Particulièrement prisée du public, à l'instar de toutes les thérapeutiques alternatives, la phytothérapie pose aux professionnels de la santé quelques questions élémentaires : les plantes médicinales ont-elles, oui ou non un quelconque intérêt ? Dans quelles pathologies ? Que sait-on au juste de leur activité ? De leur innocuité ? Dispose-t-on de données factuelles permettant d'évaluer le bénéfice que l'on peut retirer de leur utilisation ? Pour quels risques ? Existe-t-il, en dehors des observations anecdotiques et de la tradition, des essais cliniques solides permettant de considérer, dans un contexte précis, le recours aux médicaments à base de plantes comme l'un des choix possibles pour la prescription ou le conseil ?C'est à ces questions que cet ouvrage tente de répondre. Son objectif est de recenser et d'analyser les données essentielles de l'évaluation des principales plantes médicinales, en adoptant une approche par problème de santé (anxiété, dépression, fatigue, insomnies).Après une courte introduction mettant en perspective l'affection et les modalités habituelles de sa prise en charge, l'auteur présente brièvement, pour chaque plante, les données de la pharmacologie expérimentale, puis détaille tous les aspects permettant d'en cerner les bénéfices et les risques (essais cliniques, effets indésirables, toxicité éventuelle).Précisant le statut légal des plantes évoquées, mais également les indications reconnues et les posologies, il s'appuie sur près de 900 publications scientifiques et sur les données françaises et allemandes, que d'aucuns tendent à considérer comme les références dans le domaine de la phytothérapie.
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Extrait
J e a n B R U N E T O N professeur de pharmacognosie à la faculté de pharmacie d’Angers
Phytothérapie
Les données de l’évaluation
Éditions Tec & Doc 11, rue Lavoisier F75008 Paris
Chez le même éditeur
La flore du pharmacien J. Reynaud, 2002 Plantes toxiques – Végétaux dangereux pour l’Homme et les animaux e J. Bruneton, 2 édition, 2001 Conseil homéopathique à l’officine collection « Conseil à l’officine » F. Roux, 2001 Le préparateur en pharmacie – Dossier n° 2, « Botanique – Pharmacognosie – Phytothérapie – Homéopathie » A. Ghestem, E. Seguin, M. Paris, A.M. Orecchioni, 2001 Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales e J. Bruneton, 3 édition, 1999 Le préparateur en pharmacie : guide théorique et pratique J.M. Gazengel, A.M. Orecchioni, 1999
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à André Cavé sans qui...
En couverture :Rosa caninaL. (photographie : Annie BRUNETON).
Les informations contenues dans cet ouvrage ont un but pédagogique; ce dernier ne constitue en aucun cas un guide de traitement. Contrairement à une opinion répandue, les plantes peuvent engendrer des effets indésirables, voire des manifestations toxiques graves. Elles sont en outre susceptibles d'interférer avec des traitements médicamenteux. L'automédication, en différant le diagnostic et la mise en place d'une thérapeutique efficace et reconnue, peut avoir des conséquences graves. Les patients qui souhaitent utiliser des plantes pour corriger un état de santé qu’ils jugent perturbé sont invités à tenir compte de ces faits.
santé ou patient — pourra fonder son opinion. Autrement dit, il essaie de montrer, au travers 1 d’exemples choisis , l’état des connaissances objectives sur l’intérêt en clinique des plantes médicinales, que celuici soit lié à leur activité ou ... à leur innocuité (primum non nocere). Si les plantes peuvent, comme certains le pensent, soulager divers maux, ne peuventelles pas aussi être utiles pour en prévenir l’apparition ? Nombre de nos contemporains, soucieux de la qualité de leur alimentation, sont désormais attentifs à la composition de celleci : ils savent, ou pressentent, que les végétaux peuvent apporter des substances qui, peutêtre, diminuent le risque de survenue d’affections diverses. Alors que la frontière s’estompe entre le médicament et l’aliment — et que naît le concept promotionnel d’ « alicament » —, une certaine presse, brûlant les étapes et gommant les réserves d’usage, tend à présenter comme acquises des données qui ne sont parfois que préliminaires ou fragmentaires. Dans ce domaine, comme dans celui des plantes qui sont sensées soigner, nous tenterons, là encore au travers d’exemples, de préciser ce que l’on peut attendre des plantes et de leurs constituants, du fait de leur présence dans l’alimentation ou dans des « compléments alimentaires ».
Une nécessaire évaluation. Il n’y a pas de pratique « alternative » ou « officielle ». Seule une pratique fondée sur des preuves devrait avoir cours. Le problème majeur que pose la phytothérapie est que ses adeptes s’appuient, d’abord et avant tout, sur la « tradition ». Pourquoi pas ? Mais tradition ne vaut pas preuve. De plus l’usage traditionnel est souvent très restreint. Que la tradition donne à réfléchir, qu’elle fournisse des pistes de réflexion, soit. Pourquoi pas, en effet, valider des emplois dont, apparemment, on ne se porte pas plus mal ? Mais les apparences sont trompeuses : certaines espèces vantées par les « Anciens » se sont révélées hépatotoxiques ou cancérigènes. Audelà de la tradition, le raisonnement s’appuie sur des propriétés pharmacologiques, mises en évidencein vitro, etin vivochez l’animal. Ces données, dont beaucoup sont anciennes, sont souvent obtenues avec des extraits dont la composition n’est pas connue avec précision. De plus, elles sont fréquemment recueillies à la suite d’une administration par des voies non habituelles (ex. : voie intrapéritonéale). Si l’investigation pharmacologique est absolument nécessaire à la connaissance, elle n’est pas suffisante. Une activité observée chez un animal n’est pas obligatoirement la même chez l’Homme. En tout état de cause, activité pharmacologique n’est pas synonyme d’utilité thérapeutique. On peut démontrer une activité sur tel ou tel système, sur telle ou telle constante biologique. Quelle en est la valeur clinique ? Qu’apportetelle en terme de guérison ? ou de confort ? La seule façon d’évaluer un médicament — et l’on ne voit aucune raison pour qu’une plante ou un extrait de plante échappe à cette règle — est de le tester, chez l’humain, dans des conditions de rigueur optimales, c’estàdire dans le cadre d’essais cliniques comparatifs, randomisés et en double insu. Pendant longtemps, l’étude clinique des plantes et de leurs préparations s’est limitée à des relations d’observations personnelles, à des publications de séries de cas. Progressive ment, divers auteurs ont compris qu’il était nécessaire de franchir le pas vers une confrontation bien conduite de la plante et du placebo. À l’heure actuelle, plusieurs espèces
1.Sur les plantes médicinales en général, voir : Wichtl, M. et Anton, R. (1999).Plantes thérapeutiques Tradition, pratique officinale, science et thérapeutique, Tec & Doc, Paris.
ont fait l’objet de tentatives d’évaluation. Dans certains cas, il a même été possible à quelques spécialistes de tenter une métaanalyse des essais publiés. Cela étant dit, il faut bien constater que seule une minorité de plantes sont concernées par cette démarche. Il faut aussi considérer que si la démarche est présente, la qualité méthodologique n’est pas toujours au rendezvous, loin s’en faut. Trop d’essais présentent encore des biais suffisamment importants pour fragiliser les conclusions que l’on est tenté de tirer d’une lecture hâtive de leur compte rendu. Fort heureusement, et depuis quelques années, un nombre croissant d’articles traitant de la « médecine par les plantes » sont 2 publiés dans des revues du meilleur niveau . C’est une garantie de qualité, nécessaire mais 3 pas toujours suffisante . C’est aussi la condition essentielle à la diffusion des résultats qu’ils présentent. C’est à ce prix que les plantes peuvent prétendre accéder à une certaine forme de reconnaissance par la communauté des praticiens de santé. Si l’on s’accorde sur la nécessité de l’évaluation, il faut comprendre que celle des plantes médicinales pose de réels problèmes. De coût, bien sûr. Mais aussi du fait même de la variabilité végétale : comment évaluer un produit qui varie ? Or, cette variabilité, pour le pharmacologue comme pour le clinicien, constitue un handicap majeur : si la nature et la teneur des substances contenues dans la plante peuvent varier, comment compter sur une constance dans l’activité, une reproductibilité des effets attendus ? En toute rigueur, on ne peut extrapoler les résultats d’un essai sur une plante ou un extrait de plante qu’aux plantes et aux extraits de même composition (c’estàdire de la même espèce, de même origine, etc.). Ces difficultés, souvent sousestimées par les expérimentateurs cliniciens, expliquent 4 certainement une partie de l’inconstance des résultats trop souvent constatée . On a pu lire, dans un quotidien français, que « L’avenir est, d’une part, à des médica ments innovants, coûteux, efficaces et bien remboursés et, d’autre part, à une automédication 5 responsable avec des médicaments adaptés au traitement des affections aiguës bénignes . » La plante peutelle être considérée comme un « médicament adapté » à la prise en charge de plaintes, de ressentis et d’affections bénignes ? En d’autres termes, la phytothérapie permet
2. Trop souvent, les périodiques plus ou moins spécialisés dans la publication d’articles sur la « phytothérapie » ou les médecines « naturelles » sont dépourvus de comités de lecture. L’absence de « critique par les pairs » des articles qui y sont publiés entame fortement leur crédibilité. Les données que ces articles fournissent, incomplètes ou mal présentées, sont rarement exploitables. Dans de trop nombreux cas, ils sont complètement dépourvus de rigueur scientifique. Au mieux, ils peuvent fournir des pistes pour une investigation rigoureuse. De plus, non systématiquement référencés par les grandes bases de données internationales, ils peuvent parfois être difficiles à localiser.
elle d’ajuster les moyens aux enjeux ? Sans aucun doute, sous réserve qu’une évaluation minimale ait établi que la balance entre les bénéfices et les risques soit favorable. Et que la qualité soit assurée par le respect de la réglementation en vigueur. On verra ciaprès que beaucoup reste à accomplir pour parfaire la validation de l’usage des plantes médicinales et que, souvent, leurs détracteurs ont beau jeu de souligner qu’elles ne sont sans doute que des « placebos ». Estce si important, si elles s’avèrent utiles ? Si une plante aide à résoudre une plainte d’insomnie ou une colopathie fonctionnelle, fautil s’offusquer de constater que cela n’est, pour une large part sinon exclusivement, que la conséquence de la croyance dans l’objet qui peut guérir ? Et de la conviction, partagée par le soignant et le soigné, concernant les effets attendus ? Se sentir mieux, n’estce pas le plus important ? Encore fautil ne pas être dupe, et prescrire, ou conseiller, sur la base de ce que l’on sait, pas de ce que l’on croit. Puisse cet ouvrage faciliter ces choix.
Limites de l’ouvrage. Avant de répondre à ces questions, il faut préciser les plantes dont on entend parler ici. Aujourd’hui encore, nombre des médicaments disponibles proviennent du règne végétal et des capacités d’observation des générations qui nous ont précédés. Il ne fait de doute pour personne que la morphine est l’antalgique de référence ou que la digoxine constitue l’un des moyens de corriger les manifestations de l’insuffisance cardiaque. Il est tout aussi évident que les anesthésiques locaux n’auraient pas existé sans la découverte de la cocaïne, et que les antispasmodiques doivent beaucoup à l’atropine. Et ce n’est pas parce que l’on module désormais l’activité des substances naturelles par de subtiles hémisynthèses (docétaxel, vinorelbine) qu’il faut oublier que les plantes continuent d’enrichir l’arsenal thérapeutique (paclitaxel) ou d’alimenter l’imagination des chimistes. Ces médicaments — ces plantes — ne sont pas traités dans cet ouvrage. L’évaluation clinique a consacré la substance active, laquelle a occulté la plante : la majorité des patients — et sans aucun doute quelques prescripteurs — seraient surpris d’apprendre que des substances qu’ils perçoivent comme « majeures » ont une origine végétale plus ou moins lointaine. Ce qui nous intéresse ici, ce sont les plantes médicinales dans l’acception « grand public » du terme, notamment celles qui entrent dans la composition de produits dits de « médication familiale » sensés être utiles pour les pathologies du quotidien. Cela ne veut pas dire que seules les plantes destinées à l’obtention de tisanes seront prises en considération : on étudiera aussi des espèces végétales actuellement utilisées sous forme d’extraits inclus dans des médicaments qui, comme les plantes ellesmêmes, peuvent bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), obtenue selon une procédure « allégée » (ou, pour certains, selon la procédure habituelle, cf. p. 2).
Organisation de l’ouvrage. L’objectif de l’ouvrage étant de recenser et d’analyser les données essentielles de l’évaluation clinique des principales plantes médicinales, d’autres aspects de la connaissance du végétal ont été délibérément écartés — l’aspect botanique par exemple — ou réduits à un strict minimum : cela est le cas de la composition chimique, cet 6 aspect fondamental ayant été développé par ailleurs . L’objectif assigné à l’ouvrage impose également la présentation par « problème de santé » : après une courte introduction mettant en perspective l’affection et les modalités habituelles de sa prise en charge, on présentera
e 6. Bruneton, J. (1999).Pharmacognosie, phytochimie, plantes médicinales, 3 éd., Tec & Doc, Paris.
brièvement, pour chaque plante, les données de la pharmacologie expérimentale. On détaillera ensuite tous les aspects permettant de cerner la balance entre les bénéfices et les risques : essais cliniques, effets indésirables, toxicité éventuelle, etc. Il est également apparu nécessaire de préciser le statut légal des plantes évoquées. Pour cet aspect, comme d’ailleurs pour les indications reconnues et les posologies, on a systématiquement fait appel aux données françaises et aux données allemandes que d’aucuns tendent à considérer comme les références dans le domaine de la phytothérapie.
Avant de poursuivre, je tiens à remercier tous ceux qui, à des titres divers, m’ont permis de mener à bien ce projet. En premier lieu, mes remerciements s’adressent à Gilles Bardelay, membre de la rédaction deLa Revue Prescrire. Son expérience de médecin et sa longue pratique de la rédaction scientifique m’ont été précieuses. Les échanges que nous avons eus et les pistes de réflexion qu’il m’a ouvertes ont été pour moi une source d’enrichissement irremplaçable. Merci aussi, une fois encore, au professeur Michel Lebœuf, pour sa lecture critique du projet et ses observations judicieuses. Je remercie également le professeur Hélène Guinaudeau (Université d’Angers) et Denis Bellenot (ITEIPMAI) qui, dans les domaines qui les concernent, m’ont apporté le concours de leur expertise. Merci également à Danièle Piolet et à Pol Corvez qui ont apporté leur concours pour garantir, par une relecture minutieuse, la qualité optimale du texte final. Merci enfin aux personnels de la bibliothèque universitaire qui ont, une nouvelle fois, contribué efficacement à une quête documentaire parfois peu facile. L’essentiel de l’ouvrage a été réalisé dans le cadre d’un congé que le conseil scientifique de l’université d’Angers a bien voulu m’accorder : qu’il en soit ici remercié.