C'est la première fois que je vis longtemps

Lise Poirier Courbet

Description

Vingt ans après les faits, dans le cahier rouge et noir, la narratrice écrit son journal, celui de l'enquête qu'elle mène auprès de ses frères et sœurs et à partir des pièces du procès. Dans le cahier bleu, elle fait vivre l'adolescente de seize ans avant et juste après le viol. Elle écrit la traversée de l'événement comme une tentative d'apprivoiser quelque chose qui ne peut jamais l'être. "L'écriture, un cri muet qui me protège".

Sujets

• Témoignage
• Récit
• Autobiographie
• Sociologie

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 19 août 2019
• Nombre de lectures: 1
• EAN13: 9782140128462
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Lise POIRIER COURBET C’est la première fois que je vis longtemps
« Passer de l’avant à l’après de l’évènement pour mieux
conjurer son effet néfaste, pour recoudre les fils cassés entre
l’avant d’une certaine innocence et l’après du désastre…
Le locataire est entré par une porte. Chez nous, les portes
n’étaient pas fermées à double tour… Reprendre le fil de
la chronologie… Juguler le débordement de la mémoire
envahissante conduite par ses chevaux fous, tenter par
l’écriture de ces deux cahiers de me maintenir hors du
non-sens, hors de ma propre folie. »
Vingt ans après, dans le cahier rouge et noir, la narratrice
écrit son journal, celui de l’enquête qu’elle mène auprès
de ses frères et sœurs et à partir des pièces du procès ;
dans le cahier bleu, elle fait vivre l’adolescente de seize
ans, avant et juste après le viol. Elle écrit la traversée de
« l’événement » comme une tentative d’apprivoiser quelque
chose qui ne peut jamais l’être. « L’écriture, un cri muet
qui me protège. »
Lise POIRIER COURBET est psychosociologue, L’écriture de la vie
écrivaine, chercheure et membre fondatrice du Réseau
International de Sociologie Clinique. Auteure d’un
essai Vivre après un viol. Chemins de reconstruction,
Lise POIRIER COURBET
elle a aussi écrit avec Aymard de Mengin, Bombay,
rivage des possibles. Carnets de voyage dans la
planète altermondialiste. Elle anime des séminaires, « Histoire de C’est la première fois
femmes », « Récits de vie et écriture » et un atelier « Trame de vie,
trame d’écriture ». que je vis longtemps
suivi d’un entretien de l’auteure
avec Marion Rousset
Illustration de couverture : Lise Poirier Courbet.
ISBN : 978-2-36085-100-3
16
www.teraedre.fr
L’écriture de la vieC’est la première fois
que je vis longtempsCOLLECTION « L’ÉCRITURE DE LA VIE »
sous la direction de Christine Delory-Momberger

Au cœur de l’intérêt contemporain pour les « histoires de vie »,
qu’alimentent une tradition ancienne et un courant théorique qui
ont trouvé à s’exprimer tant en littérature qu’en sciences
humaines, il y a la dimension créative d’une « écriture de la
vie ».
« L’écriture de la vie » à laquelle renvoient l’étymologie et le
sens commun du mot biographie est ici entendue comme une
attitude première du fait humain : dès qu’il veut se saisir de
luimême, l’homme écrit sa vie. Il n’a pas d’autre moyen d’accéder
à son existence que de figurer ce qu’il vit à travers le langage
des histoires. Les hommes ne font pas le récit de leur vie parce
qu’ils ont une histoire : ils ont une histoire parce qu’ils font les
récits de leur vie.
La collection « L’écriture de la vie » propose des ouvrages à
dimension théorique et historique ainsi que des récits
biographiques – récits de formation ou d’itinéraires
professionnels, biographies intellectuelles, expériences
collectives, histoires généalogiques – des journaux et des
correspondances, qui s’éclairent les uns les autres.
La collection s’adresse à la fois à un public de spécialistes de
sciences humaines tant universitaires que professionnels
(sociologues, anthropologues, ethnologues, historiens,
psychologues), de spécialistes de l’éducation (enseignants,
éducateurs, formateurs, praticiens des histoires de vie), et à un
grand public intéressé par les récits et témoignages
biographiques.
Lise Poirier Courbet
C’est la première fois
que je vis longtemps
suivi d’un entretien de l’auteure
avec Marion RoussetISBN 978-2-36085-100-3
© Téraèdre 2019
www.teraedre.frLE CAHIER ROUGE ET NOIR

Le 20 juillet 1992. Place de la Liberté

Il y a des jours où j’essaie seulement de survivre.
Trois heures de l’après-midi, Chloé s’est enfin endormie.
J’espère sauver quelques moments de solitude et
d’écriture.
Je me suis approchée du lit, la cuisse de Chloé est repliée
vers l’oreiller de coton blanc. Ses paupières sont closes, le
dessin de sa bouche m’a fait penser à une statuette de
bouddha. J’ai pleuré.
C’est la première fois que je reste aussi longtemps au
village, dans notre maison d’enfance, sur la place de la
Liberté. Hier, je suis arrivée vers midi par le train de Paris.
Dès que j’ai aperçu les maisons basses disposées en cercle
autour du vieux platane, je me suis sentie chez moi, je me
suis rappelé la fille Pineau « la folle du village ». Au pied
du platane séculaire, elle s’agenouillait pour déposer des
sous et implorer sa protection.
Christine, ma grande sœur, mon aînée de vingt ans, est
venue me chercher à la gare et on a pris le thé, chez elle,
de l’autre côté de la place.
Plus d’une année s’est écoulée depuis l’enterrement de
notre mère. Deux jours auparavant, j’avais aussi pris le
train de midi, puis j’avais franchi le seuil de la porte du
salon, j’avais vu Christine, installée dans le fauteuil vert
tilleul, juste en face du lit où était allongée notre mère
morte. De ses yeux gris, rougis par les larmes, elle avait
lancé : « Je suis l’ancêtre maintenant ». J’avais déposé un
baiser sur le visage de ma mère, blanc et froid.
C’est mon premier été passé ici après la mort de mes
parents.
7 Mon père est mort le 25 février 1989. C’est l’année de la
chute du mur de Berlin, le début du nouveau chaos
mondial et la naissance de Chloé en juillet.
Ma mère est morte le 30 janvier 1991. C’est l’année du
surgissement des avions de combat et la première guerre
du Golfe. La guerre, lointaine encore. Puis c’est l’année
1992. En Bosnie, derrière les grillages d’un camp, des
corps décharnés, torturés. La guerre est plus proche cette
fois. Le mot « viol » étalé, presque à la Une, dans tous les
journaux.

Plus tard dans la soirée
J’habite l’ancienne maison, celle de mes grands-parents
paternels, celle dont je viens d’hériter en viager, depuis la
mort de mes deux parents. Héritage trop neuf. Ça suinte
d’histoires non dites, non transmises. Je sais que les
grands-parents ont vécu là, qu’ils y sont morts tous deux à
cinquante ans, alcooliques et infestés d’escarres. On sait
que le grand-père est parti à la guerre, celle de 14-18. Il en
est revenu. Quand a commencé la déchéance ? Ma mère
dit qu’avant 1936, ils allaient en vacances à la Baule, un
signe d’aisance.
Dans cette ancienne maison, j’y suis née, il y a trente-six
ans.
Après le départ de mes quatre sœurs et mes deux frères,
cette « ancienne maison » a été louée. Elle était constituée
de deux lots, une très grande pièce, la chambre bleue, et un
petit appartement auquel on accédait par une véranda et
des escaliers. Dans la chambre bleue ont vécu pendant six
mois trois ingénieurs syriens en stage à la Thomson, puis
un Algérien dont je n’ai jamais connu le métier et, pendant
deux ans, une mère et son fils kinésithérapeute. Dans le
petit appartement en haut des escaliers ont vécu une
femme divorcée et ses trois filles pendant sept ans. La
8 mère était peintre. Bien d’autres encore. L’ancienne
maison, mon récent héritage, je pourrais l’appeler la
« maison caméléon ». Je ne peux pas encore dire ma
maison.
Claude, l’autre grande sœur, celle de seize ans mon aînée,
a hérité en viager de la nouvelle maison, celle qui fut
construite entièrement des mains de mon père avec l’aide
de mes deux frères encore adolescents. Quand elle a été
presque finie, à la fin des années 1950 j’imagine, nous
avons déménagé dans cette nouvelle maison séparée de
l’ancienne par une véranda. Je devais avoir alors deux ou
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