Schibboleth récit d enfance
140 pages
Français

Schibboleth récit d'enfance , livre ebook

-

140 pages
Français

Description

Cet ouvrage est un recueil de souvenirs d'enfance. Son intérêt, cependant, n'est pas celui que pourrait avoir le récit d'une grand-mère désireuse de conter sa vie à ses petits-enfants. Ces pages témoignent de petits moments « vécus à deux », au cours de l'enfance, et qui peuvent influencer toute une vie. Le choix du titre, pur hasard, est né de la réplique d'un jeu décrit dans l'ouvrage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2014
Nombre de lectures 8
EAN13 9782336353951
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Paulette Spescha-Montibert

Schibboleth

Récit d’enfance

Les impliqués
É d i t e u r






Schibboleth


















Les impliqués Éditeur

Structure éditoriale récente et dynamique fondée par les
éditions L’Harmattan, cette maison a pour ambition de
proposer au public des ouvrages de tous horizons,
essentiellement dansles domaines des sciences humaines et
de la création littéraire.





Paulette Spescha-Montibert

Schibboleth

*

Récit d’enfance





















Les impliqués Éditeur































© Les impliqués Éditeur, 2014
21 bis, rue des écoles, 75005 Paris

www.lesimpliques.fr
contact@lesimpliques.fr

ISBN : 978-2-343-03905-3
EAN : 9782343039053

Il serait bon de beaucoup penser et
de dire quelque chose de ces longs
après-midi d’enfance qui, partis,
ne sont plus jamais revenus

et pourquoi ?

Rilke

Quand la mémoire s’en va ramasser
du bois mort
elle rapporte le fagot qu’il lui plaît…

Proverbe africain

Le givre

Ainsi, il m’aura fallu traverser l’Atlantique pour, un matin
de grand froid, retrouver les vitres de ma chambre couvertes de
givre.

Même image argentée, alternance d’opaque et de scintillant.
Comme autrefois, elle cache le grand secret qu’est le dehors à
l’heure du réveil. Rien, l’on ne sait rien encore, sinon qu’il gèle
et que le jour, lui, est déjà levé.
Pas froides du tout cependant ces retrouvailles ; au
contraire, des retrouvailles bien douillettes, la tête enfoncée
dans l’oreiller, l’édredon tout rond remonté jusqu’aux oreilles…
comme autrefois !

Autrefois, c’était il y a bien longtemps dans mon enfance
quand, en hiver, éveillée au énième chant du coq, il fallait
gratter le givre des fenêtres pour découvrir ce que serait la
journée. Si le soleil brillait, c’était une journée à luge et boules
deneige ; si le ciel était ardoise, c’était une journée à crayons
de couleur.
Je venais d’ouvrir une boîte de crayons. Pas n’importe quelle
boîte. Ma première boîte à moi toute seule. Mon émervei-l
lement, lorsque j’ouvris l’étui contenant les six crayons bien
taillés, fut de même nature que celui qui jaillit à la vue d’un
tableau de Hundertwasser : l’arc-en-ciel et sa magie… toutes
les couleurs du monde, à l’infini.

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Elles étaient là ces couleurs, dans ma main et tout à mon
service. Venues mystérieusement dans le noir d’une nuit de
Noël, elles s’étaient posées dans l’une de mes galoches, entre
une orange enveloppée de papier paraffiné et une poignée de
papillotes.
Le ciel pouvait bien être gris et l’occupant installé dans le
village, avec des battements de cœur, j’entrais en possession
de mes richesses. Aucune négligence, aucune distraction
n’étaient permises ; il fallait ne rien gaspiller, ne pas dépasser
en coloriant les sujets tracés dans l’album trouvé, lui, dans la
deuxième galoche. Le plus sûr moyen étant de bien appuyer et
de tirer la langue.
Aujourd’hui, j’ai une boîte de cinquante-deux crayons de
couleur à ma disposition. Quelle richesse ! C’est presque trop.
J’ai aussi du givre à mes fenêtres.
Les petits dessins, que maintenant encore j’aime faire, sont
les mêmes qu’alors : des lignes, cercles, triangles, arabesques,
inspirés de frises découvertes en tournant les pages des très
beaux livres de prix que mes frères et sœurs ne manquaient
jamais de rapporter aux grandes vacances. C’est des pages de
ces livres que naquit un amour, longtemps oublié, des formes
géométriques et de leur répétition à l’infini ; car, si j’étais trop
petite pour déchiffrer les lignes, je lisais et mémorisais les
ornements courants qui s’imprimaient dans ma mémoire où ils
sont encore. Souvent il me fallait patienter pour avoir le
privilège de prendre en main et feuilleter ces précieux volumes.
Il me fallait attendre que l’un ou l’autre de mes aînés terminât
ou délaissât l’ouvrage, alors je m’en approchais et mon
approche était timidité et admiration. La couverture d’abord,
légèrement granuleuse, en carton dur, rouge franc, puis la page
de garde, toute de vagues où le regard dansait. Je ne sais trop
comment je savais quel volume était prix de tableau d’honneur,
prix de géographie, prix de français, mais je le savais. Quant au
prix d’excellence, c’était facile : il était doré sur tranche !
Suivaient une page blanche et enfin le texte avec, en haut et en

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bas, parfois en cadre, la frise dont je lisais chaque entrelac,
page par page, sans précipitation, me réjouissant de retrouver
ici, puis là, une courbe, un cinquième pétale, une nervure…
jusqu’au mot « fin ».

Je fermais alors le livre, le retournais, appuyais très fort et
examinais le dos puis l’or du titre et l’or de la tranche.
Papillonnant des yeux, je voyais de l’or en barre ! Mon respect
pour ces beaux livres rouges était sans limites, à la mesure de
mon désir d’apprendre mais aussi de ma peur de ne pas être, le
moment venu, parmi les lauréats qui s’avanceraient vers l’estrade
le jour de la distribution des prix, car le savoir était réservé aux
grands et, moi, j’étais la petite et je ne savais jamais rien.
La pluie aux vitres ou le givre venu, mes frères et sœurs à
l’école, je dévidais de ma mémoire bandeaux et motifs emma-
gas inés lors de mes lectures d’été ; j’en déposais les formes sur
papier, les alignant, les combinant : c’était ma récréation à moi.
Puis je rangeais tout et, silencieusement, tentais de réciter la
fable de La Fontaine que mon frère avait apprise la veille.
Ensuite, je passais à la table de multiplication. J’aimais aussi,
toujours en silence, compter de deux en deux, jusqu’à vingt :
en avant, en arrière, utilisant seulement les nombres pairs. Les
nombres impairs me faisaient peur. Virgile affirme que « la
divinité aime le nombre impair », l’aurais-je su que cela n’eût
rien changé. Puis je revenais à mes petits dessins.
Dès le Nouvel An passé, les cartes de « Bonne Année »
devenaient l’inspiration par excellence et, pendant plusieurs
semaines, je m’appliquais à la copie, aussi conforme que
possible, de villages sous la neige, d’oiseaux sur la tige givrée,
de l’Enfant Jésus, du bœuf, de l’âne, du père Noël et de sa
hotte. Le tout colorié, cela va de soi !

Mon père taillait les crayons. Il avait fort à faire car je
n’étais pas la seule artiste dans la famille et souvent il fallait
attendre son tour. Mais moi, j’avais de la chance – j’ai toujours

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eu de la chance –, les vacances de Noël terminées, les grands
à l’école, je pouvais, à loisir, faire tailler mes six crayons.

Hélas, je découvrais que les crayons, plus on les taille, plus
petits ils deviennent.

La félicité était décidément bien difficile à atteindre !

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Hiver

Un grand calme blanc
couvre mon jardin
ce matin
étouffée, lancinante
la corne de brume
apporte l’océan

Dans le sapin du coin
logent trois boules douces
vermillon, turquoise, safran
que c’est étonnant
dans mon enfance
les oiseaux en hiver
s’appelaient moineaux

Un vol d’oies sauvages
discipliné et silencieux
traverse le ciel bas
que le grand chêne
jamais las
porte à bout de bras

La nuit a déposé
unefrange glaçon
aux res du snolavit

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