L enseignement de la philosophie émancipe-t-il ?
198 pages
Français

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L'enseignement de la philosophie émancipe-t-il ? , livre ebook

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Description

L'enseignement de la philosophie au lycée s'entoure d'un prestige équivoque - le parachèvement spirituel et civique du cycle scolaire, mais il constitue aussi un rite de passage de l'enfance à l'âge adulte. Cette lourde charge confiée à l'enseignement de la philosophie dans le secondaire est devenue vacillante. Sans s'accorder sur la ou les réponses à y apporter, les enseignants de philosophie raniment sans fin la flamme de la question - l'enseignement de la philosophie émancipe-t-il ?Š

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2011
Nombre de lectures 47
EAN13 9782296471047
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’enseignement de la philosophie émancipe-t-il ?
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-56468-8
EAN : 9782296564688
Sous la direction de
Laurence Manesse Césarini

L’enseignement de la philosophie émancipe-t-il ?
L’Harmattan
Introduction
Patrick Vauday*

La philosophie a dans l’enseignement français et, sans doute aussi, dans la société française, un statut paradoxal qui cristallise sur elle autant d’espoirs que de déceptions. En témoignent à l’envi et de façon contradictoire les anciens élèves du cours de philosophie dispensé dans toutes les classes de terminale ; quelque souvenir qu’il ait laissé, le prof de philo jouit d’une notoriété particulière à la mesure des attentes comblées ou déçues dont le personnage de Cripure dans Le Sang noir de Louis Guilloux a pour toujours dressé la figure pathétique 1 . Si, stade suprême du cursus scolaire secondaire, le cours de philosophie entretient la promesse d’une liberté de haute volée affranchie des pesanteurs de la transmission des savoirs et des exercices qui en sont l’accompagnement obligé, il n’est pas rare de le voir tourner chez plus d’un élève à l’ennui de suivre une trop patiente démarche de réflexion redoublée par la torture du devoir à rendre. Le succès des cafés philo peut faire penser que la cause en serait moins la philosophie même, dont on nous dit qu’elle ne s’est jamais aussi bien portée, que son enseignement pris dans le carcan de la formation aux méthodes du commentaire et de la dissertation ou dans le dédale de l’histoire des systèmes. S’agirait-il alors de délivrer la philosophie de la tutelle de l’enseignement qui la bride, la corsète et la retourne en définitive contre sa vocation première d’émancipation du sujet ?
Initiés, dans les années soixante-dix, sous l’impulsion de Jacques Derrida, les travaux du Greph 2 ont conduit à proposer une tout autre réponse à la demande déçue de philosophie, celle d’une généralisation de l’enseignement philosophique couplée avec l’expérimentation de nouvelles formes de pratiques philosophiques, ce qui impliquait l’enseignement dans d’autres classes que la terminale, voire dès le primaire, de nouveaux objets de réflexion et d’autres approches, notamment inter ou transdisciplinaires. Cette volonté de démocratisation de la philosophie entendait la faire essaimer et varier au lieu de la concentrer dans l’attente d’une quasi-révélation qui risquait fort, sauf exception, de ne pas être au rendez-vous. Il était question de faire de la philosophie l’affaire de tous en en faisant un travail sur soi et avec d’autres, un déplacement plutôt que, selon une figure héritée de Platon, une conversion, en bref ni plus ni moins qu’une démystification. Que, pour des raisons autant économiques que politiques, cette initiative ne se soit pas traduite dans les faits, n’en fait pas moins une esquisse, sinon un modèle, des conditions de possibilité pour qu’un enseignement de la philosophie soit en instance, sans jamais en être assuré pour autant, de produire des effets émancipateurs.
On connaît, formulé par Marx, le paradoxe d’un enseignement à visée émancipatrice, cœur, selon lui, de la doctrine matérialiste classique. Après avoir noté dans la troisième thèse sur Feuerbach 3 que celle-ci fait de « la transformation par le milieu et par l’éducation » la voie royale de l’émancipation humaine, il en explicite la condition, savoir que « l’éducateur doit lui-même être éduqué », ce qui, sauf régression à l’infini, mène au présupposé de la division de « la société en deux parties, dont l’une est au-dessus de la société », autrement dit à l’idée d’une élite qui aurait de nature la tâche de former et de guider le reste des hommes.
Réminiscence de l’idéal platonicien du gouvernement de la cité par les philosophes, ce schéma de la révolution par l’éducation qui, du Moyen Âge chrétien au communisme soviétique, confie à des clercs la direction des transformations de la société, justifie, aujourd’hui encore, la critique qu’au nom de l’égalité Jacques Rancière lui adresse dans Le Spectateur émancipé 4 ; comment en effet élever à hauteur d’égale liberté ceux que l’idéal d’éducation émancipatrice présuppose inférieurs en capacités de savoir et d’affranchissement critique ? Comment faire ses égaux de ceux qu’on rend inégaux à l’égalité ?
Si pour échapper au cercle de l’émancipation qui exclut ceux-là même qu’elle prétend inclure, Marx comptait sur « la praxis révolutionnaire », on peut se demander de quelle révolution pratique la philosophie pourrait bien se réclamer pour en faire, selon la formule de Pascal reprise par Merleau-Ponty, « un cercle dont le centre est nulle part et la circonférence partout », soit le cercle sans limite de l’égale liberté.
Descartes et Kant, déjà et chacun à leur manière, s’en remettaient à la contingence de quelques heureuses natures, hommes rétifs au mors de l’assujettissement et décidés à l’aventure, qui sauraient ouvrir par l’exemple un espace au questionnement sous la forme de « l’esprit de libre examen » évoqué par Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ? C’était sans doute encore faire la part trop belle à l’exception, mais s’y glissait en germe l’idée de son extension à tous dès lors que la philosophie ne se conditionnait plus d’une compétence sélective mais se réclamait d’une sortie et d’un écart aux savoirs, aux discours et aux pratiques constitués tout autant qu’à la philosophie elle-même et à son histoire. Que la philosophie ne puisse vivre qu’en écart et en extériorité à elle-même en accueillant tous les sujets et toutes les questions la voue, par principe, au partage, fût-il dissensuel, du tout-venant.
Si la philosophie n’est pas une maîtrise ni une possession mais une sortie désappropriante, travail sur soi, voire guerre contre soi, elle ne saurait être effective sans que celui ou celle qui l’enseigne ne se risque à s’aventurer hors de la doctrine, proprement ce qui s’enseigne, pour s’exposer lui-même aux questions et problèmes qui le travaillent, comme à ceux qui lui sont proposés. La philosophie comme autodidaxie, enseignement et apprentissage de soi par soi, c’était la seule condition que Jean-François Lyotard mettait à l’exercice de la philosophie dans un petit ouvrage qui ne s’appelait pas pour rien Le Postmoderne expliqué aux enfants 5. C’est sans doute cet engagement-là, dont l’accent et le style reviennent à chacun, qui fait signe, pour ceux qui le reçoivent et chez qui il fait son chemin, vers l’émancipation.



* Professeur de philosophie à l'Université Paris VIII, Saint-Denis.
1 Louis Guilloux, Le Sang Noir , publié en 1935, ce roman qui se déroule pendant la guerre de 1914-1918 fait le portrait poignant d’un professeur de philosophie surnommé Cripure par ses élèves lassés de l’entendre se référer à la Critique de la raison pure de Kant.
2 Le Greph (Groupe de recherche sur l’enseignement de la philosophie), fondé autour de Jacques Derrida en 1975.
3 Marx, Thèses sur Feuerbach , in Karl Marx, Philosophie , Folio/essais, p. 233.
4 Jacques Rancière, Le Spectateur émancipé , La Fabrique, 2008.
5 Jean-François Lyotard, Le Postmoderne expliqué aux enfants , Galilée, 1988.
Émancipation intellectuelle et autoritarisme doctrinaire dans l’enseignement philosophique en France au XIXème siècle
Lucie Rey*

Avant de tenter de répondre à la question qui nous est proposée – « l’enseignement de la philosophie émancipe-t-il ? » – il nous faut commencer par préciser le sens du terme d’émancipation. En droit, l’émancipation correspond à l’acte par lequel un mineur est affranchi de l’autorité parentale ou de la tutelle, et acquiert, avec le gouvernement de sa personne, une capacité limitée par la loi. Plus largement, l’émancipation désigne l’action d’affranchir ou de s’affranchir d’une autorité, de servitudes ou de préjugés. C’est ce second sens, l

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