Communauté(s), communautarisme(s): aspects comparatifs
272 pages
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Communauté(s), communautarisme(s): aspects comparatifs , livre ebook

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Description

Dans les sociétés occidentales contemporaines, la présence de communautés constituées sur la base de critères ethniques, religieux, linguistiques, culturels, nationaux est désormais bien établie. Cependant, exprimer des revendications spécifiques suscite parfois des craintes. Les manifestations du "fait communautaire" sont qualifiées de "positives" lorsqu'elles conduisent à une reformulation identitaire visant à une meilleure intégration. A contrario, elles sont taxées de "communautaristes" lorsqu'elles se radicalisent et risquent de porter atteinte à la cohésion nationale.

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Date de parution 01 avril 2008
Nombre de lectures 225
EAN13 9782296195219
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Sous la direction de Lucienne GERMAIN Et Didier LASSALLECOMMUNAUTÉ(S),COMMUNAUTARISME(S) : ASPECTSCOMPARATIFS Collection : Racisme et eugénisme Groupe de recherche sur les « Migrations, Relations Interethniques et construction des Identités Européennes ». Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones –LARCA. Ouvrage publié avec le concours de l’Université Paris-Diderot. Comité de lecture : [http://www.eila.univ-paris-diderot.fr/recherche/ICT-civi/GRER/] L’HARMATTAN
COMMUNAUTÉS, COMMUNAUTARISME, MULTICULTURALISMELucienne GERMAIN et Didier LASSALLE ‘Individu’, ‘communauté’, ‘société’ sont trois termes fréquemment utilisés à différents niveaux et dans divers contextes du discours sociopolitique contemporain. La première question qu’ils suscitent est la définition de leur nature, qui peut varier, en fonction des approches philosophiques. La seconde est celle des relations complexes, et souvent conflictuelles, entre ‘communauté’ et ‘société’. Quant à la troisième, elle concerne la place de l’individu au sein de, et par rapport à, ces deux construits éminemment sociaux. Historiquement, le sociologue allemand Ferdinand 1 TÖNNIES est le premier à opposer la notion de ‘communauté’ (Gemeinschaft), s’articulant sur la solidarité, la proximité et les relations affectives, à celle de ‘société’(Gesellschaft), définie par des relations formelles, fonctionnelles et intéressées. Il désigne ainsi les deux formes distinctes de socialisation qui coexistent, selon lui, dans les sociétés modernes. Tout d’abord, elle procède d’une volonté ‘naturelle’, qui tout en s’inscrivant dans l’évolution historique et culturelle du groupe, insiste sur la continuité et sur la conformité de l’individu en son sein. La suivante découlede choix arbitraires et rationnels issus d’une volonté réfléchie. L’individu, libéré des traditions, s’adapte aux changements et aux circonstances 2 tout en cherchant à satisfaire ses désirs . Cette opposition originelle réapparaît, mais formulée différemment, chez d’autres auteurs importants. Ainsi, Martin BUBER contraste la « communauté de
1 - Ferdinand TÖNNIES,Communauté et Société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Introduction et traduction de J. Leif. Titre allemand original : Gemeinschaft und Gesellschaft, Paris : Les Presses Universitaires de France, Collection -Les classiques des sciences humaines, 1977. 2  -Cf. Laurent BOUVET,Le Communautarisme : Mythes et réalités, Paris : Lignes de repère, 2007, pp.39-40.
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sang » –référence aux liens historiques et ethnoculturels forts liant un groupe particulier– à la « communauté choisie » de la modernité qui désigne le peuple avec lequel ce groupe partage un environnement social initial, une langue et des usages. Max WEBER la reprend en partie à son compte en différenciant la « communalisation »(Vergemeinschaftung), une relation sociale fondée sur le sentiment subjectif d’appartenance à une même communauté, de la « sociation »(Vergesellschaftung), une relation sociale qui s’appuie sur un compromis ou une coordination 3 d’intérêts motivés rationnellement . Emile DURKHEIM distingue, pour sa part, deux grands types de « solidarité » censés assurer la cohésion sociale : la solidarité mécanique spécifique des sociétés archaïques où les individus sont et se vivent comme tous identiques ; la solidarité organique, caractéristique des sociétés modernes où les individus sont et se perçoivent comme différents 4 mais complémentaires . La nature des liens, qui unissent les individus fondant des ‘communautés’, et leurs variétés constituent l’une des préoccupations intellectuelles majeures des grands ème ème sociologues du 19 et du début du 20 siècle. Pour l’idéologie ‘libérale’ –qui relie l’individualisme à l’universalisme, à la neutralité de l’État, à la priorité du droit, du juste sur le bien, etc.– l’explication est simple : l’avènement moderne de l’État-nation, rationalisé et bureaucratique, a entrainé le déclin du fait communautaire. Ce dernier est la conséquence de l’irruption d’une valeur incontournable, l’individu, et de la naissance de la « société des individus », un modèle de représentation s’opposant à celui de ‘communauté’. A mesure que l’on progresse dans la modernité, les anciens modes communautaires perdent de leur pertinence au profit de nouveaux regroupements associatifs plus volontaires et contractuels, de traits comportementaux plus individualistes et plus rationnels, résultant de la volonté des agents de rechercher leur intérêt. Les ‘communautés’ voient leur influence décroître dans l’espace
3 - Max WEBER,Économie et Société /1 : Les Catégories de la sociologie, Paris : Plon, Agora : Pocket, 1995, pp.78-82. 4  - Emile DURKHEIM,De la Division du travail social : Livre I, édition électronique réalisée à partir de l’édition de 1893, pp.58-162. [http://www.classiques.uqac.ca].
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politique et social au bénéfice d’individus autonomes, c’est-à-dire capables de décider en toute liberté de leurs affiliations sociales et culturelles. La nature profonde de l’homme moderne se dévoile progressivement lorsqu’il cherche à s’émanciper du poids des contraintes communautaires : ainsi la notion même de ‘communauté’ se trouve peu à peu délégitimée. La référence communautaire peut alors être assimilée à une « survivance » conservatrice, témoin d’une époque révolue, qu’il convient d’éradiquer. Elle peut aussi être interprétée comme une nostalgie romantique et utopique d’un « âge d’or » ou une référence, un appel 5 à un avenir « collectiviste » . Cette interprétation libérale, stricte et dogmatique, de l’opposition entre ‘communauté’ et ‘société’ a été très dommageable. Elle est devenue l’illustration incontestée de l’antagonisme viscéral présupposé entre la ‘société ouverte’ reposant sur l’égalité, le contrat, la liberté individuelle, et la ‘société fermée’, fondée sur la triade « hiérarchie, ordre, autorité ». Pour Karl POPPER, théoricien de la société démocratique moderne, l’usage critique de la raison par des individus détachés de leurs appartenances ou de leurs traditions communautaires –c’est-à-dire des normes et des valeurs de leur groupe– caractérise l’ouverture sociétale. Dès lors, la conclusion pratique inéluctable est qu’il convient de porter un œil toujours critique sur le fonctionnement de ces ‘communautés’ et de les garder à distance, car elles sont 6 « porteuses d’enfermement, d’inégalité et d’exclusion » . D’autre part, la critique de John RAWLS, en introduisant une nouvelle approche libérale, rompant avec la problématique utilitariste jusque-là dominante chez les théoriciens anglo-saxons, souligne avec force la prééminence des droits individuels sur le bien commun : « chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, au nom même du bien-être de la société, ne peut 7 être transgressée » . Cette subordination de la communauté à
5  - Cf. Laurent BOUVET,Le Communautarisme : Mythes et réalités, op.cit., pp.20-21. 6  - Pierre-André TAGUIEFF,La République enlisée : Pluralisme, communautarisme et citoyenneté, Paris : Édition des Syrtes, 2005, p.141. 7  - Cf. John RAWLS,A Theory of Justice, Cambridge (Mass): Harvard University, 1971, p.30.
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l’individu se retrouve également chez les libéraux « libertariens » (libertarians)l’instar de Robert NOZICK  à ilaffirmant qu’« n’existe aucune entité sociale […] qui justifie un sacrifice en tant que tel. Il n’y a que des individus, des individus différents, qui 8 mènent des vies individuelles » . En résumé, la société n’est qu’une addition d’individus porteurs de droits inaliénables. Ces derniers constituent simplement « un cadre équitable à l’intérieur duquel les individus peuvent choisir leurs propres valeurs et leurs propres fins, aussi longtemps que ce choix reste compatible avec l’égale liberté 9 des autres » . Ce redéploiement du libéralisme philosophique et politique se produit parallèlement à l’émergence du « tournant identitaire » aux Etats-Unis. Ce dernier conduira à une réappropriation de l’idée communautaire contre les présupposés 10 individualistes libéraux par le truchement de l’identity politicsqui s’impose dans les sciences sociales américaines des années 1970, et par l’apparition de la critique « communautarienne » dans les années 1980. La critique « communautarienne » du libéralisme Les penseurs « communautariens »(communitarians)insistent sur la dissolution du lien social, l’éradication des identités collectives et la montée des égoïsmes dans les sociétés
8  - Par rapport aux libéraux classiques, les « libertariens » préconisent un pouvoir et un interventionnisme d’État extrêmement restreints. Robert NOZICK,Anarchy, State and Utopia, New York: Basic Books, 1974, pp.32-33. Cette citation n’est pas sans rappeler les propos de Margaret Thatcher : « La société n’existe pas. Il y a des individus hommes et femmes, et il y a des familles »inWomen’s Own, 31 October 1987. 9  - Michael J. SANDEL (ed.),Liberalism and Its Critics, New York: New York University Press, 1984, p.4. 10  - L’expressionidentity politics désigne, aux États-Unis, toute forme d’action politique destinée à promouvoir les intérêts spécifiques des membres d’un groupe à qui l’on aurait dénié certains droits fondamentaux en raison de leur identité ou de caractéristiques partagées, réelles ou supposées.
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11 industrialisées contemporaines . A leurs yeux, la philosophie libérale est responsable de la disparition des communautés, un 12 élément essentiel de l’existence humaine . En effet, cette approche est incapable de rendre compte d’un certain nombre d’engagements forts –obligations familiales, servir son pays ou faire passer le bien commun avant son propre intérêt. De plus, elle ne reconnaît toujours pas l’enchâssement(embedding) de l’individu dans un contexte socio-historique particulier, source d’une grande partie de ses valeurs. Elle suscite aussi une inflation de la politique des droits : chacun cherchant à maximiser ses intérêts au détriment des autres. Enfin, elle sous-estime l’importance de la langue, de la culture, des mœurs, des pratiques et des valeurs partagées, dans l’élaboration d’une véritable « politique de reconnaissance » (politics of recognition)des identités et des droits collectifs. Pour leur part, les communautariens rejettent l’idée d’un individu formant un tout complet, cherchant à promouvoir ses intérêts par des « libres choix » indépendants du contexte culturel dans lequel il vit. Dans leur optique, la communauté préexiste à l’individu, qui ne peut se couper de ses racines, en conséquence elle définit ses caractéristiques. Aussi, l’individu est-il appréhendé, selon la vision aristotélicienne classique, comme un « animal 13 politique et social » . Les droits ne sont plus des attributs universels et abstraits, mais l’expression des valeurs propres des collectivités ou des groupes différenciés. Les ‘communautariens’ remettent également en cause la « neutralité » de l’État libéral, souvent qualifiée d’illusoire ou, parfois même, de désastreuse dans ses effets. Ils déplorent, en particulier, la perte de la dimension éthique dans la mesure où l’on ne peut exiger, ni même attendre, du politique une conception, quelle qu’elle soit, du ‘bien commun’. Leur projet distinctif est donc d’identifier les formes valorisées de communautés et de concevoir des politiques destinées
11  - Le termecommunitarianisn désigne à l’origine un mouvement qui s’est développé et structuré dans les années 1970-1980 en réaction à la reformulation, par John RAWLS, de la théorie politique libérale. 12  - Les principaux auteurs ‘communautariens’ sont : Michael SANDEL, Michael WALZER, Amitai ETZIONI, Alasdair MACINTYRE, Charles TAYLOR. 13 - Pour Aristote l’homme est unzôon politikon, ce qui revient à dire qu'il est aussi bien social que politique. Aristote,Politique.
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à les protéger et à les promouvoir, sans sacrifier trop de liberté. Ils distinguent trois grands types de communautés : - Les ‘communautés géographiques’(communities of place)qui sont liées au voisinage, à la région. L’affectif y joue un rôle important, car c’est également le lieu où l’individu est né et a été élevé, et où il aimerait finir ses jours. Protéger ces ‘communautés géographiques’ implique de leur accorder un certain nombre de droits et de pouvoirs pour, par exemple, résister à la spéculation immobilière ou préserver un mode de vie. Les effets pervers de ces politiques –développement de la ghettoïsation sociale et/ou 14 économique– sont largement attestés . - Les ‘communautés de mémoire’(communities of memory)sont ‘imaginées’ et leurs membres possèdent une histoire partagée sur plusieurs générations. Ces communautés se relient au passé, tout en étant tournées vers l’avenir. Leurs membres s’efforcent de réaliser les idéaux et les aspirations enchâssés dans les expériences passées, contribuant, ce faisant, au bien commun. Ainsi, elles apportent sens et espoir à la vie des individus. La nation, les groupes ethnolinguistiques ou ethnoculturels, en sont des exemples reconnus. Dans les démocraties libérales occidentales, un certain nombre de mesures, plus ou moins symboliques, existent pour nourrir et renforcer les liens entre les individus et leur nation : service national actif (militaire ou civil), cours obligatoires dans les écoles –histoire, citoyenneté ou instruction civique–, cérémonies d’accession à la citoyenneté, etc. En outre, la nature plurinationale, généralement admise, de la plupart des états contemporains a suscité certaines dispositions accordant des droits politiques aux groupes minoritaires qui les composent : dévolution des pouvoirs aux sous-ensembles nationaux, enseignement des langues et reconnaissance des cultures régionales, etc. Ces différentes mesures ont été abordées dans les travaux récents sur le nationalisme, la citoyenneté et le multiculturalisme, en particulier dans ceux de Will 15 KYMLICKA ou de Stephen MACEDO .
14 - Cf. « Ghettos américains, banlieues françaises »,Hérodote,Paris : Éditions La Découverte, n°122, 2006. 15 - Will KYMLICKA,Multicultural Citizenship, Oxford: Clarendon Press, 1995; Stephen MACEDO,Diversity and Distrust, Cambridge: Harvard University Press, 2000.
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