Dès la mobilisation du 2 août 1914, les soldats de Saône-et-Loire se préparent à partir pour le front. Avec 21 237 morts et des milliers de blessés, le département paie un lourd tribut tout au long du conflit. A l’arrière, la population est régulièrement sollicitée pour contribuer à la victoire. Terre d’asile pour les réfugiés, la Saône-et-Loire consacre son économie à l’effort de guerre, à l’image des usines Schneider qui participent à la Défense nationale. Or, la pénurie de travailleurs civils nécessite l’emploi d’étrangers, de prisonniers de guerre, de mobilisés et de femmes. Tous sont placés sous contrôle car aucun défaitisme ne doit saper l’Union sacrée. Mais à l’adhésion du début succèdent les premiers mouvements sociaux suivis d’une grande lassitude. Les pertes humaines au front, la durée du conflit, la cherté de la vie et les restrictions sont autant de motifs d’exaspération. Un remarquable travail d’archives et une sélection de documents anciens permettent à Franck Métrot et Pierre Prost de revenir sur ce qu’a traversé la population de Saône-et-Loire pendant la Grande Guerre. Ils évoquent aussi comment, une fois la paix revenue, chaque commune a voulu honorer le sacrifice de ses enfants au travers des monuments aux morts qui témoignent encore aujourd’hui du traumatisme que fut la première guerre mondiale.
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Loin du front, mais en guerre : c’est ainsi que se révèle la SaôneetLoire entre 1914 et 1918. Si le département ne subit ni destructions directes, ni invasion contrairement aux conflits de 18141815 et 19391945, pourtant, la guerre investit pendant quatre ans toute la vie publique et le quotidien des habitants.
C’est d’abord à travers ses hommes engagés dans les combats – au total 33 « classes » mobilisées, plus de 22 000 « morts pour la France » soit 7 % de la population masculine –, que le département paye son tribut. L’absence des hommes à la maison, dans les champs et les vignes, les commerces et les usines, dérègle toutes les activités à un moment où les ressources doivent être mobili sées au service d’une seule cause, la victoire. Pour l’administration locale et au premier rang de celleci, le préfet Chaleil, il s’agit tout à la fois de ravitailler la population, d’être attentif à son état d’esprit et de soutenir son moral, de pro duire toujours plus pour la Défense nationale, d’accueillir les réfugiés, d’organiser l’assistance aux victimes…
Dans les foyers industriels, au Creusot comme à Gueugnon, Montceau ou Mâcon, comme dans les zones rurales dont le bétail, le vin, les céréales et le foin sont réquisitionnés pour nourrir l’armée, hommes et chevaux, toute la population est au service d’une guerre dont les journaux peinent à cacher les effets dévastateurs. Le patriotisme, constante référence à l’époque, trouve sa traduction concrète dans la réelle générosité des SaôneetLoiriens. Ceuxci accueillent près de 3 000 familles de réfugiés, contribuent aux emprunts de la Défense nationale et versent leur écot lors des journées de solidarité comme cette « Journée de la er SaôneetLoire » le 1 août 1915, qui permet de réunir plus de 500 000 francs (environ 1,4 millions d’euros actuels) !
Ces résultats ont leur revers : au sein des familles tenaillées par l’inquiétude et le chagrin, les femmes sont dramatiquement seules pour assumer la charge matérielle et morale du quotidien. La farine et la viande sont contingentées. La maind’œuvre manque pour les moissons et les vendanges, en dépit de la soli darité des voisins et du recours aux prisonniers de guerre. Les familles évacuées des zones de combat vivent dans des conditions particulièrement précaires, au sein de communes déjà touchées par la pénurie.
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Les recherches menées dans les archives par Franck Métrot et Pierre Prost et la synthèse qu’ils en ont tirée permettent que cet ouvrage, riche d’une somme d’informations inédites, fasse revivre notre département sous tous les aspects et jusqu’à ses plus petites communes, de la mobilisation d’août 1914 aux lende mains de l’armistice. Leur étude prouve, s’il en était besoin, que « l’arrière » a aussi une histoire, longtemps éclipsée par celle du front mais tout aussi impor tante à écrire et à transmettre, cent ans – trois ou quatre générations – plus tard.
Isabelle Vernus Directrice des Archives départementales de SaôneetLoire
Introduction
La SaôneetLoire de 1914 est marquée par une baisse constante de population, débutée plusieurs décennies auparavant. Depuis son maximum démographique enregistré lors du recensement de 1886 avec 625 885 habitants, ce chiffre n’a eu de cesse de diminuer. Si, à l’instar des autres départements, la SaôneetLoire n’a plus connu de guerre depuis quarante ans, les séquelles de l’occupation prussienne (notamment dans sa partie septentrionale) sont encore sensibles dans la mémoire collective. Aussi, lorsque les hostilités éclatent en août 1914, chacun veut accomplir son devoir. On croit alors à une guerre courte ; seuls quelquesuns entraperçoivent l’hécatombe entraînée par les armes modernes. S’il n’est pas directement concerné par les combats, le département est néan moins impliqué à grande échelle tout au long du conflit. Comme tous ceux de l’arrière, il sert de réservoir pour les troupes toujours plus abondantes que le pays doit fournir. De plus, une économie de guerre se met rapidement en place et la population doit non seulement consacrer une partie de ses ressources à l’effort national mais aussi subir les restrictions et privations de toutes sortes. Dans le même temps, son éloignement du front fait de la SaôneetLoire un lieu d’accueil pour diverses catégories de personnes : réfugiés évacués des zones de combat, soldats blessés envoyés en convalescence ou en soins, soldats revenant ou partant au front. Les étrangers sont aussi internés dans deux camps à Cuisery et Blanzy. Un climat de méfiance règne en effet, les autorités surveil lant de près l’état d’esprit des habitants. Malgré les vicissitudes, le département se préoccupe très tôt de secourir la population. Aux aides accordées au niveau national s’ajoutent des initiatives locales, notamment à destination des soldats de SaôneetLoire. Deux idées majeures soustendent ces mesures : la crainte d’un effondrement de l’arrière aux conséquences dramatiques dans la tournure des événements et la volonté de préparer l’aprèsguerre, notamment par la réinsertion des soldats blessés ou mutilés dans la vie civile. À l’armistice, face au traumatisme des combats et à la saignée des jeunes classes connue par toutes les communes du département, la plupart érigent des monuments commémoratifs qui viennent s’inscrire dans le paysage. Ils sont autant de témoignages du respect des survivants pour le sacrifice consenti au nom de l’idéal patriotique.
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1. La SaôneetLoire en 1914
Données géographiques et démographiques
La SaôneetLoire, avec une superficie de 862 600 hectares, regroupe des diver sités géographiques : plaines de la Bresse, monts du Charolais, bords de Saône, rives de la Loire, Morvan. En 1914, le département est découpé en 50 can tons et comprend 589 communes. Sa démographie est inégalement répartie dans les cinq arrondissements : Autun (cheflieu diocésain), 129 535 habitants dans 85 communes ; ChalonsurSaône (cheflieu judiciaire), 164 276 habi tants dans 154 communes ; Charolles, 125 965 habitants dans 138 communes ; Louhans, 84 091 habitants dans 82 communes ; Mâcon (cheflieu administratif), 100 579 habitants dans 130 communes. e À la fin du XIX siècle, des trois villes historiques, seule ChalonsurSaône voit l’installation d’activités nouvelles ; Mâcon et Autun manquent cette indus trialisation. La majeure partie des campagnes stagne ; en 1851, elles regroupent les trois quarts de la population pour seulement trois cinquièmes à la veille de la guerre. Cette diminution affecte notamment le Clunisois. Les vignobles du Chalonnais et du Mâconnais sont moins concernés par l’exode rural car ils restent prospères. Ce constat vaut aussi pour l’embouche et l’élevage du Charolais qui s’affirme comme l’une des principales régions d’élevage de France. Cette région et la Bresse louhannaise réunissent plus des deux tiers de la population rurale en 1911. Les ressources minières sont à l’origine d’industries comme Schneider au Creusot et Campionnet à Gueugnon. Ces centres industriels attirent les ouvriers dans les arrondissements de ChalonsurSaône et d’Autun, d’où une population plus dynamique. Des équipements structurants comme le chemin de fer Paris LyonMéditerranée et un réseau de voies ferrées locales doublent la route. Les bateaux à vapeur sur la Saône et les bâches sur le canal du Centre assurent le trafic commercial.
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e Le département de SaôneetLoire est le plus important de la VIII région mili taire qui réunit également la Côted’Or, le Cher et la Nièvre. En effet, il compte avant guerre 604 000 habitants, tandis que la Côted’Or n’en dénombre que 301 000, le Cher 337 000 et la Nièvre 299 000. L’intendance militaire est basée à Bourges (Cher). Au niveau militaire, une sousintendance est établie à Mâcon et une stationmagasin se trouve en gare de ChalonsurSaône.
Les élections législatives
Carte de la SaôneetLoire.
Les élections législatives de 1914 en SaôneetLoire sont qualifiées de« fertiles »par la presse puisque 36 candidats briguent les neuf sièges de députés. Elles se déroulent au scrutin majoritaire uninominal à deux tours les dimanches 26 avril et 10 mai. Le renouvellement de la Chambre des députés apporte des changements dans l’organisation même des élections. La loi du 20 mars 1914 réglemente l’affichage électoral, celle du 31 mars ayant pour objet d’assurer le secret et la liberté du vote ainsi que la sincérité des opérations électorales met en place pour la première fois l’utilisation des isoloirs dans les bureaux de vote.
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Bien qu’antérieur au conflit, ce scrutin se réfère à la situation allemande et inter nationale. Les trois thèmes principaux sont la loi militaire, l’impôt sur le revenu et la réforme électorale. Ces trois sujets sont indissociables car la loi militaire alourdit le budget de l’État. Le journalL’Union républicaine, dans son édition du 24 mars, souligne le surcoût de 800 millions de francs qu’elle entraîne. Aussi, pour la première fois, le budget national dépassetil les 5 milliards en 1914 et cette question n’atelle pu être tranchée en raison de la représentation propor tionnelle bloquant le travail des chambres. La loi Barthou, votée le 19 juillet 1913, porte la durée du service militaire à trois ans. L’âge d’incorporation est abaissé d’un an et passe donc à 20 ans. Cette modification permet d’avoir une force militaire comparable à celle de l’Allemagne. Certains candidats sont favorables à un retour au service à deux ans, notamment les candidats SFIO. Mais, même dans ses rangs, la question allemande divise. Ainsi, lors d’une réunion publique à ChalonsurSaône, à la question du sénateurmaire Richard : «Quelle serait l’attitude de votre parti et la vôtre en présence des Allemands prêts à nous tirer dessus ?», Charles Futin, candidat e SFIO de la 2 circonscription de Mâcon répond : «Les socialistes se refusent à lutter pour les intérêts capitalistes !» Ce que Bouveri (socialiste) tempère en déclarant que les socialistes seraient prêts à faire leur devoir de Français. La représentation proportionnelle (RP) est aussi au cœur du débat. Simyan (radical) avance que la RP a empêché tout travail et toute réforme d’aboutir e pendant la 10 législature. Pour lui, «c’est le Sénat qui a repoussé la RP : il a rendu un immense service à la République et l’a défendue aux heures troubles du nationa lisme». En revanche, le candidat Bouveri est favorable à ce mode de scrutin qui est le plus logique pour combattre les partis bourgeois «actuellement en véritable décomposition qui veulent, pour conserver leur équilibre, continuellement avoir un pied chez les républicains, pendant que l’autre est chez les financiers réactionnaires». Alors que ces deux partis luttent contre la réaction, leur point de vue diverge sur la RP. Pour les radicaux, elle serait un instrument au service de la réaction alors que pour les socialistes, elle permettrait de la combattre.
e Sous la III République, les élections antérieures à la Grande Guerre, plus que des élections de partis, hétérogènes à droite et confus à gauche, sont avant tout celles de candidats. Ainsi, dans la deuxième circonscription d’Autun, le député sortant, Coureau, est considéré comme le représentant d’Eugène II Schneider. Candidat à sa réélection, il s’appuie sur les voix du canton du Creusot ; il est toutefois battu par Bras, candidat socialiste. Le candidat socialiste Ridet, simple conseiller municipal de Louhans, est crédité uniquement de suffrages dans la ville et les campagnes environnantes.A contrario, la personnalité de Bouveri, dans la première circonscription de ChalonsurSaône, rend insignifiantes les autres candidatures, notamment celle du Parti radical.