé qu’on le prenait souvent pour le père de son épouse. À côté d’elle on aurait dit un vieillard ! - Pourvu que ce soit une fille, murmura-t-elle. J’ai prié Notre-Dame-de-la-Guadalupe pour qu’il en soit ainsi. Après avoir repris notre petite Eulalia, qu’enfin Dieu nous la rende aujourd’hui ! Nous pourrions alors appeler la Tia tout de suite. - Ne t’inquiète pas. Même si par malheur ce n’était pas le cas, ce sera quand même une fille ! Prie plutôt pour qu’au moins l’enfant reste cette fois en vie. Nous avons déjà la chance qu’en cette saison je puisse demeurer près de toi. Sache que j‘ai assisté à d’autres naissances, et n’oublie pas que j’ai aidé la Carmela quand Eulalia est née. J’ai bien vu alors comment elle procédait et tout ce qu’il faut faire dans ce cas. Comme cet accouchement s’était bien passé, il y a encore moins de raison pour qu’il en soit autrement aujourd’hui. - Penses-tu rester à mes côtés jusqu’aux relevailles ? - C’est la seule saison où ça m’est possible. Tu comprends pour-quoi je me suis dépêché de ramasser les olives de Don Pancracio avant le début des premiers labours. - Comment ferons-nous pour les bêtes ? - J’appellerai la Rosita. Cette innocente sera toujours assez bonne pour garder les chèvres. Comme elle est muette, aucun risque de l’entendre raconter ce qu’elle aura pu voir ici. - Tu as pensé à tout. Mais si la naissance avait eu lieu dans une autre saison, je ne crois pas que la Rosita aurait suffi. C’est pour ça que j’ai autant prié... Sa phrase fut interrompue par une contraction plus violente qui la fit à nouveau gémir. Elle s’arc-bouta contre la tête du lit pendant que son mari surveillait son travail. - Cela vient, je vois déjà le crâne, dit l’homme pour l’encourager. Respire un bon coup cette fois. Elle se détendit soudain en laissant son mari reprendre le fil de leur conversation. - Dans ce cas il aurait été encore plus impératif que Dieu exauce tes prières, ou alors que tu sois en mesure de lui dicter tes volontés. En effet si un garçon était né le reste de l’année, je l’aurais aussitôt déposé à la porte du couvent que les Descalzas possèdent à
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Malpartida. Mieux vaut ça que la vie que je mène, ou que trop d’hommes ici peuvent avoir avec tous ces carlistes ! Tu comprends pourquoi je ne veux pas de fils. Quand elle ne les tue pas, l’armée les estropie pour en faire des infirmes comme moi. Tu sais aussi que pas un jour ne passe sans que je regrette d’avoir été soldat, pas un seul, tu m’entends ! Il en sera ainsi en attendant cette heure où je pourrai voir Moriones et les siens pendus par les couilles jusqu’à ce que mort s’ensuive. - Comment peux-tu dire ces horreurs ? La femme maintenant haletait au rythme de contractions plus intenses. - Crois-tu à la vierge de la Guadalupe ? demanda l’homme. - Oui. J’ai toute confiance en elle, parvint-elle à chuchoter - L’aimes-tu plus que tout, plus que notre petite Eulalia ? - Bien sûr, d’autant que notre petit ange est à présent sous sa garde. L’homme désigna au mur une gravure défraîchie que piquetait la graisse. - Alors, regarde bien ta Vierge, et sur elle promets que si jamais venait là un garçon nous ne le révélerons à personne. Comme ça il sera toujours pour nous notre fillette chérie. Jure devant cette image que si par malheur, ce n’était pas une fille tu cacheras la vérité. La femme se raidit, puis à nouveau un apaisement la rejeta sur sa couche. Dans un soupir elle balbutia : - Oui, je le jure. Un coup de vent plus fort fit trembler la flamme des bougies. - Puisqu’il en est ainsi, ça sera dès lors notre souci quotidien. À tous ceux qui déjà nous accablent il faudra ajouter celui-là afin d’en soulager cet enfant. Comme je le langerai moi-même avant d’avertir la Carmela personne n’ira vérifier. En attendant, nous nous conten-terons de Rosita. Si tu peux, prie encore pour nous éviter ce surcroît de charge. En prononçant ces mots, l’homme se pencha pour recevoir doucement la tête qui sortait. Le corps ne tarda pas. Avec beaucoup de délicatesse, il le saisit, ligatura son cordon avant de le couper. D’un linge tiédi dans l’eau d’une des cuvettes, il nettoya le nez et la bouche du bébé, dont à cet instant les narines se dilatèrent et le
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