Le 8 mai 1945 en Algérie
283 pages
Français

Le 8 mai 1945 en Algérie , livre ebook

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Description

Voici une analyse des discours français, de 1945 à nos jours, sur les massacres de Sétif, Kherrata et Guelma. Le mot "massacre" y avait un sens très restrictif puisqu'il ne servait qu'à désigner les victimes françaises. Ces euphémismes, qui ont longtemps voilé la réalité des faits, ne se dissiperont qu'au début des années 1990, date d'un nouveau discours français, bien résolu à revisiter les émeutes algériennes, et surtout leur répression, de façon claire et directe, et où le mot massacre sera utilisé pour désigner aussi les victime algériennes.

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Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 323
EAN13 9782296258754
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Le 8 mai 1945 en Algérie Les discours français sur les massacres de Sétif, Kherrata et Guelma
MEHANA AMRANI Le 8 mai 1945 en Algérie Les discours français sur les massacres de Sétif, Kherrata et Guelma L’HARMATTAN
DU MÊME AUTEUR DICTIONNAIREKATEBYACINE, Paris, Le Manuscrit, 2007. Cette étude a bénéficié du financement du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du Canada L’auteur exprime ses remerciements à Daniel et Maya Larangé et à Mustapha Ettobi © L'HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-12073-0 EAN : 9782296120730
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Introduction
1 Longtemps oubliés ou confinés dans des études académiques des historiens algériens et français, les massacres de mai 1945 dans les villes de Sétif, Kherrata et Guelma, et leurs régions, sont propulsés depuis les années 1990 au statut des massacres colo" niaux les plus médiatisés. Cette surmédiatisation met alors en scène et en branle, de part et d’autre des deux rives franco" algériennes de la Méditerranée, des discours divers, parfois aux antipodes les uns par rapport aux autres. Ces discours d’aujourd’hui sur des massacres perpétrés il y a plus de 60 ans ne font, en fait, que s’ajouter à des dicibles formulés dans le feu même de l’événement. Aussi sommes"nous fondé à émettre 2 l’hypothèse que ce massacre colonial relève, par son ampleur et
1 En fait, les études exclusivement sur le 8 mai 1945 sont plutôt rares avant le début des années 1990. Dans le contexte des massacres, elles étaient quasi inexistantes au point que l’historien français Guy Pervillé ne trouve qu’un seul ouvrage : « Dans les années suivantes, un seul livre est consacré à l’insurrection de mai 1945 par un élu français d’Algérie, celui d’Eugène Vallet,Le drame algérien. La vérité sur les émeutes de mai 1945. Les grandes éditions françaises, 291 p, 1948 ». (Guy Pervil" lé, « Le 8 mai 1945 et sa mémoire en Algérie et en France », Communication don" née lors du colloqueMémoire et Histoire, 60 ans après le 8 mai 1945. Le colloque a été organisé par la Stiftung Genshagen au Château de Genshagen (Berlin), 29"30 avril 2005. Le texte de la communication a été mis en ligne le 26 mars 2006 sur le site de l’auteur : http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3 ?id_article=59 /. 2 Le nombre exact des victimes algériennes n’est pas connu. Il est d’ailleurs source de polémiques depuis pratiquement l’année 1945. Les autorités coloniales françai" ses présentent des chiffres contradictoires, selon des sources diverses. Les histo" riens français donnent d’autres estimations. Les milieux nationalistes algériens de l’époque, puis le pouvoir algérien d’aujourd'hui retiennent le chiffre de 45 000 vic" times. Bref, il existe des discours contradictoires sur les statistiques des victimes algériennes qui méritent d’être interrogés dans leurs fondements argumentaires. Ces statistiques varient de 500 à 80 000 victimes.
3 son impact politique , de ces événements de masse qui sécrètent un double dicible, l’un se mettant en forme dans l’immédiat et l’autre se projetant dans la longue durée. En France, désormais, le rituel commémoratif du 8 mai 1945, 4 jour de la victoire contre l’Allemagne nazie, n’éclipse plus « l’autre 8 mai 1945 », le 8 mai algérien, lequel donne lieu à di" vers discours politiques, journalistiques et académiques. La pré" sente étude se propose justement de mettre au jour ces discours français tels qu’ils se sont configurés sur la longue durée histori" que, c’est"à"dire depuis le déclenchement des émeutes le 8 mai 1945 et jusqu’au temps présent. Comme il fallait s’y attendre, les discours français d’hier ne ressemblent guère à ceux d’aujourd’hui. Et pour cause, les locu" teurs français des années 1940, qu’ils soient politiques, médiati" ques ou même universitaires, avaient une perception de l’événement algérien largement déformée par un regard, ou un prisme, typiquement colonial ; regard qui ravalait alors 3  Les historiens français et algériens sont unanimes à voir dans les massacres du 8 mai 1945 le prélude à la guerre de libération algérienne de 1954"1962. Voir à ce propos, par exemple, le livre d’Annie Rey"Goldzeiguer,Aux origines de la guerre d’Algérie : de Mers El$Kébir aux massacres du ord$Constantinois, Paris, La Dé" couverte, 2001 et l’article de Mohamed Harbi, « La guerre d’Algérie a commencé à Sétif »,Le Monde Diplomatique, mai 2005, p. 21. En vérité, Kateb Yacine a précé" dé, de presque quarante ans, Mohammed Harbi et d’autres historiens dans la for" mulation explicite de l’idée d’une relation directe entre les massacres du 8 mai er 1945 et la révolution du 1 novembre 1954, puisqu’il écrit dansL’Algérien en Eu$ rope, no 59, 1968 (article reproduit dansMinuit passé de douze heures, Paris, er Seuil, 1999, p. 302"308) : « Le 8 mai 1945 a préparé le 1 novembre 1954. Les événements de 1945 ont joué un rôle déterminant dans la formation du nationa" lisme de l’après"guerre ». Kateb explique largement la relation entre les deux dates en citant même le général français Tubert qui déclara : « Le conflit actuel (1954" 1962) est né pour une bonne part de cette répression aveugle (1945) ». Mais en fait, l’idée est déjà clairement exprimée par Robert Aron et ses coauteurs dans le livre Les origines de la guerre d’Algérie, publié en 1962 chez Fayard à Paris. 4  L’historien Jean"Pierre Peyroulou note à ce sujet : « Sur un plan plus médiatique, le souvenir du 8 mai 1945 s’affirma avec force en 2005 : pour la première fois, un quotidien français,Libération, faisait sa une non pas sur la fin de la guerre en Eu" rope mais sur le 8 mai en Algérie. » (Jean"Pierre Peyroulou, « Pour une histoire des événements de mai"juin 1945 à Guelma », préface au livre posthume de Marcel Reggui,Les massacres de Guelma. Algérie, mai 1945 : une enquête inédite sur la furie des milices coloniales, Paris, La Découverte, 2006, p. 14). 8
« l’indigène » au statut d’une catégorie humaine infériorisée. C’est pourquoi ces locuteurs ne témoignaient que d’une empa" thie discriminatoire envers les victimes françaises et algériennes, en médiatisant à profusion les premières et en ignorant totale" ment les secondes. Devant cet état de fait, on ne s’étonnera pas de relever que, sous la plume et dans la bouche des locuteurs français, le mot"clé massacres ait pris une signification très singulière, car il ne s’appliquait qu’à désigner exclusivement les victimes françaises. Ce n’est que sur le tard, des années après l’indépendance algé" rienne, que l’emploi restrictif du motmassacresabandonné est au profit d’un sens élargi. Il est alors utilisé par de rares auteurs français, comme l’écrivain Michel Tournier, pour désigner, cette fois"ci, les victimes algériennes de mai 1945. Dans un premier temps, nous proposons de suivre le curieux parcours sémantique du motmassacresdans le discours français sur le 8 mai 1945 algérien sur une longue période historique ; parcours qui nous paraît exemplaire, en ce sens qu’il opère tel un révélateur de l’évolution du regard français porté sur le fait colo" nial algérien, plus particulièrement dans ses épisodes les plus noirs et donc les plus controversés, comme celui de la fracture de mai 1945. Le deuxième chapitre de notre étude se rapporte à la parole politique officielle sur les émeutes. Ne pouvant totalement se dérober devant un événement qui a ébranlé la sérénité de l’empire colonial en Afrique du Nord, les politiques français ont naturellement formulé un dicible de l’immédiat. Toutefois, ils ont scruté les massacres du 8 mai 1945 avec les lorgnettes colo" niales de l’époque et, surtout, ils en ont discouru en fonction de leurs statuts hiérarchiques dans l’administration coloniale. Un de ces hommes politiques français à aborder, dès le 11 mai 1945, les émeutes algériennes de l’après"guerre, n’est autre que le général de Gaulle. Chef du Gouvernement Provisoire de la République Française, il exprimait alors le point de vue officiel sur ce massacre colonial. Quoique brève et rare, la parole gaul" lienne sur le 8 mai 1945 algérien révèle, quand on l’analyse du
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point de vue de la signification du discours social, une richesse rhétorique insoupçonnée. En effet, celle"ci mobilisait les figures de la performance langagière ― où le verbe se transforme en 5 mode d’action ―, du laconisme, de l’euphémisme et du mu" tisme. 6 7 Homme de plume et de parole , le général de Gaulle a, pour" tant, depuis le déclenchement des émeutes et jusqu’à sa mort en novembre 1970, si peu parlé du 8 mai algérien. Et justement ce « si peu » nous paraît immense et extraordinaire, au vu d’un côté de l’ampleur de l’événement, et de l’autre côté, du statut public du Général et de sa propension à parler longuement, à la même époque, d’autres événements comme ceux du « Levant ». La ra" reté de la parole gaullienne sur le 8 mai 1945 algérien n’est"elle pas révélatrice du malaise discursif ― malaise qui est lui"même une forme de discours se déclinant sur le mode implicite du non" dit ― de ce locuteur dans un contexte précis où l’interlocution publique n’était guère aisée, tant la thématique ― un grand mas" sacre colonial ― incommodait le même locuteur parce que jus" tement elle engageait directement sa responsabilité ? Il y a évi" 8 demment ― et Oswald Ducrot nous le détaille fort à propos ―, des contextes et des thématiques où parler, c’est se compromettre et s’auto"accuser, combien même on pouvait jouir d’un statut public si enviable comme celui du général de Gaulle au sortir de la Seconde Guerre mondiale.
5 John Langshaw Austin,Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil, 1970. 6 N’oublions pas que le général Charles de Gaulle est non seulement un auteur proli" fique, mais aussi un écrivain au style unanimement loué. Qu’on songe à la perfec" tion de sa prose qui se dégage des centaines de pages qu’il a rédigées pour ses Mémoires, eux"mêmes répartis en plusieurs volumes, en plus des autres écrits sur l’histoire de l’armée française. 7 Comme homme public et acteur essentiel de la vie politique française et mondiale du vingtième siècle, le général de Gaulle est évidemment un homme de parole et de discours. Dans le contexte des émeutes algériennes de mai 1945, il a prononcé plu" sieurs discours se rapportant essentiellement à la fin de la Deuxième Guerre mon" diale et aux perspectives qui s’offraient alors à la France et au Monde. Chaque se" maine, il présidait aussi un Conseil des ministres où les échos de quelques"unes de ses interventions se trouvaient répercutés dans les médias français. 8 Oswald Ducrot,Dire et ne pas dire, Paris, Hermann, 1972. 10
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