Laïcité, théologie et sainte ignorance
131 pages
Français

Laïcité, théologie et sainte ignorance , livre ebook

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131 pages
Français

Description

La laïcité n'a pas simplement provoqué la séparation de l'Église et de l'État. Elle a aussi étouffé la pensée progressiste et scientifique en catholicisme. La République a fait de la théologie un discours d'église. Certains l'ont dit de manière très explicite pendant la discussion de la loi de 1905 : « Nous livrons les catholiques à Rome ». Cet ouvrage retrace l'histoire complexe d'une pensée moderne qui essaie de concevoir de nouveaux rapports entre une foi qui se veut libre et une société à la recherche d'une assise morale acceptable pour tous. L'État doit empêcher les extrémismes. Il doit notamment veiller à ce qu'un savoir fiable du fait religieux et de la réflexion qui en découle soit accessible à tous.

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Informations

Publié par
Date de parution 19 mai 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9782140149894
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Patrick Vandermeersch
LAÏCITÉ, THÉOLOGIE ET SAINTE IGNORANCE H i s t o i r e d ’ u n e m é s e n t e n t e
LAÏCITÉ,THÉOLOGIEET SAINTE IGNORANCE
© L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-20240-2 EAN : 9782343202402
Patrick Vandermeersch Laïcité, théologie et sainte ignorance Histoire d’une mésentente
DU MÊME AUTEUR
La chair de la passion. Une histoire de foi : la flagellation, Cerf, 2002.
Préface
La France est un pays bien sympathique, mais son catholicisme est très particulier. Ayant été professeur de théologie en Belgique et aux Pays-Bas, je n’y retrouve ni le vécu religieux, ni l’approche libre et scientifique de la religion, qui me semblaient aller de soi. Quand j’ose prononcer le mot de « théologie » en France, je me sens tout de suite relégué du côté du bénitier et du confessionnal. Pour les Français la théologie est un discours d’église, et il n’est pas de bon ton d’introduire le sujet pendant un repas d’amis. Cela ne donne pas de piment aux plats, cela provoque de la brouille. La France est laïque ! Quand on touche à cette laïcité, l’agressivité apparaît vite. En France on ne badine pas avec le catholicisme et on ne badine pas avec la laïcité. Mais quelle est donc cette laïcité qui a tendance à étouffer toute conversation à bâtons rompus sur la religion ? Maintenant que je suis à professeur émérite et que mes fréquents séjours à Sitges m’ont souvent fait discuter avec des Français, je me suis mis à explorer la fameuse laïcité à la française. C’est devenu un sujet passionnant qui a meublé mes loisirs. Je donne ici les conclusions auxquelles je suis arrivé, et qui ont surpris mes interlocuteurs. Bien sûr, il faut absolument séparer l’Église et l’État, mais cela ne dispense pas de connaître le fait religieux et d’en tenir compte. Il faut y réfléchir. Le contraire ne serait pas honnête, intellectuellement, et dangereux, socialement. Les intégristes de tout bord, avec ou sans bombes, sont là pour nous le rappeler. L’État a donc le devoir de veiller à ce qu’un savoir fiable du fait religieux soit accessible à tous – tout comme il a ce même devoir concernant la santé, l’économie, l’environnement et autres choses encore. Il doit veiller à ce qu’on ne dise pas n’importe quoi et, donc, ne pas donner le discours religieux en exclusivité aux églises ou aux groupes religieux de tout bord. Pour la France, qui a mis en place sa laïcité, cela veut dire qu’elle a eu tort de donner l’héritage du catholicisme en exclusivité à l’Église catholique et romaine.
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Ma thèse est la suivante : la laïcité à la française impose un format spécifique à la religion et elle étouffe la quête du savoir, qui en fait pourtant traditionnellement partie. C’est une laïcité qui 1 mène à la sainte ignorance, pour citer Olivier Roy. C’est une laïcité qui parque les « fidèles » dans ce qui lui semble, à partir de clichés, être de la religion dont il faut bien accepter l’existence. Pour cette laïcité cela va de soi que ceux qui « croient » se soumettent à une autorité religieuse. En réalité cette autorité est souvent à la remorque de prises de position dont on ne peut expliquer ce qu’elles ont à voir avec la doctrine professée par cette religion. Faites le test et demandez en France pourquoi le mariage pour tous est en contradiction avec le catholicisme. Je parie que vous recevrez une réponse agressive dans le style de : « et vous acceptez donc aussi les mères porteuses ! » N’ajoutez surtout pas que d’autres pays chrétiens n’ont aucun mal à accepter ce mariage et qu’on trouve que c’est tout-à-fait en consonance avec l’évolution de la pensée chrétienne. Je parie qu’on vous tournera le dos en le haussant. Mais la réponse rationnelle expliquant ce que cela a à voir avec la doctrine du christianisme, je ne l’ai encore jamais entendue en France. Poser la question est impensable au sein de la communauté que forme le catholicisme français. La laïcité française a contribué à former ce communautarisme. L’Église catholique y est devenue la communauté des croyants et on attend des autres religions qu’elles suivent le mouvement. Ne demandez pas ce que « croire » veut dire ni ce qui constitue une autorité religieuse vraiment religieuse. L’État laïque a besoin de « répondant », point. Donc, quand il y a des attentats de signature islamique, on convoque les responsables des mosquées pour leur demander de remédier à cet usage de l’islam. On sait bien qu’ils n’en ont pas le pouvoir mais c’est ce qu’a décidé la France en établissant sa laïcité (la seconde, celle de 1905). On se remet aux « associations cultuelles » pour ce qui en est de l’influence de la pensée religieuse sur les « fidèles », même si on sait bien que le vrai pouvoir sur les âmes ne se trouve pas là. Mais bon – dit-
1. Olivier Roy,La sainte ignorance. Le temps de la religion sans culture, Paris: Seuil, 2008.
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on – il ne revient pas à la pensée laïque de développer une théorie sur le fonctionnement interne de la religion et de s’en mêler. Alors, la laïcité française favorise la sainte ignorance. Tout cela relève-t-il des effets secondaires dont on a pas mesuré l’importance quand on a mis en place la laïcité ? Pas du tout. C’est en cela que l’histoire de la laïcité française est intéressante. Elle nous fait voir les difficultés auxquelles on se heurte quand on veut libérer l’individu de l’emprise de ce qui se présente comme étant de la religion. Car ne laissons pas de doute : si je critique la laïcité, ce n’est pas pour venir à la rescousse de la religion d’antan, ni des groupes sectaires qui s’organisent autour d’un guru. Je n’aime pas du tout les religions qui ne respectent pas la liberté individuelle et la pensée autonome, et elles sont, hélas, revenues, en partie grâce à la laïcité. Le christianisme est pour moi autre chose, et en cela je me range dans une longue tradition qui commence avec son véritable fondateur, Paul de Tarse. Il suffit de relire la fin de l’Épître aux Romains, le tout premier document sur la morale 2 chrétienne, pour bien voir ce dont il s’agit. Pour étayer ma thèse je suivrai d’abord la voie de l’histoire de la laïcité en France, car elle est si particulière qu’on doit se demander s’il y a une leçon plus générale à en tirer. Puis, plus brièvement, je passerai à la problématique actuelle. Elle devient de plus en plus mondiale et l’universalisation des syncrétismes religieux ne fait que la rendre plus urgente.
2. Rom. 14: « Tel croit pouvoir manger de tout, tandis que le faible ne mange que des légumes [...] Celui-ci préfère un jour à un autre, celui-là les estime tous pareils : que chacun s’en tienne à son jugement. »
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