HOMO ORTHOPEDICUS
560 pages
Français

HOMO ORTHOPEDICUS , livre ebook

560 pages
Français

Description

A partir de 1900, sur les débris d'un anthropocentrisme pluriséculaire, naquit un homme nouveau, dont le corps n'était plus considéré comme l'enveloppe de l'âme mais était interrogé pour lui-même, dans sa complexité, dans sa vulnérabilité, et surtout dans sa susceptibilité à interagir avec les nouvelles techniques. C'est dans ce contexte que le critique d'art Roberto Longhi lança la formule " homo orthopedicus ". Cet ouvrage explore cette problématique épineuse du corps et de ses prothèses.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2002
Nombre de lectures 214
EAN13 9782296272507
Langue Français
Poids de l'ouvrage 19 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

HOMO ORTHOPEDICUS
Le corps et ses prothèses à l'époque (post)modernisteCollection Ouverture philosophique
dirigée par Dominique Chateau et Bruno Péquignot
Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux
originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques.
Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions
qu'elles soient le fait de philosophes "professionnels" ou non. On n'y
confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique; elle
est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils
soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines,
sociales ou naturelles, ou... polisseurs de verres de lunettes
astronomiques.
Dernières parutions
Paul DUBOUCHET, De Montesquieu le moderne à Rousseau l'ancien,
2001.
Jean-Philippe TESTEFORT, Du risque de philosopher, 2001.
Nadia ALLEGRI SIDI-MAAMAR, Entre philosophie et politique:
Giovanni Gentile, 2001.
Juan ASENSIO, Essai sur l'œuvre de George Steiner, 2001.
Réflexion sur l'Enseignement de la Philosophie, Pour un avenir de
l'enseignement de la philosophie, 2001.
Hervé KRIEF, Les graphes existentiels, 2001.
Heiner WITTMANN, L'esthétique de Sartre, 2001.
Christian SALOMON, Le sourire de Fantine, 2001.
Claude MEYER, Aux origines de la communication humaine, 2001.
Hélène FAIVRE, Odorat et humanité en crise à l 'heure du déodorant
parfumé, 2001.
François-Victor RUDENT, La conversation de Montaigne, 2001.
Serge BISMUTH, L'enfance de l'art ou l'agnomie de l'art moderne,
2001.
Young-Girl JANG, L'objet duchampien, 2001.
Jad HATEM, Hindiyyé d'Alep: mystique de la chair et jalousie divine,
2001.
Alexandra ROUX et Miklos VETO (coor.), Schelling et l'élan du
« système de l'idéalisme transcendantal », 2001.
Claude POULETTE, Sartre ou les aventures du sujet, 2001.
Jacques CROIZER, Les héritiers de Leibniz, 2001.
Steven BERNAS, Archéologie et évolution de la notion d'auteur, 2001.Sous la direction de
Nathalie ROELENS et Wanda STRAUVEN
HOMO ORTHOPEDICUS
Le corps et ses prothèses à ['époque (post)moderniste
L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan ltalia
Hargita u. 3 Via Bava., 375-7, rue de l'École-Polytechnique
1026 Budapest 10214 Torino75005 Paris
HONGRIE ITALIEFRANCECet ouvrage a pu être réalisé grâce à la participation financière du Fonds de la
Recherche Scientifique de la Communauté flammande (Belgique) et du Conseil
Scientifique de l'Université d'Anvers.
Remerciements particuliers à Walter Geerts, directeur des projets «Les frontières
du modernisme» et «La pensée prothétique».
Couverture: Giorgio de Chirico, Hector et Andromaque, 1917
@ L'Harmattan, 2001
ISBN: 2-7475-1611-3Introduction
Du prothétique à l'orthopédique
Nathalie Roelens
(avec la collaboration de Wanda Strauven)
A l'origine, il y avait le paradis de l'androgyne dépourvu de
technique, tel que nous le décrit Platon dans Le Banquet (190c).
Aristophane y présente l' eras comme la recherche de la part de l'être
humain de sa partie complémentaire, comme le rêve d'être un et sans
coupures.
A l'origine, il y avait encore l'homme naturel de
JeanJacques Rousseau, non contaminé par l'artificiel, le médiat, le
technique, I'homme nu et sans armes, mais suffisamment robuste
pour «n'avoir aucun besoin de prothèses».. Il ne parle pas, ne
s'extériorise pas, car il est en rapport im-médiat avec la nature. Il a
des besoins naturels, vitaux qu'il peut apaiser en cueillant les fruits de
la nature à portée de sa main (une main qui attrape sans rien
manipuler). C'est la civilisation qui va l'affaiblir, le dénaturer,
l'aliéner, le faire sortir hors de soi, lui donner des outils et dès lors
introduire l'inégalité parmi les hommes. L'état sauvage «est
l'avantage d'avoir sans cesse toutes ses forces à sa disposition, d'être
toujours prêt à tout événement et de se porter, pour ainsi dire, tout entier avec soi» (ibid.), tandis que l'homme civilisé
dépend de machines qui peuvent toujours lui faire défaut. En outre,
l'homme originaire n'a aucune imagination, il ne connaît ni
prévoyance, ni curiosité. Il n'anticipe pas, ne parle pas, n'a ni savoir
ni passions.
Or Bernard Stiegler, dans La technique et le temps. 1. La
faute d'Epiméthée montre que Rousseau introduit déjà un écart
minimal dans cette complétude ontologique. Le Caraïbe de Rousseau
est «presque nu. Armé seulement de la flèche et de l'arc. Les
sauvages ne connaissent presque pas d'autres maladies que les
I Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes,
Paris, Seuil, 1971, p.213.blessures et la vieillesse. C'est un quasi-animal.»2 Le texte de
Rousseau avoue donc malgré soi que cette harmonie originaire est un
leurre. L'origine est déjà affectée par l'adverbe «presque». En outre,
l'homme originaire est présenté comme «marchant à deux pieds» et
«se servant de ses mains» et, partant, en quelque sorte déjà prêt à
accueillir les outils. Car c'est précisément par la manipulation des
outils et par l'acquisition de la station debout que l'anthropologue
André Leroi-Gourhan, dans Le Geste et la parole définit le processus
de l'hominisation. L'homme s'est distingué de l'animal dès l'instant
où il est devenu bipède «à main libre»'. La marche verticale a ensuite
déterminé une nouvelle liaison main-face: la main s'est libérée de ses
fonctions de motricité et la face de ses fonctions de préhension: «A
l'inverse des rongeurs qui, de manière presque exclusive, saisissent
ou palpent d'abord par préhension labio-dentaire, les Primates font
intervenir la main.» (ibid., p.44) De sorte que la main appelle
nécessairement les outils, espèce d'organes amovibles, et les outils de
la main appellent le langage de la face. D'où le titre Le Geste et la
parole qui renvoie à cette action coordonnée typiquement humaine, à
cette double émergence du cortex et du silex. Stiegler résume cette
évolution de la façon suivante: «Il y a possibilité du langage dès qu'il
y a possibilité de l'outil»' et suggère même qu'il faudrait renoncer à
l'opposition entre homo Jaber avec son outillage lithique (comme
prolongement du squelette) et homo sapiens avec son outillage
verbal.
A l'origine donc un dieu non équipé techniquement. Mais
aussitôt la tragédie a commencé, ou du moins, le tragique, à savoir
notre condition humaine comme extériorisation, projection, scission
entre les attaches de l'ici et la délivrance du là-bas. Car on peut dire
que dès qu'il y a langage, il y a pensée et désir d'aller outre. Paul
KJee, en bon philosophe et en bon géomètre, traduit graphiquement
cette idée par la flèche. La flèche, elle-même prothèse et outil, est un
mouvement d'espacement (indissociable, comme nous le verrons,
d'un mouvement de temporalisation: véritable cas de différance):
2 Bernard Stiegler, La Technique et le temps.J. La faute d'Epiméthée, Paris,
Galilée, 1994, p.l27.
,
André Leroi-Gourhan, Le Geste et la parole, t.I, Paris, Albin Michel, 1964, pAD.
. Bernard Stiegler, op.cit., p.l65.
8Père de la flèche est la pensée: comment étendre ma portée vers là-bas?
par delà ce fleuve, ce lac, cette montagne?
La contradiction entre notre impuissance physique et notre faculté
d'embrasser à volonté par la pensée les domaines terrestre et
supraterrestre est l'origine même du tragique humain. Cette antinomie de
puissance et d'impuissance est le déchirement de la condition humaine.
Ni ailé, ni captif, tel est l'homme.'
De la même façon, le mythe d'Epiméthée, évoqué par
Platon dans son Protagoras et auquel Stiegler emprunte le titre de
son ouvrage, renvoie déjà à cette projection hors de soi comme la
vocation de l'homme, à sa technicité essentielle. Epiméthée a
distribué aux animaux toutes sortes de moyens de défense (cornes,
griffes, crocs, etc.) mais par distraction, par oubli, il a laissé
«l'homme nu, en défaut d'être, n'ayant encore jamais commencé à
être: sa

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