A chacun sa raison
314 pages
Français

A chacun sa raison , livre ebook

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314 pages
Français

Description

En proposant un cadre théorique dans lequel le logocentrisme occidental et l'onto-mythologie africaine peuvent se rencontrer, et même en établissant la conjonction du logos et du mythos, l'auteur explore ici une voie originale qui permet de sortir des radicalismes actuels, et ouvre au nécessaire dialogue fondateur que préconisaient Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire.

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Date de parution 01 décembre 2013
Nombre de lectures 33
EAN13 9782336331270
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Bonaventure Mve Ondo
 IFAN
À chacun sa raison Raison occidentale et raison africaine
Collection Oralités Dirigée par Auguste Léopold Mbondé Mouangué
Bonaventure MVE-ONDO À chacun sa raison Raison occidentale et pensée africaine Préface de madame Michèle Gendreau-Massaloux
OUVRAGES DÉJÀ PUBLIÉS PAR LAUTEUR
L’Owani et le Songa, deux jeux de calculs africains, CCF Libreville et Sépia, 1991. Sagesse et initiation à travers les contes, mythes et légendes fang, 1991, réédition L’Harmattan, 2005. Afrique : la fracture scientifique, Futuribles, 2005.
© L'Harmattan, 2013 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-01112-7 EAN : 9782343011127
PRÉFACEUn passeur d’épistémè
Voici deux livres en un : le premier consacré au rapport entre sujet, univers de signification et transcendance dans l’ontologie occidentale ; le second tourné vers les mêmes concepts lus à travers la mythologie Fang. Dans cette alliance réussie de deux composantes apparemment hétérogènes réside l’apport original de Bonaventure Mvé Ondo à la pensée philosophique. Ontologie et ontomythologie, rapportées aux textes à travers lesquels elles se déploient, marquent sous sa plume leur portée, leur limite et leur relation. Les rapports entre intériorité et transcendance ont façonné les représentations de l’ontologie, tant dans ses occurrences logocentriques qui, de Kant à Heidegger, examinent la transcendance de l’intelligible, que dans la révélation du Verbe divin que nous offre, entre autres, l’œuvre de Saint Augustin. Bonaventure Mvé Ondo en approche avec profondeur les configurations historiques comme autant de narrations engageant le sujet dans son rapport au monde. Mais là où la plupart des philosophes se déplacent dans le champ clos du dualisme cartésien et des tentatives de dépassement qui en conservent les présupposés, il ajoute l’ensemble souvent forclos de ce qu’il appelle « l’univers de signification ». Il intègre ainsi des situations, des émotions, des comportements liés au contexte culturel, en l’occurrence africain, bien que la méthode puisse, comme le montre le livre, valoir aussi pour des aires culturelles éloignées de ce continent, par exemple la Chine. L’auteur saisit la résonance philosophique du mythe, qui évoque les virtualités de la condition humaine et son lien à l’invisible. La méthode ontomythologique qui se trouve mise en œuvre analyse les différents sens des légendes, des contes, des récits transmis oralement et en découvre la richesse interne. Mais elle a aussi valeur de passerelle en rattachant les formes et les outils de la pensée occidentale aux questions que posent les gestes traditionnelles Fang quant à l’origine de l’humanité, à la chute, à l’interdit, à la quête de soi, au partage entre nature, animalité et humanité. Pour devenir ce passeur, Bonaventure Mvé Ondo ne s’est pas contenté de relire chacun des textes essentiels de la philosophie en tant qu’elle creuse la
question du sujet dans son rapport au monde et à la transcendance, il les a traversés d’une même et respectueuse interrogation sur la forme du discours qui les façonne. Aussi le voyage auquel il nous convie ne peut-il être qu’interminable : il circule depuis l’avènement du subjectivisme et son inscription entre mythos et logos jusqu’aux moments qui, dissolvant le sujet dans ses déterminants – sociolinguistiques, psychanalytiques, etc -, réconcilient intériorité et extériorité. Un des apports majeurs de cette enquête est de montrer la possibilité d’un commentaire qui, tout en reconnaissant l’existence d’une évolution diachronique, ne cède rien à un historicisme positiviste qui ne verrait dans l’histoire de la philosophie occidentale qu’un passage progressif de l’ombre des mythes à la lumière de la raison. Certes, le discours du Vrai est passé, en Europe, du discours mythique à une rhétorique philosophique. Il s’est donné pour moyen de séparer le vrai du faux, la conscience critique ou la raison est née de cette exigence qui allait de pair avec le sentiment que l’ambiguïté devait être levée, un versant du sens préféré à l’autre. L’histoire de la Grèce antique, à l’âge archaïque puis à l’âge classique, passe par la naissance d’un langage qui s’engage vers la recherche de la vérité à partir de récits mythiques. « Proclamer des choses vraies », selon l’expression d’Hésiode, telle est la fonction d’un propos qui, à travers la différence de ses formulations, a pour but de révéler l’origine du monde et le rapport 1 qu’entretient avec lui la pensée en acte. Et la philosophie, selon ses propres généalogistes, est née de cette séquence qui a donné à la raison le rôle d’une maîtresse de vérité :
« Dans le monde du mythos, l’un se mêle continuellement à l’autre, tout se double ou se ‘frange’ de son contraire. Or, avec le développement de la pensée, cette ambivalence est ressentie progressivement comme une ambiguïté (et déjà chez Hésiode) qui, par la suite, paraîtra de moins en moins tolérable : d’où, pour tirer 2 au clair cet enchevêtrement du vrai et du faux, naîtra la philosophie » .
Mais cette succession temporelle ne doit pas dissimuler que la pensée mythique n’a pas disparu avec l’avènement de la philosophie, liée à l’essor occidental du logocentrisme. D’une part, dans d’autres contrées du monde, jamais la seule rationalité discursive n’a constitué le point de passage obligé de la pensée du sujet dans son rapport à la transcendance. D’autre part, comme le souligne François Jullien lui-même, « derrière la clarté du logos 1 - «Du dedans de la tradition, on a surtout été sensible à la rupture qui s’opère entre la vérité proclamée, inspirée, propre aux maîtres de la Grèce archaïque, et la vérité déduite, prouvée, argumentée – devenue logique - qui caractérisera le discours philosophique. Mais, d’une époque à l’autre, il reste une fonction commune : dire le vrai. La nature du vrai a changé, mais subsiste le fait de dire», François Jullien,Le sage est sans idée, Le Seuil, 1998, p. 101. 2 - François Jullien,op. cit., p. 98.
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s’amasse toujours l’ombre des mythes ; en dépit de la critique de la raison, leur emprise ne disparaît pas. Voir la raison qui s’en détache y reconduit ensuite ; et, sous d’autres formes, notamment celle, classique, de la raison et 3 de la foi, le débat s’est poursuivi. » Les deux parties du livre de Bonaventure Mvé Ondo ne font donc que prendre le même problème sous deux jours différents, dans deux éclairages culturels distincts. Les chapitres relatifs aux représentations de l’ontologie classique montrent comment la subjectivité, dans les incarnations que lui confère l’ontologie, se traduit par un ensemble de disjonctions et d’analyses de chacun des constituants du soi dans des positions isolées, plus ou moins capables de trouver à l’intérieur de leurs ressources propres les moyens de leur rencontre avec l’au-delà du monde. La situation extrême de l’affirmation solipsiste fait partie des impasses rencontrées et décrites. A l’inverse, dans les traditions ontomythologiques, la socialité première et le « nous » dans lequel se fond le sujet individuel dessinent les trajets d’une l’humanité soucieuse de différenciation et sans cesse confrontée à un vouloir supérieur, bénéfique ou/et maléfique. Les mythes fang donnent à sentir, à penser, à rêver. Les données séparées ou contradictoires de l’expérience ne sont plus isolables, elles participent d’une représentation totalisante, et leur imagerie métaphorique articule les tensions de notre condition. Le sujet lui-même ne se distingue plus du monde dont il fait partie, il est principe actif de celui-ci, à la fois lieu de l’imaginaire et de l’existence. Le mythe n’est ni synthèse, ni position, ni affirmation, mais ouverture et relation. Le « je » pris dans le nous devient un lieu de passage, qui, pour reprendre une belle expression de l’auteur, « découvre et dénonce l’oubli de l’Etre ». Il faut lire les différentes versions du mythe de l’Evus, dans lesquelles le soleil, la lune et les étoiles, même s’ils habitent le ciel, se conduisent comme des humains. Si l’on s’arrête au stade final du conte, qui porte sur le règne d’Evus, on y trouve une figure de cette sorte de génie qui, après avoir été un être faible, ignorant le côté caché des choses, est devenu dans un second temps capable d’accéder à l’ordre invisible du monde, et enfin un homme puissant dans deux sens opposés ; d’abord dans un sens social, il acquiert un pouvoir magique, puis dans un sens anti-social, car il utilise la sorcellerie pour dévorer tout ce qui passe à sa portée, chèvres, moutons, poules, et même jeune fille. Pour ajouter encore à la richesse des propositions de lecture suggérées par Bonaventure Mvé Ondo, je me demande s’il ne faut pas chercher dans ce mythe, outre les dimensions qu’il développe de façon convaincante, c’est-à-dire une cosmologie, une théorie du temps, la dimension ontologique de la rupture et du refus, une problématique du mal entendu comme la conséquence de la chute de l’homme dans l’existence), une 3 -Id., p. 97
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métaphore du rapport, essentiel, de l’humain à l’incorporation. Le processus carnivore, on le sait, est à la fois une condition de la survie et de la relation à la transcendance, même lorsque les individus en tant que personnes refusent l’ingestion de viande, et même s’ils ne reconnaissent l’existence d’aucun Dieu :
« Si même nous ne le savions pas depuis toujours, et au moins depuis deux mille ans, la psychanalyse nous l’apprendrait : les ‘végétariens’ peuvent aussi incorporer, comme tout le monde et symboliquement, du vivant, de la chair et du sang – d’homme ou de Dieu- […]. Les athées aussi, ils aiment encore ‘manger . 4 l’autre’. S’ils aiment, du moins, car c’est la tentation de l’amour même »
Le déplacement permanent depuis une véritable déconstruction de l’ontologie jusqu’à une approche des mythes dans leur rapport aux thématiques de l’ontologie ainsi « élargie » pose le problème de ses limites. En suivant pas à pas cette mise en abyme, je suis tentée de penser que Bonaventure Mvé Ondo serait bien placé pour s’engager dans une lecture ontomythologique des grands textes philosophiques de l’Occident, qui pourrait l’amener à se demander si l’on ne peut pas lire ces textes, qui constituent la base, dans de nombreux pays d’Europe, de l’enseignement philosophique, comme autant de mythes fondateurs. Un pas encore, et il serait sans doute amené à reposer à sa façon la question de Jean-Luc Nancy 5 concernant la déconstruction du christianisme . Ce qui est déjà acquis en tout cas, c’est que ce livre participe pleinement de la double exigence, que ressentent tous les spécialistes de sciences sociales, d’aller plus avant dans la pénétration des pouvoirs et des ressources de chaque culture, et, d’autre part, de faire que les procédures de narration et d’exposition propres à chacune participent d’une approche scientifique partagée. Lorsque par exemple Bogumil Jewsiewicki étudie comment l’univers scolastique des chercheurs et le monde des pratiques (y compris celles de la recherche elle-même) « ne peuvent s’exprimer l’un dans l’autre sans un 6 travail de traduction » , il souligne, à partir de son étude sur les pratiques de sorcellerie/guérison en Afrique, que la négociation qui doit se mettre en place pour opérer ce travail passe par l’abandon de la seule tradition scolastique occidentale :
4 - Jacques Derrida,inJ.D., Elisabeth Roudinesco,De quoi demain, Fayard-Galilée, 2001, p. 114. Cf. aussi Jacques Derrida et Gianni Vatimo,La religion, Le Seuil, 1996, p 67-68, et Jacques Derrida, « Il faut bien manger,» inPoints de suspension, Galilée, 1992. 5 - Jean-Luc Nancy « La déconstruction du christianisme », inLes Etudes philosophiques, n°4, 1998. 6 - Bogumil Jewsiewicki, « Pour un pluralisme épistémologique en sciences sociales »Annales, 56ème année, n°3, mai-juin 2001, p. 629.
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« Le pluralisme ne saurait venir de l’universalisation d’une vision du monde, d’uneépistémologie, d’une tradition philosophique construite en termes d’héritage et d’origine. Il ne peut venir que de la conversation conjonctive basée sur le respect de l’autonomie de chaque tradition, autonomie combinée avec la valorisation de l’adaptation […]. Cependant, la reconnaissance de l’autonomie des savoirs pratiques ne rend pas impraticable le savoir théorique, tout comme la dignité du particulier ne s’oppose pas à l’idée de l’universel, ce tiers idéel qui rend possible le dialogue entre ces particuliers […]. Le pluralisme épistémologique est aussi, peut-être surtout, le pluralisme des modalités de l’imaginaire qui donnent un sens au monde – une multitude de particuliers en transformation, qui pourraient 7 prendre l’universel pour horizon idéel » .
On voit apparaître, dans cette assignation des sciences sociales à la mise en œuvre d’une tâche encore à venir, ce qui constitue à mes yeux l’apport sans doute le plus prometteur de la méthode de Bonaventure Mvé Ondo. L’ouverture épistémologique qu’il préconise ne peut se limiter à la reconstruction du passé ou de l’histoire qui a façonné notre lecture des textes et des récits. Elle se doit de reconnaître au présent son rôle d’espace de négociation de ces diversités, et donc de valoriser la co-présence des principes d’écriture à l’œuvre dans le travail de collecte et d’interprétation des données de la conscience. C’est au présent que peut s’organiser la rencontre des traditions et des discours, c’est au présent que s’engage ce qui ne saurait être pensé qu’en termes d’expérimentation concrète, dans la réalité multiple des langues et des pratiques scientifiques et culturelles. De ce point de vue, on doit récuser, me semble-t-il, toute idée d’un périmètre prévisible pour le travail qui s’esquisse. Comment ne pas dire de cet événement qu’est la rencontre heureuse des cultures européennes et africaines dans le travail philosophique de Bonaventure Mvé Ondo qu’il incite à re-commencer, et tout autrement, ce travail sans fin que nous pouvons vivre au quotidien ? Michèle Gendreau-Massaloux
7 -id., p. 639-641.
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