Kierkegaard et Heidegger
270 pages
Français

Kierkegaard et Heidegger , livre ebook

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Description

"Comprendre une pensée équivaut à savoir décliner un paradigme...", écrit Kierkegaard. Comprendre la pensée de Kierkegaard équivaut à savoir décliner le paradigme du saut qualitatif. Ce paradigme, sous l'angle de la temporalité, est ouverture à l'Evénement. A cet égard, la confrontation avec la pensée de Heidegger est exemplaire. Le philosophe allemand décline le même paradigme, mais "jusqu'à un certain point". D'où une pensée "à la mesure de son temps" qui se ferme à l'Evénement.

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Date de parution 01 juin 2010
Nombre de lectures 289
EAN13 9782296258303
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

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Extrait

KIERKEGAARD ET HEIDEGGER
Jean MOREL KIERKEGAARD ET HEIDEGGER Essai sur la décision L’Harmattan
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INTRODUCTION I. UNE « VÉRITÉPOUR MOI» « Il s’agit de trouver une vérité qui soit une véritépour moi» écrit Kierkegaard en 1835, à propos de la rédemption, alors qu’il est étudiant en théologie. Une vérité qui ne peut être que dans un rapport d’incompatibilité avec la philosophie qui n’a jamais compris la véritépour moique comme vérité pour nous: «. Aussi ajoutetil Philosophie et christianisme sont à jamais 1 incompatibles» . Le discours de Kierkegaard est un discours philosophique qui repose sur des 2 présupposés religieux.Un discours qui, prenant acte du fait de l’existenceplus primitif que le fait de la raison, ne repose pas sur des « conditions de possibilité » mais des « conditions d’impossibilité » entre discours philosophique et discours « théologique ». Une telle vérité implique un tout 3 autre registre de la vérité que celui qui prévaut en philosophie . Nous trouvons dansLesmiettes philosophiquesle projet d’un tel discours de la vérité. Il consiste dans le « dépassement » de la conception socratique qui – à propos de la vertu – considère bien que la vérité relève de la subjectivité mais ne voit dans ce rapport à la contingence qu’uneoccasion. On recherche ce que l’onnesaitpassinon on ne le rechercherait pas, et ce que l’onsaitcar il est tout aussi impossible de rechercher ce que l’on ignore. Devant un tel paradoxe, le 4 socratique abolit la disjonction en considérant que tout homme possède la
1  Journaux et cahiers de notes, Volume I, Journaux AADD, Paris, Éditions Fayard/Éditions de l’Orante, 2007, p. 1726. 2  « On commenceàlafois sur le plan esthétique et sur le plan religieux » (OC XVII, 266,Surmonœuvred’écrivain). Nous citons comme suit les ouvrages de Kierkegaard :OC XVII, 266renvoie à la traduction de P.H.Tisseau et E.M. JacquetTisseau dans lesŒuvrescomplètes, 20 volumes, Paris, Éditions de l’Orante, 19661986. Icitome XVII, p. 266. 3  Selon le discours philosophique hégélien, l’intérieur est l’extérieur. À l’encontre d’un tel discours, Kierkegaardfait valoir un présupposé religieux, l’intériorité incommensurable. La conceptualité kierkegaardienne ne peut faire l’économie d’une telle dimension qui exclut l’idée d’un chiasme entre esthétique et religieux. C’est précisément cette absence de chiasme qui permet de différencier l’esthétique du religieux. Il n’y a pas de sensation (aesthesis) correspondant à l’activité mentale. « Le nouveau, dit Kierkegaard, c’est qu’il y a une voix », en d’autres termes, une plusvalue de la parole sur le discours philosophique. 4 Lesocratique(plutôt que le socratisme) est l’expression d’une attitude, celle de Socrate qui, en tant que personne, se tient dans un rapport à la vérité. La distinction entre ancien et nouveau tient à la mise en rapport de lapositionsocratique (occasion) – et non pas au déplacement platonicien
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vérité. Il faudra donc, pour prétendre à une telle « véritépour moi», rétablir la disjonction, admettre que tout homme qui cherche est la nonvérité, que, jusqu’à cet instant précis, il n’a pas eu la vérité. C’est là un projetinouï. La vérité n’est plus en l’homme mais apportée en lui. Elle relève du rapport à la contingence, mais ce rapport devient alorsdécisif. Il n’est plusoccasionmaisconditionde la vérité. C’est entre ces deux pôles, occasion et condition, que va se jouer la doubleréflexion inhérente à un tel projet. Ce projet est phénoménologique. Il est « l’expression d’une incapacité 5 dialectique » et ne relève pas du seul enseignement mais d’une expérience. Il répond à ces deux caractères fondamentaux de la phénoménologie que sont la réduction et la mise en évidence d’un phénomène. La réduction, d’une part, puisque qu’il s’agit de découvrirpar l’expérienceune conception de « l’existence dont on pût dire qu’elle allât plus loin que le paganisme ». Or aller plus loin – tout en se maintenant dans la disjonction (la décision) – signifie la 6 réduction de l’attitude naturelle qu’est la conception socratique. La mise en évidence d’un phénomène d’autre part, un phénomène absent auparavant, l’éternel dans le temps. Peuton invoquer un modèle pour un tel projet ? C’est en termes de conversionque ce passage de la nonvérité à la vérité est décrit. Recevant avec la condition la vérité le disciple devient un hommenouveau.L’homme né de nouveau ne doit rien à personne, mais tout au maître divin. « Ce passage du 7 nonêtre à l’être est bien celui de la naissance » . Le disciple naît, c’est une (ré)surrection. Le modèle en est très précisément la conversion de Paul : « Ce 8 n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi » (Épître aux Galates 2,20). La conversion de Paul n’est, dit A. Badiou, « opérée par personne : Paul n’a pas
(l’âme) – et de lapositionles que Miettes entendent promouvoir (la condition). Cf.infra, Deuxième partie, ch. II. 5  PostScriptumauxMiettesphilosophiques, trad. Paul Petit, Paris, Gallimard (1949), coll. « Tel », 1989, p. 307.6 L’attitude naturelle n’est pas celle du rapport au monde mais du rapport à soi. La sphère du moi se doit d’êtrelibrepour se rapporter à ellemême. Ce qu’ilobjet » toute considération d’«  de s’agit de réduire, en l’occurrence, c’est tout phénomène qui relève d’une conception de la subjectivité comme science. La réduction, laconversion de l’attitude naturelle, reste, sinon comme « méthode », du moins comme voie d’accès d’ordre pratique à la sphère intérieure, une donnée propre aux deux démarches, husserlienne et kierkegaardienne, mais le caractèrenon scientifiquede la démarche kierkegaardienne exclut toute mise en parallèle. Ces considérations préliminaires sont l’amorce d’un travail que nous pourrions entreprendre ultérieurement. 7 MP, OC VII, 19. 8  « Seules la théologie et la spiritualité chrétienne peuvent atteindre le terme de ce transfert (le Christ) et donc l’accomplir effectivement » (J.L. Marion, « Réponses à quelques questions », Revue de Métaphysique et de Morale, N° 1 1991, p. 75), mais la phénoménologie kierkegaardienne en ceci qu’elle fait de ce transfert une question existentielle – ou plus précisément événementielle (l’ÉvénementChrist en soi) – peut non pas accomplir mais communiquer au lecteur ce qu’il en est de l’effectivité de ce transfert. C’est ce que nous nous proposons de montrer.
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INTRODUCTION
été converti par les représentants de l’ "Église", n’est pas un rallié, on ne lui a pas apporté l’Évangile […] – "c’est arrivé", purement et simplement dans l’anonymat d’un chemin ». Cet événement mime l’Événement fondateur, « c’est 9 en Paul luimême la (ré)surrection du sujet » . La distinction qui est la nôtre entre événement et structure tient essentiellement à cette incompatibilité – incommensurabilité – entre le religieux événementiel (Événement Christ) et le philosophique (structure). Une telle « phénoménologie événementielle » traduit cette donnée première que la pensée, lorsqu’elle est « phénoménologie », est la vie de l’esprit. Le point 10 nodal en estl’Instant .Ou bieninstant est un néant et alors nous cet découvrons dans cet instant une vérité éternelleubiqueetnusquam [partout et nulle part] que nous possédions sans le savoir,ou bieninstant est atome cet d’éternité – alors nous nousouvronsl’advenir événementiel. Dans ce cas, à l’instant de la décision est ledécisif. Si l’homme n’est plus détenteur de la vérité – et si l’instant est l’enjeu d’une décision – c’est que cette décision, comme la liberté dont elle procède, est une décision toujours déjà prise, une décision qui se précède ellemême, sur laquelle il incombe à l’homme de – ou de ne pas – revenir. C’est ainsi que Climacus appellepéché la nonvérité dans laquelle l’homme se trouve. Mais cette question du passage d’une vérité d’ordre spéculatif – la conception socratique – à une vérité d’ordre phénoménologique est une question existentielle qui se posait tout autant dans le paganisme que dans le christianisme. Socrate se l’était déjà posée. Aussi la question principielle devientelle la questionQui. Qui s’interroge sur la vérité ? Le projet desMiettesprolonge ainsi l’interrogation d’ordre phénoménologique duConcept d’ironie. C’est pourquoi il convient tout d’abord de poser la questionQuipropos de à Socrate car c’est la réponse à une telle question qui mettra sur la voie d’un projet de part en part phénoménologique. Ce n’est que dans un deuxième temps que cette problématique sera reprise en fonction de la nonvérité mise en évidence par lesMiettes.
9 Alain Badiou,SaintPaul,Lafondationdel’universalisme, Paris, PUF, 1997, p. 18. 10 Dans une note importante duConcept d’angoisse(OC VII, 182184), on trouve exposée cette question du passage entre vérité philosophique et véritépour moi.quatre Cette note contient points essentiels : 1) L’instant platonicien est le nonêtre sous la catégorie du temps. Dans le temps, se tient une faille. Le temps rompt avec le temps, mais cette hypothèse reste abstraite. 2) Le sophiste est ce nonêtre mais, dans le dialogue de Platon, le concept n’est pas suivi par l’exemple. Plutôt que de disparaître le sophiste apparaît. 3) Pour le christianisme, « le nonêtre est partout donné comme le rien, source de création, comme apparence et vanité, comme péché, comme le sensible éloigné de l’esprit, commela temporalité oubliée de l’éternité». 4) La conséquence de l’abstraction de l’instant platonicien est l’indécision quant à la question de l’éternité et de l’instant. Ainsi : 1) La quête est celle de la temporalité oubliée. La faille temporelle ne se referme pas (si elle se refermait il n’y aurait pas de vérité contingente). 2) L’enjeu est l’être du sophiste. 3) Le problème est celui de l’Un et du multiple reconsidéré autour de la question de l’indécidable et du décidable. 4) Le nouveau, dans cette faille temporelle, est la concrétude du pouvoirêtre propre à l’individu.
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Un tel projet est d’ordre communicationnel.Dépasser Socrate revient à inscrire la maïeutique socratique, la conduite suprême et la plus vraie d’un point de vue humain, dans les relations interindividuelles, dans l’espace communicationnel ouvert par la donation. D’où l’importance d’une stratégie de communication indirecte, seule susceptible de redupliquer ce qui relève non pas d’un savoir mais d’un pouvoir. Exister, c’est pouvoirêtre. Un tel pouvoir, la philosophie ne peut le penser, elle ne peut penser le paradoxe d’un faire qui nie le penser sans pour autant l’abolir. Tel est le paradoxe de la présence, un paradoxe qui interdit tout transfert d’ordre discursif puisque les conditions du couple possible/impossible sont remises en question par un possible transcendant. Le désespoir est la forme ultime qui résiste à ce passage. Mais en tant que détermination de l’esprit, il devient l’acte même de dire l’impossible. C’est pourquoi, contrairement à l’ontologie classique, le pire serait de ne pas désespérer, car ce serait anéantir la possibilité d’être qui se situe dans l’instant de la décision. ExistentsetTilværelse Deux sphères incompatibles l’une avec l’autre ont ainsi été délimitées par cette absolue primauté accordée au choix entre vérité philosophique (savoir) et vérité pour moi (christianisme). À ces deux sphères va correspondre une distinction fondamentale pour ce qui concerne la question de l’existence. Le danois dispose de deux termes pour exprimer l’existence. Un terme d’origine latineExistents qui désigne l’existence comme don, « le surgissement de l’être 11 dans le monde, le moment initial de son apparition » et un terme d’origine danoiseTilværelsequi demande une explication plus soutenue. Le fait d’exister plus primitif que le fait de la raison est la « choseensoi » que redécouvre Kierkegaard : « le seul "Ansich" qui se refuse à la pensée, c’est 12 le fait d’exister (det at existere) avec lequel la pensée n’a rien à faire » . Au "fait d’exister" – à l’être de fait – correspond «Tilværelse». L’existence comme pouvoirêtre – et comme tâche – estTilværelse.Tilværelse(commeTilfældighed) est formé par le préfixetilqui exprime le mouvement. Tout ce qui, dans l’existence, relève de lacontingence (Tilfældighed), du mouvement, estTilværelseC’est dire que. « Tilværelse désigne tout d’abord "tout ce qui existe" (er til) concrètement, ce qui est présent 13 à la totalité du monde » . En celaTilværelsecorrespond auDasein de Hegel mais un telDasein n’a ni la fonction ni le sens que lui assigne Hegel. En tant 14 que "choseensoi" l’êtrelà est un fait absolu , déterminé dans l’espace et le 11 N. Viallaneix,La reprise, Traduction, introduction, dossier et notes par Nelly Viallaneix, Paris, GF Flammarion, 1990, p. 59. 12 PS, OC XI, 29. 13 N. Viallaneix,La reprise,op. cit., p. 59. 14 Il faut distinguer, en effet, entre le fait historique(historik Faktum)qui« n’est qu’un fait relatif et c’est pourquoi il est dans l’ordre que la puissance relative, le temps, décide »(Les Miettes philosophiques, trad. P. Petit, Paris, Seuil, 1967, p. 160), le fait éternel (evigt Faktum) car si
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INTRODUCTION
temps : « Le sujet existant (existerende Subjekts) doit avoir pour sa pensée une forme où il peut exprimer cela (cette contradiction énorme que l’éternel devient, 15 qu’il prend forme) » . Cette forme est la négativité dans l’existence (Tilværelse).Tilværelsedésigne ainsi l’êtrelà mais selon la modalité propre au mouvementévénementiel de la passion spirituelle (son domaine propre est l’Éthique). En bref,Tilværelseexprime "tout ce qui existe" mais aussi la spécificité de l’exister humain dans son rapport à la contingence. La distinction entre système hégélien et « système de l’existence » (Tilværelsen System) tient précisément au fait que la médiationprésupposele mouvement (dans un tel système toutestet rien nedevient). Une telle présupposition de l’ordre du religieux fait qu’il n’y a de système de l’existence que pour Dieu.La distinction entreExistentscomme don) et (l’existence Tilværelse(l’existence comme tâche) permet d’appréhender le paradoxe de la présence. Un paradoxe qui tient à ce que la parole est « jaillissement », don que recueille l’Écriture. Comment passeton du rapport à l’écriture (la, nonprésence) au rapport à l’Écriture (la présence) ? C’est l’objet de notre étude. II. QUESTION DE MÉTHODE Se pose alors une question de méthode que J. Climacus formule ainsi. À propos desMiettesphilosophiques le Beck fait un compterendudocteur A.F. « correct » ; mais si son « analyse est exacte et, dans l’ensemble, d’une solide dialectique », « alors surgit la difficulté : malgré la fidélité du compterendu, quiconque se contentera de le lire aura du livre une idée complètement fausse. [...] Ce compterendu est rédigé dans le plus pur style professoral ; le lecteur aura ainsi l’impression que l’ouvrage est écrit de même. C’est là, à mes yeux, la plus fausse des impressions que l’on puisse en avoir ». Or, il s’agit bien d’une analyse exacte et, dans l’ensemble, d’une « solide dialectique », mais le Professeur Beck s’en tient à une lecture du sens qui est celle que le texte offre dans sa textualité. Ce qui échappe ainsi au Professeur dont on ne saurait mettre en doute la solide dialectique, c’est la capacité de se rendre attentif au contraste entre la forme et le fond, à l’ « opposition où la forme de l’expérience contraste d’amusante façon avec son contenu, l’impudence poétique (qui va même jusqu’à imaginer le christianisme), la tentative isolée d’aller plus loin (que la soidisant construction spéculative), l’infatigable déploiement d’ironie, toute la parodie que le plan offre de la spéculation, la satire des efforts auxquels on se livre comme s’il devait en résulter quelque chosewasganzAusserordentliches
l’historique est retranché, nous avons le fait éternel et le fait absolu (absolut Faktum). Le fait absolu est un fait historique et comme tel objet de foi. S’il se passe dans le temps, il n’est pas relatif au temps dans la mesure où il reste le même en dépit des rapports multiples opérés dans le temps. 15 PStrad. Petit,op. cit., p. 82.
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undzwarNeues [de tout à fait extraordinaire et même de nouveau], alors que revient sans cesse la vieille orthodoxie dans sa juste rigueur : de tout cela, le 16 compte rendu ne donne pas au lecteur la moindre idée » . 17 Ce qui est aboli, dans le style professoral, c’est « leaut.de la disjonction » C’est le fait que le sérieux professoral se substitue au sérieux de l’ironie : les professeurs « médiatisent tout, ils exceptent l’ironie qui se refuse à la 18 médiation » . C’est le propre de toute interprétation que de médiatiser et, par là même, d’exclure ce qui, dans le texte, rompt avec la médiation et relève du paradigme ouvert par l’ironie. Tout l’enjeu – et peutêtre la gageure – de l’étude que nous entreprenons, tient à ce que le thème qui est le nôtre,la décision, implique que, paradoxalement, nous concentrions notre attention sur ce qui, d’ordinaire, se refuse à un commentaire professoral. Cette gageure était déjà celle de Søren Kierkegaard. Nous ne faisons en cela que suivre sa démarche. Nous devons donc être attentif à ne pas nous engager abusivement dans la voie interprétative, à ne pas ajouter un commentaire à l’innombrable quantité de commentaires qui empêchent de comprendre l’auteur comme il s’est compris luimême. Pour ce faire, pour éviter toute dérive interprétative, il convient avant tout de ne pas venir soimême, comme c’est souvent le cas, armé de la toute dernière méthode qui, en tant que dernière venue, consisterait à vouloir comprendre un auteur mieux qu’il ne s’est luimême compris. Si nous voulons ne pas nous substituer à l’auteur en plaquant sur son œuvre une grille de lecture interprétative qui en trahirait le sens, nous devons d’abord comprendre ce qu’il a compris luimême sous le terme de méthode. Kierkegaard s’insurge contre « la méthode », entendons la méthode hégélienne : Hegel « parle avec assez de dédain de l’intuition intellectuelle : alors vint la méthode. La réflexion s’exerçant sur ellemême dure jusqu’à ce qu’elle se supprime toute seule ; la pensée en exercice se fraye victorieusement la voie et reprend réalité, 19 l’identité de la pensée et de l’être est acquise dans la pensée pure » . Ce que Kierkegaard critique dans ce qu’il appelle « la méthode », c’est le fait 20 que « la formule magique, digne des contes : "jusqu’à ce que" » puisse supprimer le scepticisme de la réflexion : « On dirait – écritil – que la méthode est un homme devant lequel on doit s’incliner et pour qui il faut faire quelque chose, de sorte qu’on ne spécule pasmethodiceà cause de la vérité, mais bien à 21 cause de la méthode » . Ce qu’il conteste, c’est le fait que la vérité puisse s’acquérir par la seule vertu de la méthode « sans opérer une rupture ni obtenir
16 PS,OC X,255256. 17 Ibid.257. L’ironie est le « , p. » dudegré zéro aut de la disjonction. L’opérateur de la disjonction est la décision. Un travail sur la décision consiste essentiellement à rétablir la disjonction que les « professeurs » abolissent. 18 Ibid. 19 PS, OC XI, 35. 20 Ibid., p. 37. 21 Ibid., p. 38.
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