La social-démocratie sous Bismarck
264 pages
Français

La social-démocratie sous Bismarck , livre ebook

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264 pages
Français

Description

La social-démocratie allemande prend dès l'origine des positions remarquées : les socialistes refusent de soutenir l'effort de guerre allemand en 1870 et clament leur solidarité envers la Troisième République. Mais le parti fait face à des mesures qui l'empêchent d'exister obligeant les militants à diversifier leurs modes d'intervention. Cet ouvrage fait revivre ce passé pour observer comment le parti révolutionnaire le plus puissant du 19e siècle accompagna l'Allemagne dans la modernité.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2013
Nombre de lectures 20
EAN13 9782336327839
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La social-démocratie allemande, née précocement en une période mouvementée, prend dès l’origine des positions ô combien remarquées. Ainsi les socialistes, n’imaginant pas abdiquer leurs convictions internationalistes même au moment où se constitue leur nation, refusent en 1870 de soutenir l’effort de guerre allemand, ils clament leur solidarité envers la Troisième République puis s’opposent de manière véhémente à l’annexion de l’Alsace-Lorraine. Devenu la bête noire des autorités, le parti doit faire face à des mesures coercitives toujours plus sévères, qui le privent progressivement de la possibilité d’exister légalement. Cependant la répression donne lieu à un autre effet, inattendu : elle incite les militants à diversifier à l’infini leurs modes d’intervention. Outre les champs d’action classiques, propagande politique et travail parlementaire (car les socialistes conservent le droit de se présenter aux élections – et de les gagner !), le parti développe ses organisations syndicales, coopératives et caisses d’entraide, et systématise aussi des structures bien différentes, d’apparence inoffensive. Théâtres, chorales et clubs de gymnastique, sociétés d’éducation, cabinets de lecture, lieux de convivialité ou restaurants ouvriers, il pilote alors pléthore d’associations culturelles et sportives, qui forment bientôt des réseaux incontournables dans la plupart des villes allemandes. En une génération, ce mouvement se fraye un accès à la population laborieuse, prenant part à la vie de millions de petites gens, voire organisant leur quotidien. En termes d’implantation, cela signifie une présence militante dans toute la société, jusque dans les couches les plus pauvres, d’où la capacité de transmettre ses mots d’ordre avec une redoutable efficacité et d’influencer l’ensemble de la vie publique. Des structures non politiques jouent donc un rôle de premier plan dans la construction d’un parti éminemment politique, et ce n’est pas la moindre des contradictions dont le SPD est pétri. Lui qui vise au renversement de l’ordre social et épilogue sur l’inutilité des élections, trouve une large audience justement au travers des élections, gagnant par elles crédit politique et renforts organisationnels. Le présent ouvrage se propose de faire revivre ce passé si riche et complexe, pour observer comment le plus puissant parti révolutionnaire e du 19 siècle accompagna l’entrée de l’Allemagne dans la modernité.
Anne DEFFARGES
LA SOCIAL-DÉMOCRATIEAnne DEFFARGES SOUS BISMARCK
Histoire d’un mouvement qui changea l’Allemagne
LA SOCIAL-DÉMOCRATIE SOUS BISMARCK
Anne DEFFARGES LA SOCIAL-DÉMOCRATIE SOUS BISMARCK Histoire d'un mouvement qui changea l'Allemagne
© L’HARMATTAN, 2013 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01761-7 EAN : 9782343017617
Introduction
La représentation des Français en peuple insoumis et contestataire, tandis qu'en Allemagne on serait incapable de ces grands élans collectifs, se perpétue depuis des décennies. Au point que de nos jours, il n'est pas rare en Allemagne, dans les conversations entre collègues ou amis commentant l'actualité, d'entendre dire qu'il faudrait « faire comme les Français » : « Dès que quelque chose ne leur plaît pas, ils descendent dans la rue comme un seul homme ». Certains ont même baptisé cela « apprendre à parler français » ! De ce côté-ci du Rhin, écoles, manuels d'histoire, romans, ont longtemps participé à une approche plutôt positive de la contestation, des barricades et même de la révolution ; comme en un miroir, cette vision a contribué à perpétuer l'image moins romantique d'un peuple allemand enfermé dans le carcan de la discipline et de l'obéissance aux lois. Car l'évocation d'un peuple aimant l'ordre, obéissant aveuglément à ses dirigeants, donc pour ainsi dire viscéralement incapable de contester l'ordre établi, cette évocation est, elle, essentiellement négative.
Il est pourtant des époques pas si lointaines où les personnes éprises de progrès, avides d'émancipation politique et sociale, portaient leurs regards vers l'Allemagne. Le puissant mouvement ouvrier de ce pays incarnait l'espoir d'améliorer le monde. Ce fut le cas dans l'entre-deux-guerres pratiquement jusqu'en 1933, et surtout dans la période précédente, pendant tout le demi-siècle qui
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LA SOCIAL-DÉMOCRATIE SOUS BISMARCK
court des années 1860 jusqu'à la Première Guerre mondiale, quand le centre de gravité du socialisme international se situait en Allemagne.
C'est une histoire en grande partie oubliée. La social-démocratie souvent associée à la trahison de 1914, à la collaboration à l'effort de guerre, à la répression des spartakistes, n'a pas bonne image. Elle acheva d'être chassée des mémoires, comme tant d'autres pans de l'histoire allemande, par le terrible passé nazi. Sans compter que le lien physique, politique et moral entre les militants ouvriers d'avant et après la Seconde Guerre mondiale avait été irrémédiablement détruit par l'assassinat massif des militants communistes, socialistes et syndicalistes dans les geôles nazies et les camps de concentration ; les militants de l'après-1945 se trouvèrent pratiquement sans passé.
e Pendant le dernier quart du XIX siècle, le parti socialiste se déploya pourtant en un énorme parti de masse, de taille peut-être à ébranler cet Empire allemand qui paraissait si fort, et il incarnait, pour l'ensemble du mouvement socialiste international, le modèle à suivre. Malgré cela, il n'existe pratiquement aucun ouvrage d'ensemble sur cette histoire ; les rares chapitres qui lui sont consacrés passent rapidement sur la naissance et la jeunesse du 1 parti, qui demeurent particulièrement mal connues .
1 Signalons l'ouvrage de Joseph Rovan,Histoire de la social-démocratie allemande, Seuil, 1978, mais seules les pages 30 à 80 concernent les jeunes années de la social-démocratie, celles qui nous occupent ici. Il en va de même pour la volumineuseHistoire du socialismede Jacques Droz (PUF, 1974, en 4 tomes), dont moins de quinze pages (les pages 21 à 34), concernent l'Allemagne et les années précoces. Dans les deux cas, les informations sont nécessairement d'ordre général. Quelques biographies de dirigeants sociaux-démocrates (notamment de Gilbert Badia, de John Peter Nettl) ont contribué à faire connaître ce parti, mais ce n'est pas leur objet principal et il s'agit là encore, pour l'essentiel, de la période ultérieure (à partir du milieu des années 1890). Citons enfin les ouvrages d'Aloïs Schumacher,La social-démocratie allemande et la Troisième République. Regard de la revueDie Neue Zeit, 1883-1914, CNRS Ed., 1998, et de Jacques-Pierre Gougeon,La social-démocratie allemande, 1830-1996. De la révolution au réformisme, Paris, Aubier, 1996.
Introduction
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La présente étude, qui combine approche politique et socio-culturelle, s'intéresse donc à la genèse du mouvement socialiste dès les années 1860, à son développement précoce et à son enracinement dans la société allemande des décennies 1870 et e 1880, pour se clore au crépuscule du XIX siècle. L'ensemble de cette période recouvre à peu près ce qu'on a coutume d'appeler l'ère Bismarck (1862-1890), tant il est vrai que le « chancelier de fer » influença le destin de l'Allemagne durant ces trois décennies. Après l'éviction de Bismarck en 1890, sous la conduite de Guillaume II, le pays entre dans une nouvelle phase de développement, caractérisée par une politique extérieure plus belliqueuse. Les classes dirigeantes, préoccupées de rattraper le retard du pays dans la conquête coloniale, se résignent à reconnaître partiellement certaines exigences du mouvement ouvrier, tandis que la social-démocratie se voit progressivement concéder des formes d'existence légale, à vrai dire d'abord très hypothétiques. La social-démocratie change donc également d'époque, et les années 1890, avec la mort de Friedrich Engels en 1895, voient l'arrivée graduelle aux commandes d'une nouvelle génération de dirigeants, les Karl Kautsky, Eduard Bernstein, Georg von Vollmar venant remplacer la génération des parents et vétérans, parmi lesquels August Bebel, Minna Kautsky ou Wilhelm Liebknecht.
Des débats inédits traversent alors la social-démocratie, concernant notamment la proposition d'Eduard Bernstein, en 1893, de participer aux élections pour leLandtagPrusse de (l'abstention avait toujours été la règle des socialistes pour cette 2 élection ), la possibilité de constituer des listes électorales en commun avec d'autres partis, le vote du budget dans certains parlements régionaux (dont leLandtagde Bavière) ou encore le programme paysan. Avec le révisionnisme, E. Bernstein théorise le renoncement à la révolution et s'attire la fameuse réponse de
2 LeLandtagou parlement de Prusse, le plus important et le plus puissant des parlements régionaux, était élu selon le suffrage des trois classes, un mode de suffrage indirect et surtout très inégal, qui en fermait hermétiquement l'accès aux socialistes. Ces derniers s'abstenaient mais profitaient de l'élection pour faire de l'agitation en faveur de l'extension du suffrage égal, direct et universel (hommes et femmes) à toutes les consultations électorales.
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