Aliénation et désaliénation dans les sociétés post-esclavagistes
168 pages
Français

Aliénation et désaliénation dans les sociétés post-esclavagistes , livre ebook

-

168 pages
Français

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1997
Nombre de lectures 93
EAN13 9782296342422
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ALIÉNATION ET DÉSALIÉNATION
DANS LES SOCIÉTÉS
POST-ESCLA VAGISTES
Le cas de la GuadeloupeDU MÊME AUTEUR
Aux Éditions de I'Harmattan:
Le parti socialiste français face à la décolonisation. De Jules
Guesde à François Mitterrand, le cas de la Guadeloupe, 1985.
La Guadeloupe, 3 volumes, 1987.
Aux Éditions Caribéennes :
Les voies de la souveraineté. Peuplement et institutions à la
Guadeloupe, 1988.
@ L'Harmattan, 1997
ISBN: 2-7384-5511-5Docteur Henri BANGOU
ALIÉNA TION ET DÉSALIÉNATION
DANS LES SOCIÉTÉS
POST-ESCLA VAGISTES
Le cas de la Guadeloupe
I~ditions L 'HarnutUun L 'Hannattan Inc
5-7. rue de rÉcole-Poylechnique 55. rue SI-Jacques
75005 Paris Monlréal (Qc) Canada H2Y IKt)-Avaut-propos
En relisant l'admirable ouvrage par lequel Frantz Fanon
s'est fait connaître avant de devenir l'incontournable
essayiste de la lutte de libération du peuple algérien, Peau
noire. Masques blancs1, je tombe en arrêt sur l'incantation
qui clôt sa publication:
« Mon ultime prière:
o mon corps, fais de moi toujours un homme qUl
interroge! »
Ce constant souci d'interrogation, je n'ai cessé de le
ressentir, et quand bien même il se ferait moins pressant, le
rythme accéléré des bouleversements produits par les
événements de ce dernier quart de siècle serait là pour le
réacti ver.
C'est la raison pour laquelle une réflexion conduite il y a
une quinzaine d'années sur les problèmes d'aliénation et de
désaliénation d'une société post-esclavagiste comme la
Guadeloupe, me semble devoir être reprise et actualisée.
Ne serait-ce que pour cette seule raison: certaines
affirmations de Fanon méritent, sinon contestation, du moins
approfondissement.
Je pense en particulier à l'appréciation qu'il donne sur la
portée de l'acte d'abolition de l'esclavage d'avril 1848.
A la déclaration: « Désormais tu es libre» faite à l'ancien
esclave, il oppose le commentaire suivant:
« Mais le Nègre ignore le prix de la liberté, car il ne
s'est pas battu pour elle. De temps à autre, il se bat
1. Frantz Fanon, Peau noire. Masques blancs, Préface de Francis Jeanson,
Editions du Seuil, Paris, 1952.
7pour la Liberté et la Justice, mais il s'agit toujours
de liberté blanche et de justice blanche, c'est-à-dire
de valeurs sécrétées par les maîtres. L'ancien
esclave, qui ne retrouve dans sa mémoire ni la lutte
pour la liberté, ni l'angoisse de la liberté dont parle
Kierkegaard, se tient la gorge sèche en face de ce
Blanc qui joue et chante sur la corde raide de
l'existence »2.
Il parvient à cette conclusion au terme d'un rappel et
d'une analyse de la dialectique hégélienne illustrée par cette
citation:
« C'est seulement par le risque de sa vie qu' 0 n
conserve la liberté, qu'on prouve que l'essence de
la conscience de soi n'est pas l'être, n'est pas le
mode immédiat dans lequel la conscience de soi
surgit d'abord, n'est pas enfoncement dans
l'expansion de la vie »3.
Nous aurons l'occasion de revenir sur cette conception de
la liberté du philosophe allemand. Retenons dans l'immédiat
une nécessité pour des sociétés comme la nôtre à la fois
majoritairement noire et issue de l'esclavage: celle de voir
clair aussi bien dans notre passé d'aliénés lié à cette
institution, que dans les survivances aliénantes de ce passé, et
cela, malgré une succession de séquences ayant trait tant aux
individus qu'aux sociétés qu'ils composent (actes
d'abolition de 1794 et 1848, loi de départementalisation de
1946, celle de la décentralisation de 1982).
Nous y sommes d'autant plus contraint que pour la
première fois dans la littérature le Noir, apparemment sain,
est objectivé comme étant aliéné au sens pathologique du
terme, et que cette aliénation découle de sa couleur noire
autant que de son passé d'esclave.
D'où l'on pourrait conclure qu'il existe une aliénation
propre à ce Noir-là, et une désaliénation qui lui soit
spécifique.
2. Ibid., page 213.
3. Hegel, Phénoménologie de l'esprit, cité par F. Fanon, page 210.
8Cette éventualité allait de soi, et elle n'a pas échappé à la
vigilance inquiète des intellectuels d'une Europe mal à l'aise
pour gérer sa responsabilité morale à l'occasion d'une
aliénation plus récente: celle imposée aux peuples, non plus
asservis, mais colonisés.
Il ne leur a pas échappé, à ces penseurs européens, que
l'accréditation des écrits de Frantz Fanon et de l'importance
qu'il accordait au concept d'aliénation pour caractériser la
situation faite aux peuples noirs ou colonisés, risquait de
justifier une dette que l'Europe était loin de vouloir apurer.
L'un de ces intellectuels, Jean-Marie Domenach, ne se fit
pas faute de l'exprimer clairement dans un texte publié par
la revue Démocratie nouvelle (deuxième numéro) et intitulé:
«Aliénation, colonisation et décolonisation, dialogue entre
J. Bergue et J.-M. Domenach.
Il est vrai, déclare-t-il, que c'est nous, occidentaux,
qui avons exporté l'oppression et bien d'autres
choses avec. Mais il est vrai aussi que, en même
temps, ou un peu après que nous exportions
l'oppression, nous avons exporté, nous continuons
d'exporter le langage de la libération.
C'est pourquoi je pense que nous devons nous
impliquer là doublement: non seulement dans cette
prise de conscience, aussi peu culpabilisée que
possible, mais aussi responsable que possible, du
ravage provoqué par la colonisation, que dans
d'autres ravages qui pourraient prolonger le
premier, et qui seraient provoqués par un langage
de libération...
C'est donc aussi à travers notre propre expérience
de la libération, à langage de
libération, que nous songeons à la décolonisation.
Et c'est à partir de là que je voudrais réfléchir. En
me portant davantage sur le mot lui-même
d'aliénation.. .
Je voudrais mettre en question le concept ou du
moins l'usage qu'on en fait...
Et, précise J.-M. Domenach, je pense à celui de
Frantz Fanon par exemple... La conscience d'être
aliéné, est très répandue chez les élites
révolutionnaires des peuples décolonisés.
Ce mot semble porter avec lui le diagnostic, et le
remède à la fois. Est-il un outil valable? Ou bien,
9ce qu'il charrie avec lui ne contribue-t-il pas à
provoquer, ou tout au moins à créer le mal qu'il
prétend guérir?
La réflexion que nous nous étions proposé de mener sur
la problématique de l'aliénation et de la désaliénation dans
les sociétés post-esclavagistes était aussi une tentative de
réponse, pour ce qui concerne la Guadeloupe, à ces questions
dont l'actualité demeure.
Cela, de façon peut-être encore plus lancinante depuis la
disparition récente à l'échelle planétaire des rapports de
force pouvant seconder une analyse proprement
tiersmondiste.
Voyons donc ce qui en est du mal comme du remède, tels
que la Guadeloupe, tout au long de son histoire jusqu'à ce
jour, a pu les mettre en évidence dans leur rapport avec les
diverses transformations de l'économie mondiale et les
idéologies appelées à soutenir celles-ci.
10Première partieAliénation dans les sociétés esclavagistes
et post-esclavagistes
I - Aperçu sémantique et esclavage antique
L'aliénation (du latin: alienatio) signifie transmission
d'une propriété à une autrel, ou encore: éloignement,
désaffection, rupture et séparation (entre amis).
Ce terme pouvait d'autant moins s'appliquer à la situation
spécifique de l'esclave qu'accouplé à un autre désignant le
« droit », (alieni juris), il indiquait la condition de tous ceux,
libres ou esclaves, qui étaient en dehors du droit et, partant,
n'en relevaient pas.
C'était le cas de tout individu non membre de la Cité dont
les prérogatives étaient partagées, dans une société
relativement fermée, entre les fondateurs de cette Cité ou
leurs descendan

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