Pour une philosophie critique de la connaissance

Robert Forest

Description

Les essais qui forment cet ouvrage enquêtent sur les régimes conceptuels – caractère diversement abstrait ou systématique des concepts, recours ou non à des concepts construits, présence ou non de ce qui relève de la langue – mis en oeuvre dans les différents points de vue et domaines de la connaissance. Sont ainsi analysés en termes de légitimité conceptuelle courants et dispositifs de philosophie générale et logique, conceptualisations scientifiques, statut des concepts en biologie, aspects des métaphysiques idéalistes.

Sujets

• Philosophie et théologie
• Philosophie

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 avril 2014
• Nombre de lectures: 9
• EAN13: 9782336344881
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Robert Forest

POUR UNE PHILOSOPHIE CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE Quatre essais sur les régimes conceptuels Tome 1

OUVERTUREPHILOSOPHIQUE

‘—” —‡ ’Š‹Ž‘•‘’Š‹‡ …”‹–‹“—‡ †‡ Žƒ …‘ƒ‹••ƒ…‡

‘‡ 

Quatre essais sur les régimes conceptuels

Ouverture philosophique Collection dirigée par Aline Caillet, Dominique Chateau, Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot Une collection d'ouvrages qui se propose d'accueillir des travaux originaux sans exclusive d'écoles ou de thématiques. Il s'agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions qu'elles soient le fait de philosophes « professionnels » ou non. On n'y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu'habite la passion de penser, qu'ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques. Dernières parutions Benoît QUINQUIS,L’Antiquité chez Albert Camus, 2014. Catherine MONNET,La reconnaissance. Clé de l’identité, 2014. Jean PIWNICA,L’histoire : écriture de la mémoire,2014. Jacques ARON,Theodor Lessing, Le philosophe assassiné, 2014. Naceur KHEMIRI & Djamel BENKRID,Les enjeux mimétiques de la vérité. Badiou « ou /et » Derrida ?,2014. Pascal GAUDET,Philosophie et existence, 2014. Pascal GAUDET,Penser la politique avec Kant, 2014. Pascal GAUDET,Penser la liberté et le temps avec Kant, 2014. Aklesso ADJI,Ethique, politique et philosophie, 2014. Christian MIQUEL,Apologie de l’instant et de la docte ignorance, 2014. Paul-Emmanuel STRADDA,L’Être et l’Unité, 2 volumes, 2014. Carlo TAMAGNONE,La philosophie et la théologie philosophale, 2014. Jacques POLLAK-LEDERER,L’Ontologie écartelée de Georges Lukács, 2014.

Robert F OREST

P OUR UNE PHILOSOPHIE CRITIQUE DE LA CONNAISSANCE

T OME I

Quatre essais sur lesrégimes conceptuels

© L’Harmattan, 2014 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.harmattan.fr [e-mail] [e-mail] ISBN : 978-2-343-03121-7 EAN : 9782343031217

« La raison dans toutes ses entreprises doit se soumettre à la critique, et elle ne peut par aucune défense porter atteinte à la liberté de cette dernière sans se nuire à elle-même et sans s’attirer des soupçons qui lui portent tort.» Kant

« Détenir le pouvoir corrompt inévitablement le jugement libre de la raison. » Kant

« Le plus européen de tous les biens, cette ironie plus ou moins nette avec laquelle la vie de l’individu prétend se dérouler sur un autre plan que l’existence de la communauté, quelle qu’elle soit, dans laquelle elle se trouve jetée […].» Walter Benjamin

«Le trottoir de la place Charlemagne à Attigny n’a jamais été rien d’autre que le trottoir du monde […] Voilà peut-être ce qui nous attache au pays de la naissance, cette vision qui n’a rien de local, mais demeure sous la lumière universelle vue pour la première fois. » André Dhôtel

« Otvet odin–otkaz » (Une seule réponse, le refus). Marina Tsvetaïeva

« That we, too, may come to the picnic With nothing to hide, join the dance As it moves in perichoresis, Turns around the abiding tree. » W.H.Auden

« Il y aura sur le monde un flot de lumière. » Victor Hugo

INTRODUCTION GENERALE  Régimes conceptuels, au pluriel : cela signifie que la connaissance repose sur plusieurs types de fonctionnement et pour ainsi dire d’anatomie des concepts et ensembles de concepts qui lui sont nécessaires, et encorollaire qu’elle n’est pas, en un certain sens, une. Cette affirmation, pas si banale, s’articule à l’idée d’une connaissance par «»,points de vue mais au delà est impliquée la conviction, notamment kantienne, que les objets ne sont pas tout donnés, une fois pour toutes et de manière univoque, de façon à sécréter leur propre être- connaissable: refus, donc, d’un aspect de la «naturalisation », comme on dit. Contre cette conviction, fondement d’une 1 philosophie critique, la pensée dominante de notre époque, comme celle d’autres temps, a souvent pour caractéristique de ne pas admettre que notre connaissance n’accède pas aux choses en soi, et que ses objets ont des conditions de connaissabilité qui sont diverses.  Pour être plus précis, après avoir inféré de ce qui précède que la philosophie critique doit vivre de luttes sur les modalités et les contenus des conceptualisations et leur répartition en domaines pertinents, vivre donc d’engagement dans des

1 Ce singulier et cet adjectif sont certainement abusifs ; il existe cependant des centresd’attraction (où il faut souvent repérer les questionsqu’on ne pose pas au moins autant que celles qu’on prétend poserad nauseam), et des propagateurs intentionnels associés à des pouvoirs.

7

1 controverses actualisées , et poser constamment la question de la légalité propre (et de la légitimité qui en découle) des savoirs et connaissances qui se présentent ou qui apparaissent possibles –il faut prendre le pouls des controverses, autrement qu’en se rangeant occasionnellement à telle ou telle « opinion ». Ma ligne directrice :parmi les éléments de connaissance, toujours distinguer ce qui relève de concepts simples, de constructions de concepts, ou d’une formulation en langue.  On pourrait prendre un « fait de société », avec des controverses jusque dans les médias : par exemple la prostitution (d’actualité fin 2013 en France à cause d’un projet de loi sur la pénalisation des clients). Le champ qu’on peut appeler « descriptif » permet sans doute de définir la prostitution comme un travail, du type prestation de service individuel contre rémunération immédiate, mais cela est assez superficiel. Plus pertinente sera la caractérisation du travail comme dangereux et pénible. L’enquête sociologique pourrait apporter des éclairages sur l’insertion des pratiques liées à la prostitution dans des connexions conceptuelles comme la relation avec d’autres «» (lapratiques du rapport à autrui séduction, « gratuite », les « rencontres » sur Internet, etc.) ou la mise en acte de rapports de pouvoir (et d’oppressions spécifiques, notamment des femmes). Mais la conceptualisation économique ferait apparaître que des formules telles que « commerce du corps » sont purement métaphoriques. 2 Beaucoup de travaux impliquent des prestations pénibles , éventuellement violentes et non respectueuses de l’humain, mettant en œuvre corps et esprit associés (il ne s’agit pas de 1 A l’instar, par exemple, du Kant qui écrit dans lesProlégomènesà toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science (1783) Mon: « intention est de convaincre tous ceux qui jugent bon de s’occuper de métaphysique qu’il est absolument nécessaire qu’ils interrompent provisoirement leur travail, qu’ils considèrent tout ce qui s’est fait jusqu’à ce jour comme non avenu et qu’avant tout ils soulèvent la question de savoir ‘si décidément une chose telle que la métaphysique est seulement possible’» (Préface). La réponse de Kant n’est pas forcément entièrementsatisfaisante. 2 Alice Schwarzer (Libération, 25/11/2013) écrit que le passé des femmes qui disent se prostituer librement «a détruit leur estime d’elles-mêmes », mais quidd’une société qui semble produire systématiquement la destruction de l’estime desoi en de nombreux domaines ?

8

trafic d’organes!). L’économie ne prend en compte que la valeur d’échange, ce qui a trait à la valeur d’usage ne compte que comme un réquisit supposédonné (peu importe qu’il repose sur l’idéologie du «besoin à satisfaire »); à moins qu’on nie que la prostitution relève de l’économie. Mais il faut considérer le statut de la force de travail impliquée. La prostitution peut relever de plusieurs, non ramenables à l’unité: statut « libéral », salariat (maisons spécialisées), servage (dépendance de proxénètes), esclavage (la prestation est fournie par des personnes achetées et privées de liberté). La perspective conceptuelle change encore s’il est question de droit. Les métaphores occultent un domaine clivé par le droit à disposer de soi, confondant esclavage, trafic, maltraitance, illégalité, marchandisation (pour parler d’un cas opposé où règne aussi l’ignorance du droit : en l’absence de production juridique la « gestation pour autrui » peut être considérée comme un geste oblatif ou un mal nécessaire ; la réflexion sur ce que pourrait être son statut juridique fait brusquement apparaître son caractère de pseudo-contrat d’esclavage pour la «mère porteuse», l’enfant étant vendu/acheté comme marchandise). Un autre point de vue, politique, suppose qu’on pèse l’opportunité historique, sociale, morale ou philosophique, de légiférer, d’interdire et de punir telle pratique individuelle, de laisser libre ou non tel aspect de la vie privée, etc. Ce que je discute ici est élémentaire, et relève de ce qu’un enseignant pourrait expliquer à des élèves ; mais ma brève présentation fait déjà apparaître qu’il y a un découpage légitime de la connaissance en domaines caractérisés par des 1 conceptualisations différentes . Cela suffit à suggérer que l’objet n’est pas tout donné et ne sécrète pas, je répète ce terme, un régime conceptuel unique et nécessaire pour le traiter, cognitivement et en action.

1 Ma perspective s’accorde donc par exemple pleinement avec ce que dit de Kelsen C.Bouriau (Les fictions du droit. Kelsen lecteur de Vaihinger, Lyon, ENS Editions, 2013) : « [Kelsen] soutient que ces deux questions, celle du fondement logique du droit comme système de normes et celle du juste en soi doivent être traitées séparément. Ce n’est pas à la science pure du droit d’enquêter [sur la seconde], mais à la théorie politique».

9