Vie et mort en réanimation néonatale
287 pages
Français

Vie et mort en réanimation néonatale , livre ebook

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287 pages
Français

Description

En dépit d'une interdiction pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement, les réanimateurs décident en certains cas d'arrêter la vie. Comment se construisent alors les pratiques des réanimateurs pris dans une tension entre le droit et la pratique et comment participent les parents impliqués malgré eux ? A partir d'un travail de plusieurs mois dans deux services de réanimation néonatale, voici une analyse de ces décisions "d'arrêt de vie".

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2008
Nombre de lectures 132
EAN13 9782296199798
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Préface
Pour être une réalité dans la pratique des hôpitaux, et pour affleurer de temps en temps dans des « cas » publicisés et passionnément discutés, l’euthanasie et toutes les pratiques qui s’en rapprochent, n’en restent pas moins un sujet tabou dans notre société. Ou peut}être serait}il plus approprié de parler d’un secret de Polichinelle : tout le monde sait qu’elle se pratique, mais il n’en reste pas moins interdit d’en faire état publiquement. Bref, en pratiquer si nécessaire mais en parler le moins possible.
C’est dire toute l’utilité et l’actualité d’études sociologiques telles que celle présentée par Elsa Gisquet dans ce livre. Elle y étudie empiriquement cet indicible, puisqu’elle cherche à comprendre la manière dont se décide l’arrêt de traitement qui équivaut le plus souvent à un arrêt de vie dans le cadre de deux services de néonatalogie. Le progrès médical et pharmacologique des vingt dernières années permet d’essayer de sauver des bébés très prématurés condamnés autrefois à une mort certaine. Du coup, les services qui accueillent ces bébés sont confrontés, aujourd’hui beaucoup plus que par le passé, à des situations de choix dramatiques où il faut décider de continuer ou non le traitement et où il faut donc trouver des critères « objectifs » permettant de fonder et de légitimer ces décisions extrêmes. En somme, c’est un contexte dans lequel la question de l’euthanasie ne peut être évitée : sauf à refuser tous les grands prématurés pour lesquels le pronostic vital est incertain, on est sûr qu’un pourcentage des bébés qui entrent dans les services n’en sortiront pas, et que pour certains il aura fallu décider de mettre fin à une vie. On le voit : dans les services de néonatalogie, l’arrêt de vie n’est pas un fait exceptionnel, mais fait bien partie,nolens volens, de la routine de l’activité.
A ce jour, il existe peu d’études de ce type. Le premier mérite et le premier intérêt du livre se trouvent donc dans son parti pris empirique. Il est le résultat de longs mois d’enquêtes par entretien et surtout par observation participante au cours desquels Elsa Gisquet a partagé la vie des deux services étudiés et a pu suivre le devenir de nombreux bébés prématurés, de leur entrée dans le service jusqu’au dénouement (heureux ou fatal). Grâce à cette connaissance intime des deux services, elle nous livre une description détaillée de la manière
dont chacun s’est « organisé » pour faire face à cette contingence majeure, à savoir la nécessité de décider de l’arrêt d’un traitement, et en analyse les implications pour les différentes parties concernées : corps médical, personnel soignant et parents.
Ce parti pris empirique est capital pour le sujet traité. Il permet de décrire et d’analyser finement les différences de fonctionnements que les deux services ont construits pour faire face au même problème. La mise en évidence de ces différences est en soi un résultat remarquable et important : elle montre que pas plus ici qu’ailleurs, il n’y a de fatalité organisationnelle. La manière dont chaque service gère le problème de la décision d’arrêt de vie, constitue bien un construit organisationnel contingent dans l’émergence duquel les choix du chef de service, mais aussi les comportements et capacités de tous les acteurs concernés jouent un rôle primordial. En même temps, l’analyse de ces différences montre qu’il n’y a pas de« one best way », que chaque solution organisationnelle a ses avantages, mais aussi ses « coûts », c’est}à}dire comporte son lot de conséquences indésirables. Les amateurs de modèles seront déçus, les partisans du « choix organisationnel » y trouveront matière à confirmer leurs intuitions.
J’invite donc le lecteur à suivre Elsa Gisquet dans la précision et le détail de ses descriptions. Ce n’est que de cette manière qu’il pourra entrer réellement dans la vie des deux services, et prendre la mesure à la fois de ce qui s’y joue, des différences qui séparent leurs pratiques et de la logique profonde qui agence ces différences. Pour ma part, je voudrais insister sur trois points qui me paraissent avoir des implications plus larges.
Le premier a trait au caractère systémique de ces solutions organisationnelles. Certes, la volonté du chef de service est décisive dans l’émergence de tel ou tel modèle de fonctionnement. Et chacun exprime bien une logique d’ensemble, ce qu’Elsa Gisquet appelle le « sens de leur mission ». Elle montre que les deux fonctionnements ne produisent pas les mêmes décisions en matière d’arrêt de traitement. Ainsi, le service A voit le sens de sa mission dans l’évitement de handicaps trop sévères et aura tendance dans le doute à opter pour l’arrêt de traitement, tandis que le service B définit sa mission dans la volonté de d’abord sauver des vies, le conduisant à limiter les arrêts de traitements au cas estimés catastrophiques. Mais cette logique d’ensemble exige et produit en même temps des capacités collectives
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qui contribuent au maintien du modèle de fonctionnement choisi : ainsi, il semble bien que la stabilité du personnel du service A et son fonctionnement apaisé soient intimement liés à l’institutionnalisation et à la ritualisation du processus de décision menant à l’arrêt du traitement. En effet, cette institutionnalisation va de pair avec une technicisation et une objectivation plus forte des critères de décision menant à l’arrêt du traitement, ce qui rend ce processus plus supportable dans la durée. Et cette stabilité devient aussi une ressource pour le fonctionnement du service A permettant notamment de mieux intégrer les parents dans la vie du service et de les associer aux soins. Inversement, le processus de décision choisi par le service B, plus ouvert et aléatoire, crée un climat d’insécurité voire de frustration chez les personnels qui s’exprime dans un taux de rotation élevé. Du coup, les parents trouvent moins d’interlocuteurs disponibles pour les aider à participer aux soins : ils sont laissés à eux} mêmes, et parviennent à s’intégrer dans le fonctionnement du service selon leurs capacités propres. C’est dire qu’une fois instauré, un mode de fonctionnement crée et entretient en même temps les capacités collectives qui lui confèrent sa dynamique et son inertie.
Ces deux logiques, c’est là ma deuxième remarque, produisent aussi des contextes cognitifs contrastés conduisant à des diagnostics différents. Dans un chapitre particulièrement intéressant, Elsa Gisquet montre ainsi comment la logique profonde de chaque service s’exprime dans la manière dont il a choisi d’instrumenter le diagnostic : technicisation et médicalisation du processus de décision dans le service A, moindre instrumentation du diagnostic et insistance sur l’expérience clinique dans le service B. Pour le dire avec les mots mêmes de l’auteur, on peut voir làla confirmation qu’un processus décisionnel d’arrêt de vie est bien contingent : il n’est pas orienté uniquement par des normes scientifiques communes, il est soumis à des logiques organisationnelles et systémiques locales.
Enfin, le troisième point concerne l’absence des parents dans le processus décisionnel. C’est le seul trait pour lequel les deux services ne se distinguent pas. Dans les deux cas, la décision est prise par les médecins et ensuite « vendue » aux parents qui n’ont pas vraiment leur mot à dire. Plus remarquable encore, l’ouverture relative du processus de décision dans le service B, qui pourrait permettre une plus grande
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participation des parents, n’est pas vraiment utilisée par ceux}ci, faute la plupart du temps de ressources adéquates. Enfin, la posture ouvertement « paternaliste » du service A (qui voudrait que celui qui soigne a la responsabilité de se substituer aux malades, c’est}à}dire dans notre cas les parents, « pour leur bien ») ne provoque pas, bien au contraire, protestations ou mécontentement chez les parents concernés. Les interrogations suscitées par ces résultats sont traitées dans le dernier chapitre du livre particulièrement bien venu mais qui ne manquera pas de faire débat. Pour ma part, j’en retire une leçon simple mais primordiale pour la discussion sur la place des malades dans les processus de décision médicale. Cette discussion doit être menée sans dogmatisme et aussi près que possible des capacités réelles des acteurs du terrain. Il n’y a pas d’un côté le modèle « autonomiste » qui aurait toutes les vertus, et de l’autre le modèle « paternaliste » qui fait la part belle aux médecins et qu’il faudrait vouer aux gémonies. Chaque lecteur pourra décider pour lui}même. Pour ma part, je ne suis pas loin de penser que le modèle « paternaliste » du service A est plus respectueux des parents et aussi plus constructeur de leurs capacités que le service apparemment plus « autonomiste » du service B.
La sociologie des organisations est une discipline scientifique qui cherche à comprendre ce que deviennent nos idéaux et nos intentions initiales quand ils rencontrent les contraintes du terrain, les contraintes des structures nécessaires pour assurer la coopération des humains. Ainsi, c’est la discipline scientifique qui permet aux acteurs de connaître ce que sont devenus leurs choix dans la pratique, et de prendre la mesure de leurs conséquences réelles. Elle permet donc d’apporter un élément essentiel à la discussion éthique, puis qu’elle lui donne un contenu concret, et qu’elle permet ainsi de sortir cette discussion des sphères aérées des principes pour la rapprocher des pratiques. Il serait souhaitable que la sociologie accepte de travailler davantage des sujets comme celui traité par Elsa Gisquet. Tout en restant au plan descriptif et analytique des pratiques, elle permet d’éclairer un débat que l’évolution de nos sociétés et les progrès de la technique médicale rendront de plus en plus indispensable.
Erhard Friedberg
SOMMAIRE INTRODUCTION................................................................................................. 11 PARTIE I MONOGRAPHIE DU SERVICE A ....................................................37 CHAPITRE1 DES PRATIQUES MEDICALES TRES FORMALISEES...................................39 1. Les procédures qui coordonnent les activités ............................................................... 41 2. Une formalisation voulue par le chef de service.......................................................... 46 CHAPITRE2 LE MODELE INSTITUTIONNALISE DE LA DECISION DARRET DE VIE......53 1. Les différentes instances au sein desquelles émerge la décision ............................. 54 2. Les mécanismes qui sous-tendent la décision .............................................................. 67 CHAPITRE3 UN ENCADREMENT ENGLOBANT ET REPOSANT POUR LES PARENTS.....75 1. Cadrer les parents ou la cooptation à l’univers de la réanimation ........................... 75 2. Comment les parents vivent cette expérience ou font corps avec le monde médical ? ............................................................................................................................... 86 3. Préparer à l’inéluctabilité de la mort .............................................................................. 95 PARTIE II. MONOGRAPHIE DU SERVICE B ............................................... 109 CHAPITRE4 DES AJUSTEMENTS AU JOUR LE JOUR ENTRE PROFESSIONNELS............111 1. Une journée dépendant des événements quotidiens ................................................ 114 2. La construction de l’informel par les cadres dirigeants, effets sur les pratiques 119 CHAPITRE5 DES DECISIONS NON CONSENSUELLES................................................ 123 1. Une prise de décision hésitante ..................................................................................... 123 2. Des décisions et des hommes, la difficulté à décider dans le service B ................ 137 CHAPITRE6 UN ENCADREMENT QUI FAIT CONFIANCE AUX CAPACITES DADAPTATION PARENTALE............................................................................................................ 143 1. Un accueil pour démystifier la situation exceptionnelle.......................................... 143 2. Des parents peu engagés ................................................................................................. 152 3. La mort à venir de l’enfant, un accompagnement par ajustements........................ 156
PARTIE III. LES MECANISMES QUI PORTENT ET FAÇONNENT UNE DECISION D’ARRET DE VIE........................................................................... 177 CHAPITRE7 PARTICIPATION A UNE DECISION DE VIE ET DE MORT......................... 179 1. La construction de cadres décisionnels permettant de structurer les choix......... 179 2. Des décisions différentes face à un même enjeu ....................................................... 187 3. Des décisions contingentes............................................................................................. 195 4. Un renoncement commun auxprocédures de délibération collective .................. 201 5. Implications des cadres décisionnels pour les professionnels ............................... 207 6. Capacités décisionnelles et vécu des parents.............................................................. 214 CHAPTIRE8 LE MYTHE DE LA PARTICIPATION DES USAGERS A UNE DECISION DARRET DE VIE......................................................................................................225 1. Les frontières de la participation dans le cadre français .......................................... 228 2. Le modèle américain ou les limites du choixindividuel ......................................... 244 3. Les formes possibles de coopération entre professionnels et familles ................. 252 CONCLUSION L’ETHIQUE MEDICALE EN PRATIQUE...........................263 BIBLIOGRAPHIE ...............................................................................................267 GLOSSAIRE .........................................................................................................277 ANNEXE. LES MATERIAUX RECUEILLIS.................................................... 281
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