De la physionomie et de la parole
75 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

De la physionomie et de la parole , livre ebook

-

75 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

A une époque où renaissent, posées de nouveau par la science moderne, toutes les questions hardiment tranchées autrefois par l’imagination des poëtes ou la spéculation des philosophes sur l’origine de l’humanité, où les uns pensent avoir découvert des restes authentiques de l’homme fossile, où d’autres espèrent bien avoir prouvé que l’homme n’est qu’un singe, sinon un végétal perfectionné, où une partie de l’Europe savante et de l’Amérique en armes s’efforce d’établir contre l’autre l’unité ou la diversité de la race humaine, où la découverte de l’Orient a fait connaître une langue mère de toutes nos langues européennes, sans ancêtres connus et sans parenté probable avec ses quelques rivales d’antiquité, où toutes les sciences semblent s’accorder à reculer le berceau de l’humanité dans un passé plus lointain, la question de l’origine du langage a naturellement attiré l’attention et les efforts de la plus jeune, de la plus hardie et de la plus ambitieuse des sciences que ce siècle a vues grandir ou naître : c’est la philologie que je veux dire.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782346023653
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Albert Lemoine
De la physionomie et de la parole
CHAPITRE PREMIER
LE PROBLÈME PSYCHOLOGIQUE DE L’ORIGINE DU LANGAGE
A une époque où renaissent, posées de nouveau par la science moderne, toutes les questions hardiment tranchées autrefois par l’imagination des poëtes ou la spéculation des philosophes sur l’origine de l’humanité, où les uns pensent avoir découvert des restes authentiques de l’homme fossile, où d’autres espèrent bien avoir prouvé que l’homme n’est qu’un singe, sinon un végétal perfectionné, où une partie de l’Europe savante et de l’Amérique en armes s’efforce d’établir contre l’autre l’unité ou la diversité de la race humaine, où la découverte de l’Orient a fait connaître une langue mère de toutes nos langues européennes, sans ancêtres connus et sans parenté probable avec ses quelques rivales d’antiquité, où toutes les sciences semblent s’accorder à reculer le berceau de l’humanité dans un passé plus lointain, la question de l’origine du langage a naturellement attiré l’attention et les efforts de la plus jeune, de la plus hardie et de la plus ambitieuse des sciences que ce siècle a vues grandir ou naître : c’est la philologie que je veux dire. Au temps où la philologie comparée n’était pas née, où chaque langue, traitant volontiers les autres de barbares, savait à peine remonter à ses étymologies les plus prochaines, les sciences qui se croyaient le droit de rechercher l’origine du langage étaient la théologie, l’histoire et la philosophie. Aujourd’hui, la philologie née d’hier, mais se sentant pleine d’avenir, réclame cette question comme son domaine et en prétend exclure les vieilles sciences qui jusqu’ici labouraient ce champ rebelle avec leurs vieux procédés.
Au théologien qui n’est pas assez prudent pour se retirer lui-même du débat, le philologue oppose que l’origine du langage glisse entre ses mains, non pas faute d’un texte qu’elles puissent étreindre, mais grâce à l’opposition des textes qui font de la Genèse une lame à deux tranchants que l’on ne peut saisir sans se blesser. A l’historien attardé la philologie remontre que le temps est passé où il était permis de construire l’histoire avec des légendes, qu’une science, qui repose tout entière sur le témoignage écrit ou verbal, ne saurait remonter jusqu’aux temps possibles où l’homme n’aurait connu ni l’écriture ni la parole. Reste la philosophie à qui la question de l’origine du langage semble ressortir tout naturellement ; mais la philologie lui objecte que le temps des spéculations métaphysiques est aussi bien passé que celui des légendes : rêves de l’imagination, rêves de la raison, sont tout au plus des hypothèses, et la science veut désormais des faits et des solutions positives.
A ce fier langage on s’attend sans doute que les philologues qui le tiennent apportent une solution unanime, claire, satisfaisante et définitive de la question qu’ils interdisent aux philosophes comme à des songe-creux. Ils en apportent une, en effet, populaire, sinon unanime, mais qui n’a peut-être pas toutes les qualités que lui attribuent ses inventeurs.
De tout temps, le problème de l’origine du langage a reçu deux solutions extrêmes et contraires : ou bien l’on a fait de la parole une institution expresse de la divinité, une révélation du Deus ex machina ; ou bien on en a fait une invention savante et une acquisition réfléchie de l’humanité libre et raisonnable. MM. de Bonald, de Maistre, Lamennais, Gioberti, n’ont fait que renouveler une des théories exposées dans le Cratyle 1 et appliquées déjà au IV e siècle par Eunome, évêque de Cyzique, au Dieu des chrétiens. D’une autre part, Platon nous montre dans le même dialogue un certain Hermogène 2 , soutenant contre Socrate que le langage est le résultat d’une convention purement arbitraire 3  ; et Lucrèce réfutait comme insensée cette autre opinion que le langage est l’invention d’un seul homme qui aurait communiqué à ses semblables le bienfait de la parole, œuvre de son génie solitaire 4 .
Le bon sens suffit à faire justice de ces solutions extrêmes. Les théologiens eux-mêmes ont abandonné les excès de M. de Bonald, imitant l’exemple donné depuis quinze siècles par Grégoire de Nysse, et il ne se trouve plus un philosophe pour défendre aujourd’hui ni le contrat social ni la convention de la parole. Désormais la question se réduit pour tout le monde à faire en quelque sorte dans la création du langage la part de l’humanité et celle de la divinité, au lieu d’en attribuer l’oeuvre exclusive, soit à l’une, soit à l’autre, Le Deus ex machina est remplacé par un Dieu sans miracles, et la révélation surnaturelle par la révélation intérieure de l’instinct ; de toutes façons l’humanité et la divinité se rapprochent et coopèrent à l’œuvre du langage. Les théories des philosophes ou des philologues ne différent plus qu’autant qu’elles font à Dieu ou à l’homme, à l’instinct ou à l’espérance, la part la plus forte et selon qu’elles conçoivent la puissance supérieure à l’homme comme un Dieu créateur ou comme le Divin impersonnel répandu dans la nature. Ainsi Thomas Reid et M, Jouffroy attribuent à l’homme et à l’art l’invention des langues, à Dieu ou à la nature la révélation d’autres signes antérieurs 5  ; tandis que Maine de Biran et M. Cousin semblent rapporter à l’homme l’interprétation ou le sens des signes de toute espèce et à la nature la seule production de la matière qui en constitue la lettre 6 . M.J. Grimm, sans déterminer bien nettement la part de l’invention humaine, paraît incliner vers la doctrine du langage artificiel 7  ; mais, malgré l’autorité de ce savant illustre, c’est vers une autre solution que le courant de la popularité entraîne la masse des philologues, sinon le public, à la suite de MM. Max Müller 8 et Renan 9 . Tous deux professent et accréditent à l’envi cette doctrine que l’homme parle sa pensée aussi naturellement qu’il la conçoit, qu’il n’y a rien d’artificiel, rien d’inventé dans la parole 10 , que chaque langue est un organisme vivant qui se développe et que renfermait tout entier, avec toutes ses métamorphoses à venir, le premier mot, comme l’œuf enferme l’embryon.
Qu’il soit permis au plus obscur de ceux qui se sont voués à l’étude de l’homme de ne pas se trouver satisfait de cette solution, de lui reprocher le plus grave de tous les défauts, le vague et l’obscurité, de revendiquer la compétence de la philosophie dans l’examen du problème et la part, la très-grande part de l’homme dans la formation du langage.
La philologie, qui veut être si positive, ne se paye-t-elle pas d’un mot et ne prend-elle pas une comparaison pour une raison, quand elle assimile le langage et son histoire au mystère le plus impénétrable, à la chose dont nous savons le moins l’origine, un être organisé ? Quoi qu’il en soit de cette doctrine, fût-elle claire, vraie, incontestable, il est une chose que la philosophie ne saurait accepter ; c’est que l’origine du langage soit une question qui doive désormais lui être étrangère, qui la dépasse parce qu’elle ne saurait reconstruire le passé qu’en rêve, et qui ne relève plus que de la philologie.
Il est bien vrai que la philosophie a, sur cette question comme sur beaucoup d’autres, abusé de la spéculation ; il ne l’est pas qu’elle y soit décidément incompétente sous le prétexte qu’il s’agit de faits passés qu’elle ne peut observer et ne doit pas conjecturer, et qu’il lui faille attendre, patiente et immobile, les arrêts de la philologie, sous prétexte que la science des langues a seule droit d’enquête et de décision quand il s’agit de langage. Il ne serait pas malaisé de prouver, au contraire, qu’aucune science, pas même la philologie la plus profonde, n’est plus compétente que la philosophie à rechercher l’origine du langage. La philosophie n’est pas toujours et de toute nécessité raisonneuse ; elle peut et sait se faire observatrice. Elle aussi a des faits à produire, elle aussi est une science positive, au sens le plus étroit et le plus récent de ce mot

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents