Ecrire dans le secteur médico-social
143 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Ecrire dans le secteur médico-social , livre ebook

-

143 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Dès ses premières expériences d'éducatrice, l'écrit s'est avéré pour l'auteur incontournable en tant qu'outil de communication au sein du secteur médico-social. Mais que devient-il une fois transmis ? Quel pouvoir confère-t-il au rédacteur ? Les équipes n'écrivent pas, les professionnels ont du mal à écrire. Quelles compétences, quelles conditions favorables régissent cette pratique ? Quelles résonances cela provoque-t-il chez les professionnels ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 192
EAN13 9782336255668
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Ecrire dans le secteur médico-social

Véronique Bodin
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296122864
EAN : 9782296122864
Sommaire
Page de titre Page de Copyright L’impasse Écrire - 1ère partie - - DÉCOUVERTES
Le recul Écrire pour penser l’action L’écrit s’échappe L’effet rassurant La visibilité institutionnelle Risquer le regard d’autrui Quand l’écrit parle à notre insu L’écrit, cristallisateur des représentations L’écrit témoin de la posture professionnelle La transmission écrite crée le lien L’écrit comme support de décision Entre subjectivité et faits réels L’écrit et l’interprétation des évènements Les références personnelles Émotion et sang-froid
- 2 nde partie - - ACCOMPAGNEMENT
Le secteur de la formation Le temps passé à noter L’écrit encourage l’expression des individualités La motivation et la propension à écrire Lieu et temps accordés Le respect d’autrui Le respect de soi La légitimité Le capital personnel de mots Les connaissances L’héritage culturel L’écrit standard Le concept et l’action Exister Talents cachés Résistance Comme un clin d’œil
BIBLIOGRAPHIE
L’impasse
Fin d’après-midi de printemps, début des années 70. Les éducateurs se réjouissent de cette lumière abricot qui blondit le littoral normand où nous avons amené deux groupes de jeunes souffrant de troubles mentaux. Au cours de cette lente promenade sur la plage les silences semblent de nature nouvelle comme si, avec la présence du vent et le chahut des vagues, l’expression des souffrances devenait un peu plus supportable. Parmi les gestes stéréotypés, les balancements et la marche mécanique de certaines silhouettes, des sourires affleurent, des corps se rapprochent, à la limite extrême d’un toucher encore impossible. Petit à petit, tandis que l’horizon s’empourpre, notre procession traverse les dunes en direction du car. A la courbe du sable succède la géométrie des villas, aux cliquetis marins le mutisme des rues.

C’est le moment que « choisit » Marc 1 pour s’échapper. Il ne court pas, ne regarde pas derrière lui, ne donne aucun signe d’appel. Je suis à l’arrière du groupe et c’est le hasard de cette place qui me permet de le voir s’éloigner. Marc ! Le pas reste le même, ni pressé, ni lent. Il n’a pas la précipitation de l’impulsion, ni le ralenti ostentatoire qui chercherait à attirer les regards. Est-ce cela qui, intuitivement, retient mon attention ? Ou bien l’absence de réponse à mon appel ?

Je décide de le suivre dans la ruelle qu’il emprunte. Marc ! Qu’est-ce que tu fais ? Ses enjambées sont longues. Ça grimpe. Un panneau indique que nous sommes dans une impasse. On ira moins loin.

Je le connais un peu, Marc. Je m’occupe de lui à l’étude du soir depuis le début de mon stage. En ce moment il ne va pas très bien. Mon tuteur, Patrick, m’en a récemment parlé. L’instituteur du village où je vais souvent chercher une poignée de garçons scolarisés en milieu ordinaire, s’en inquiète aussi. A mon niveau, j’essaie de l’aider pour ses leçons et je mets de la douceur dans ma voix quand nous parlons, parce que Marc fait heureusement partie des jeunes de l’institution en capacité de communiquer, et même très bien. Il est attachant avec ses yeux verts où se lit une incommensurable quête d’affection.

La côte que nous venons de gravir débouche sur une place. Il m’a bien devancée et je surprends le regard furtif qu’il jette derrière lui. Je n’aperçois d’abord que la broussaille de ses cheveux blonds puis ses épaules. Au fur et à mesure que j’approche du sommet de la côte, je distingue son buste et ses jambes. De toute évidence, il a interrompu sa marche. Je vais pouvoir lui parler et le sermonner un peu car en contre bas, une trentaine d’adolescents s’apprête à monter dans le car et doit s’impatienter. Sauf que Marc, les bras ballants, ne s’est pas arrêté n’importe où. Il est au bord…du vide. L’impasse que nous avons empruntée, mène au sommet d’une falaise. Soudain, je ne sais plus si je dois avancer. Nous voici statufiés, lui et moi, dans une voie sans issue.

Le temps alors devient indocile. L’espace est bousculé. C’est l’anarchie dans les pensées. En combien de temps peut-on sauter et se tuer ? Dois-je avancer, parler ? Comment le retenir ? Appeler ? Patrick ? Le groupe ? Dire ? Ne pas dire ? Passer par la droite à pas feutrés ? Et si ce geste revenait à l’inquiéter, à le pousser ? Non, pas d’hypocrisie ni de piège. C’est du franc qui s’impose, là. Quelle hauteur la falaise ? Impossible à déterminer. Est-ce vraiment le problème ? Inquiète-toi, Patrick et rejoins-nous. Viens le ramener au « bon sens » avec ta voix de père de famille. Mais Patrick ignorant ce qui se passe à quelques centaines de mètres du car, ne se manifeste pas.

Marc alterne les regards vers l’horizon et vers l’aplomb. Son profil m’hypnotise tout comme l’imperceptible mouvement de ses paupières devant la béance qui s’offre à lui. Progressivement, à travers la panique qui me tétanise, remonte à ma conscience l’immense besoin de douceur de ce grand garçon, cette quête d’affection si dense qui, faute d’assouvissement, empoisonne sa vie. Marc est en famille d’accueil et veut savoir. Mais la DASS, qui a pris les traits d’une assistante sociale, a répondu selon la loi : « pas d’accès au dossier avant l’âge de dix-huit ans ». Alors, on lui demande de patienter. On essaie de coopérer le plus possible avec la famille d’accueil. On contacte à nouveau l’assistante sociale qui écoute avec attention. Mais ce qu’il veut, ce gamin aux yeux de jade, c’est savoir pourquoi l’impensable, l’inexplicable abandon a eu lieu.

Il a quatorze ans. Il est au bord du gouffre. Et moi, assise depuis peu sur un rocher providentiel, j’ignore ce qu’il faut faire. Je ne peux pas contrarier la justice, contourner la loi, mener une enquête sur sa mère, formuler une promesse intenable concernant l’accès à son dossier. Je sens bien que la réponse est ailleurs et différente. Il frotte sa semelle sur de minuscules gravillons.

Je pense à ce jeune psychotique récemment sorti par la fenêtre de sa chambre située sous les combles et qui s’est posté sur le toit du château. Le chef de service, tout en lui parlant, a tendu la main vers lui. Mais l’adolescent a glissé, ou a sauté. Le bruit a couru que le bras tendu vers lui avait « encouragé » sa chute car, avait-on dit, s’approcher d’une personne souffrant de troubles psychotiques pourrait signifier l’agresser. A la suite de cela s’est organisée une réunion de tout le personnel où chacun a été invité à donner son point de vue. Cela s’est passé sous le regard du directeur et du cadre prêt à démissionner en cas de doute sur ses intentions. Lourd. Étouffant. Je suis encore imprégnée de cette réflexion institutionnelle dont personne n’est sorti tout à fait indemne. « Ne pas approcher » a-t-on dit et répété au point que les mots resurgissent dans ma mémoire. J’ai retenu cela. Même si Marc n’est pas psychotique. Un simple geste peut signifier violer l’espace d’autrui. Rester éloigné alors ? Et pourtant exprimer sa présence.

Tu sais, Marc. Je t’aime beaucoup.

C’est sorti comme ça, entre deux cris de mouette. Lorsqu’on pense à mourir, c’est peut-être la seule chose qu’on a encore un peu envie d’entendre. Peut-être.
Je ne sais pas nommer à cet instant ce qui a guidé ma réponse mais je renonce à reproduire les propos habituels. Marc n’est pas dupe des commentaires plaqués.

Il a levé le menton vers l’horizon et dressé l’oreille comme surpris par la voix qui cherche à le rejoindre. Son corps perd-il un peu de sa rigidité ? Où en est la fascination du vide ?

Ajouter d’autres mots reviendrait à entrer dans un discours. Pas beaucoup de sens. Se faire humble.
Tu sais, Marc, je t’aime beaucoup.

Rien à ajouter. Sur fond de désespoir, je fais confiance à un hypothétique résidu d’instinct de survie. Et puis, faute de mieux, je choisis de ne pas insister. Long silence bruissant d’incertitude.

Ma peur ne doit pas l’emporter sur la sienne. Six ans seulement nous séparent. Développer de la force pour deux. Est-ce uniquement le hasard qui me rend témoin de son extrême solitude ? Sous le chaos des pensées qui m’assaillent, je prends l’initiative de me lever et amorce la descente de la ruelle.
Tu viens ? Ils nous attendent.

Parler ainsi revient à lui témoigner ma confiance. Mais cela signifie aussi accepter de le laisser décider. C’est admettre le risque.

Dans ce partage d’un q

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents