Critique de la faculté de manger
129 pages
Français

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Critique de la faculté de manger , livre ebook

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Description

La confrontation de la philosophie et de la cuisine permet de découvrir la nature de chacune de ces pratiques et ce qui tend à les opposer. La philosophie par vocation se tient éloignée de la vie mortelle. Attachée à la vie mortelle, la cuisine fait de la nécessité de se nourrir un plaisir quotidiennement renouvelé et qui tient une place centrale dans la vie ordinaire de la plupart des hommes. Voilà pourquoi la philosophie ignore la cuisine et méprise le plaisir de manger.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 juillet 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782806123374
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Collection

Collection
SAVEURS ET SAVOIRS

dirigée par
Geneviève Lacroix
historienne de l’alimentation en Europe occidentale

L’alimentation est un fait culturel. Pour qu’une nourriture soit bonne à manger, elle doit au préalable être bonne à penser, relevait Claude Lévi-Strauss. Dans toutes les cultures, l’évolution de la gastronomie voit défiler les modes, les religions, les avancées scientifiques et médicales, les crises, les voyages et les découvertes territoriales, les tabous conscients ou non, les guerres… L’histoire et l’anthropologie de la nourriture constituent l’imaginaire qui rend un mets acceptable, délectable, ou insupportable. Parce que « saveurs » et « savoirs » ont pour étymologie commune « sapere », connaître, goûter, en latin. Et que l’on goûte mieux ce que l’on comprend mieux.
Titre
Copyright




















D/2020/4910/33
EAN Epub : 978-2-8061-2337-4

© Academia – L’Harmattan s.a.
Grand’Place, 29
B-1348 Louvain-La-neuve

Tous les droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, sont réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.

www.editions-academia.be
Dédicace







À Thérèse
PROLOGUE
L’ignorance d’une réalité qu’on ne saurait ignorer
Le philosophe ne s’occupe pas du tout des « plaisirs comme ceux du manger et du boire » 1 .
— Un silence solidaire d’un mépris —
Je souhaite examiner dans ce livre « l’ignorance » que manifeste la philosophie à l’endroit de la cuisine et du plaisir de manger, ignorance d’une réalité qu’on ne saurait ignorer. Tous les hommes, tous les jours se mettent à table pour partager des repas, consommer des plats cuisinés et la philosophie n’en dit pratiquement rien ou dévalorise les expériences qui en sont solidaires. Alors même que manger représente pour les hommes une expérience fondamentale, plusieurs fois renouvelée chaque jour et à laquelle la plupart accordent une grande importance, la philosophie ignore le manger. Méfiance, défiance, hostilité, dédain et ignorance, voilà les positions les plus courantes de la philosophie envers le plaisir de manger. Cette attitude peut prendre différentes formes qui vont de la suspicion à, pour le dire avec Nietzsche, la « volonté calomniatrice et insultante de méconnaître », en passant par le mépris et le dénigrement. On pourrait même parler de « gastrophobie ». Alors qu’ils occupent une place de premier plan dans la vie de tout un chacun, les plaisirs et les cérémonies de la table restent ignorés ou déniés par les philosophes. L’univers de la nourriture n’est pas digne du discours philosophique. La pensée philosophique ne saurait s’abaisser à prendre pour objet quelque chose d’aussi trivial, banal, ordinaire, voire vulgaire.
Quotidien et ordinaire, l’acte de manger se retrouve aussi au cœur de tous les événements marquants de l’existence. Pas de fêtes ou d’événements solennels sans repas, et cela tout au long de la vie. Pas non plus d’amitié ou d’amour sans échange de nourriture. Fait culturel majeur, il est omniprésent dans les religions mais aussi dans la littérature et la peinture. Manger occupe la pensée et les discours des hommes bien au-delà et bien autrement que comme une nécessité de satisfaire un besoin, or cela la philosophie l’ignore.
La philosophie ignore le manger en plus d’un sens et à plus d’un titre. Non seulement elle ne s’en préoccupe que rarement et la plupart du temps de façon négative. Elle en méconnaît la valeur mais aussi la nature véritable en réduisant le plus souvent le manger à l’acte individuel de se nourrir, ignorant par là ce qui en fait la nature spécifiquement humaine : le repas et la cuisine. Dans la mesure où cette dimension de l’existence des hommes est incontournable et où les philosophes en font constamment l’expérience, cette ignorance a aussi le sens actif de ne pas vouloir connaître, de refuser de reconnaître, de faire comme si cela n’existait pas, de mépriser en refusant de porter attention, en refusant d’en parler et d’en entendre parler. Impensé de la philosophie, le manger y est traité, maltraité, dans la logique de la dénégation.
Je me propose d’interroger cette ignorance pour tenter d’expliquer ce mépris pour ces réalités triviales et essentielles que sont la cuisine et les repas. Cette interrogation doit éclairer le sens de l’entreprise philosophique en tant qu’effort pour échapper à la condition commune.
— La marque de la philosophie —
À regarder de plus près les propos, mais aussi les silences dont peut faire l’objet l’univers de la nourriture dans les textes philosophiques, on peut découvrir une étrange constance qui peut conduire à penser que cette « ignorance » peut être solidaire de la démarche même de la philosophie. Elle est en effet paradoxale ou étonnante à plus d’un titre. Elle traduit d’abord une impuissance ou un refus de prendre en compte dans toutes ses dimensions la nature humaine du manger. Manger est un fait anthropologique total, un fait humain total en ce sens qu’il est le lieu médiateur de toutes les dimensions de la réalité humaine : nature et culture, individu et société, esprit et corps, imaginaire et réalité, etc. Mais cela est aussi paradoxal, dans la mesure où l’alimentation a longtemps, pour ne pas dire toujours été commandée par un savoir théorique, structurée par des principes diététiques, mais aussi religieux, sociologiques, historiques. Les pratiques alimentaires possèdent toujours une très forte dimension symbolique. L’acte de manger obéit à des idées. Et s’il est bien connu que « ce qui est bon à manger est bon à penser » 2 , cela n’est pas reconnu par la philosophie qui s’applique à l’ignorer. Cette ignorance est aussi paradoxale quand on sait l’importance du manger dans le contexte de l’origine de la philosophie. La médecine grecque sur laquelle Platon va s’appuyer pour dénigrer la cuisine, accorde une place majeure aux pratiques alimentaires, pour elle « la grande affaire c’est le manger et le boire » 3 . Hippocrate ne voit-il pas dans la cuisine l’origine même de la médecine ? Paradoxale encore cette attitude lorsque l’on pense à l’importance de la place du manger dans la Cité grecque où « la commensalité est la base de la vie civique » 4 , ou au fait que « pour humanité qui vit en Cités, tout en Grèce commence par la cuisine » 5 et que pour les Grecs le régime alimentaire est le critère de hiérarchisation des peuples et des civilisations 6 .
— Récurrence et continuité —
On peut observer une permanence étonnante de certains thèmes qui courent depuis la philosophie antique jusqu’à la philosophie contemporaine en traversant la pensée chrétienne, comme s’ils semblaient jouir d’une éternité souterraine. Il est en effet troublant de retrouver chez des penseurs très éloignés dans le temps mais aussi dans le style, la forme et le sens de leur pratique de la philosophie, les mêmes traits concernant leur rapport à l’alimentation. Il semble bien que le système thématique, les schèmes mis en place par Platon vont se perpétuer tout au long de l’histoire de la pensée et que l’on trouve chez lui la matrice des positions philosophiques sur le manger. Réduire le fait manger à la nécessité de se nourrir, ou même de se remplir, va se retrouver aussi bien chez Platon que chez Sartre. Le fait de considérer le manger comme pratique animale se retrouve aussi bien chez Aristote, Marx ou Wittgenstein. L’horreur des ragoûts court de Platon à l’ Encyclopédie en passant chez Pascal. Le fait d’opposer le plaisir de manger, dénoncé comme sans consistance ni permanence, au plaisir véritable que procurent la science ou l’art, la condamnation de la cuisine comme artifice, défaut d’ordre et de règles, art du masquage des saveurs naturelles, tromperie qui entretient le désir de manger au-delà des limites du besoin, la pratique de régimes singuliers où domine comme une obsession de la mesure, l’idéal d’un manger sans cuisine, restent de véritables lieux communs de la philosophie. Ces traits récurrents font système e

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