Peaux blanches, racines noires
244 pages
Français

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Peaux blanches, racines noires , livre ebook

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Description

Par quels processus historiques et culturels un rite initiatique gabonais, le bwiti, réprimé pendant la colonisation, incarne désormais une forme de "chamanisme" africain sur la scène internationale, bénéficiant d'une image enchantée et salvatrice ? Le bwiti, et surtout l'iboga, la plante psychotrope dont on ingère les racines pendant le rituel, sont aujourd'hui réinvestis non seulement par des intellectuels et le gouvernement gabonais, mais aussi par un microcosme franco-gabonais d'initiateurs et d'initiés.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 08 janvier 2015
Nombre de lectures 215
EAN13 9782806107541
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre

Nadège Chabloz





Peaux blanches,
racines noires


Le tourisme chamanique de l’iboga
au Gabon
Copyright

Remerciements

Tous mes remerciements vont d’abord aux personnes qui ont bien voulu se prêter au jeu de la relation ethnographique, et plus particulièrement Yann, Philippe, Christophe et Marie-Claire, Tatayo, Atome Ribenga.
Les proches qui m’ont supportée – dans les deux sens du terme – tout au long de la rédaction de cet ouvrage et de la thèse dont il est en partie issu doivent savoir à quel point leur présence et leur soutien m’ont été précieux : je pense surtout à Marilou et Simon Chabloz, ainsi qu’à Sébastien Roux et Anne Doquet pour leur relecture, à Nathalie Vignères pour son aide au montage des films documentaires. J’adresse enfin mes plus vifs remerciements académiques à Jean-Loup Amselle qui a dirigé ma thèse, à l’ancien Centre d’études africaines et au nouvel Institut des mondes africains qui ont soutenu financièrement mes missions d’enquête au Gabon et la publication de cet ouvrage.




D/2014/4910/64
EAN Epub :978-2-806-12004-5
© Academia-L’Harmattan s.a.
Grand’Place 29
B-1348 Louvain-la-Neuve
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’auteur ou de ses ayants droits.
www.editions-academia.be
Introduction
« waouh alors la cérémonie de hallucinogic cocktail c’est à Ebando… puissant cocktail et funky bwiti… et Muenba a une aura de guerrier… la démesure nique la mesure… c’est ça aussi bwete c’est s’écouler hors cadre et hors récipient… Pousser comme la mauvaise herbe hors des plates-bandes.
Tu parles le langage des oiseaux (et le roi des oiseaux est le roi du bwiti je l’ai vu de mes yeux vu dans la chambre des ngangas) et la langue fleuri… ton Afrique est bien bandante… les choses belles et bonnes sont dans la place… c’est bien. “Les portes de la terre sont ouvertes, les portes du ciel sont ouvertes, la route des fleurs est ouverte. Mon esprit a été entendu par l’esprit du ciel, par l’esprit de la terre, par l’esprit des fleurs” » 1 .
Ce message a été posté sur un site où les internautes débattent de l’usage des plantes hallucinogènes et psychotropes. Il évoque la pratique du rite initiatique du bwiti au Gabon qui comprend la consommation d’une plante psychotrope, l’iboga ; il est destiné à Tatayo, un Français vivant au Gabon depuis plus de trente ans et connu pour avoir initié de nombreux Européens et Nord-Américains au bwiti depuis le début des années 2000.
De ce commentaire émerge toute une série de questions : par quels processus historiques et culturels un rite initiatique gabonais, le bwiti, réprimé pendant la colonisation par les missionnaires et aujourd’hui par les églises évangéliques, craint et rejeté par une partie de la population locale du fait des représentations sorcellaires et mortifères qui l’entourent, incarne depuis une quinzaine d’années une forme de « chamanisme » africain sur la scène internationale, bénéficiant d’une image enchantée et salvatrice ? Le bwiti, considéré comme un héritage honteux et archaïque par une large partie de la population gabonaise qui l’ont délaissé au profit des « religions importées » depuis l’époque coloniale, est aujourd’hui réinvesti par des intellectuels gabonais et par des initiateurs et initiés français. Ces derniers appréhendent ce rite africain pour découvrir les origines de l’humanité, pour guérir de traumatismes attribués à un Occident décadent, grâce aux mystères que l’Afrique a su conserver. Ces pratiques diffèrent d’un tourisme de racines car elles concernent des Français (et plus largement des Européens, des Américains, etc.) dont l’histoire familiale n’est pas forcément liée à l’Afrique. Ainsi, les recompositions identitaires de ces Français blancs, en tentant de devenir durablement ou pour un temps des Africains noirs grâce à l’initiation, à l’ingestion des racines de l’iboga, à leur promotion et à l’adoption du mode de vie local, apparaissent à première vue comme un retournement des valeurs et des affects liés à la situation coloniale. Frantz Fanon (1952), dans son ouvrage Peau noire, masques blancs, analysait la névrose collective héritée de la colonisation – sentiment de supériorité des Blancs sur les Noirs et inversement, d’infériorité des Noirs envers les Blancs. Du point de vue des initiés français, c’est aujourd’hui la névrose de la société occidentale qui les pousserait à revêtir les attributs africains, les racines et les masques noirs, jugés supérieurs à l’Occident aux points de vue humain, spirituel et thérapeutique.
Pour saisir les origines et le sens de ces réinvestissements du bwiti et des recompositions identitaires qui leur sont liées, cet ouvrage s’attache dans un premier temps à décrire les individus et les institutions qui participent à la mise en œuvre et à la promotion de ce rite perçu comme un « funky bwiti », un « bwiti full » ainsi que le processus d’élaboration des représentations enchantées qui lui sont liées. Cette partie ethnographique est complétée par l’analyse de situations de rencontre observées lors d’initiations de Français au Gabon et à la marge du cadre initiatique, situations qui sont empreintes de quêtes salvatrices mais aussi de rapports de domination racialisés. Dans un second temps, il s’agit de mettre au jour les phénomènes historiques et culturels qui expliquent tout à la fois l’émergence d’un tourisme culturel et salvateur en Afrique et qui tendent à représenter désormais l’iboga en tant que plante enthéogène – une plante remède universel à l’instar d’autres plantes comme le peyotl ou l’ayahuasca –, et le bwiti, un rite désormais appréhendé comme « intégral », imprégné de rhétorique et de pratiques new age, un « bwiti full ».
L’hypothèse sur laquelle repose cet ouvrage est que l’expérimentation de rites initiatiques africains par des Européens, de Nord-Américains, mais aussi d’Africains, peut être comprise par l’étude de la confluence de plusieurs phénomènes mondialisants sur des échelles de temps différentes : l’utopie romantique (dont s’inspirent plusieurs mouvements de contre-culture comme le new age ), les progrès technologiques, l’avènement du capitalisme industriel, la colonisation, la décolonisation, l’émergence des thèses afrocentristes et le tournant expérientiel qu’ont connus à la fois l’anthropologie et le tourisme.
Les pratiques contemporaines dépendent largement des représentations entourant ce rite initiatique. Ces représentations sont co-construites par des acteurs, des institutions, des mouvements culturels, qu’ils soient gabonais, français, nord-américains ou transnationaux. Ces représentations concernent autant les populations africaines, leurs pratiques, que des conceptions entourant la religion, les plantes psychotropes, la santé, le tourisme, autant de domaines dans lesquels cet ouvrage mènera des incursions, afin de comprendre la dimension salvatrice et romantique de ces voyages intérieurs, historiques et géographiques suscités par la plante iboga. Ces représentations correspondent également à de profondes modifications du rite du bwiti depuis que les Fang l’ont adopté, modifications poursuivies par divers initiateurs qui l’ont fait connaître, en parallèle des écrits des anthropologues, à un public international.
Le bwiti est un culte initiatique répandu dans tout le Gabon et, de façon plus marginale, en Guinée équatoriale et au sud du Cameroun. L’initiation comporte entre autres la consommation d’une plante psychotrope (iboga ou eboga 2 ) « qui permet d’accéder à la vision du monde d’Eboga, le monde des figures ancestrales et divines, et à la connaissance des secrets de la vie et de la mort » (Mary 1997) et qui est administrée par le nganga, terme désignant presque partout la fonction de devin-guérisseur 3 . L’activité cérémonielle rituelle (ngoze) se compose de nombreux rites exécutés par les initiés (banzi) et de danses nocturnes accompagnées de chants et de musique instrumentale comme celle de la harpe (ngombi) . Le symbolisme de ces

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