Ecrivain public
135 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

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Description

Comme d'autres lieux (Pôle Emploi, les guichets de la Sécurité sociale…) où défilent celles et ceux que la vie a fragilisés, une permanence d'écrivain public est une sorte de réceptacle de la précarité et du désarroi contemporains. Ce service fournit l'occasion d'échanges authentiques et, parfois, déroutants. Voici le regard d'un haut fonctionnaire, pourtant rompu aux textes et procédures administratives, sur les incohérences ou les lacunes du système vu par ceux auxquels il est censé apporter soutien et solidarité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2011
Nombre de lectures 24
EAN13 9782296472303
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ÉCRIVAIN PUBLIC
© L’Harmattan, 2011
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-56653-8
EAN : 9782296566538
Pierre Guinot-Deléry
ÉCRIVAIN PUBLIC
L’Harmattan
Du même auteur

Du bon usage des fonctionnaires… à l’intention de ceux qui voudraient s’en débarrasser
(sous le pseudonyme de Pierre Ducasset), Belfond, 1990

Le crépuscule d’un ange , Le Reflet, 2001, J’ai Lu (n° 6785), 2003

Une mère de sable, Le Reflet, 2003

Nouvelles du 21 avril , Le Passage, 2005

La mort en carton , Le Passage, 2008
« Pourquoi croyez-vous que je viens chez vous ?
Pour m’enlever de la misère… »
Mohamed T…
16 octobre 2009
Lettre ouverte à Monsieur l’écrivain public
Cher Monsieur,
« Alors, comme ça, vous écrivez ? »
Bien sûr, ainsi formulée, notre interpellation vous paraîtra étrange. A priori, nous devrions le savoir, que vous écrivez. C’est même pour cela que nous sommes venus vous rencontrer et que nous avons fait votre connaissance. Pas mal d’entre nous sont même revenus plusieurs fois.
Il faut dire que vous nous rendez de fiers services.
Pour les plus âgés, nous habitons pourtant en France, à Paris, souvent dans le quartier, depuis bien longtemps. Et nous connaissons des gens qui s’étonnent de nous voir si maladroits à parler la langue, à la lire, à l’écrire.
Certains, nous le savons, pensent d’ailleurs qu’en étant si peu aptes à ces choses (cela se dit aussi, paraît-il, « être mal intégrés »), nous devrions songer à retourner dans nos pays d’origine. Ces idées-là, ce n’est pas tellement que nous en parlions quand on se croise (d’ailleurs, les soussignés ne se comprennent pas toujours les uns les autres…), mais elles planent au-dessus de nous comme de vilains nuages. Parce que, nous sommes certains que, vous, vous l’avez compris, tout ça, ce n’est pas de la mauvaise volonté.
Il y a eu le voyage, l’obligation de perdre nos habitudes, d’oublier les visages des parents, de perdre les couleurs et les parfums du pays. Il y a eu le travail, la fatigue, les migraines, le dos qui fait mal, les maladies, les enfants à élever dans ces logements que vous appelez drôlement « sociaux » alors qu’en fait ils nous fabriquent une vie qui nous éloigne de la société (enfin, la « vraie », la vôtre…), le désespoir, quelquefois....

Et puis il y a tout le reste, tout ce que vous nous aidez à faire pour ne pas nous retrouver complètement dans la tristesse et la pauvreté.
C’est vrai, nous ne comprenons pas tout. Mais, en général, il y a une chose que nous avons tous vite apprise, c’est que, ici, il y a beaucoup, beaucoup de papiers à remplir. Tout le temps. Jamais les mêmes. Et, des fois, il faut recommencer tous les ans sinon il y a de l’argent qu’on ne nous donne plus, ou, pire, de l’argent qu’on nous réclame. Et puis, quand nous croyons rester tranquilles, arrive une nouveauté, un truc qui ressemble un peu à ce qu’il y avait avant, mais, malgré tout, avec des différences. Souvent, nous nous rendons compte qu’en fait c’est juste un changement de nom, ou une carte qui était verte et qui devient jaune, ou l’inverse… De toutes les façons, à la fin, il y a un formulaire, lui aussi nouveau, qu’il faut renvoyer.
Sinon, la vraie « nouveauté », c’est que nous risquons de perdre un droit que nous avions avant…
Quand nous regardons les informations à la télé, nous nous rendons bien compte que, tout ça, finalement, c’est pour notre bien. C’est en tout cas ce qu’expliquent les présentateurs et des ministres qui sont interrogés. Il n’y a pas de raison de ne pas les croire. D’ailleurs, il faut le reconnaître, vous avez des systèmes plus perfectionnés que ceux de chez nous. Des fois, vous vous posez malgré tout des drôles de questions, comme, par exemple, « c’est quoi l’identité nationale ? », mais ça c’est une autre histoire…
Donc, nous, évidemment, nous avons envie de faire les choses correctement.
Seulement, c’est vraiment compliqué. Pour tout le monde, en fait. Nous le voyons quand nous allons au Pôle emploi, ou à la Sécurité Sociale. Nous rencontrons des gens qui sont dans les mêmes situations que nous mais, eux, sont Français depuis très longtemps. Il paraît même, pour certains, qu’ils le sont depuis des centaines d’années et, ça aussi, c’est sûrement exact.
Bref.
En les écoutant râler entre eux ou engueuler les personnes au guichet, nous nous apercevons qu’ils ne s’y retrouvent pas trop non plus. Comme s’ils avaient aussi des problèmes pour lire ou écrire. Sauf qu’eux, on ne les voit jamais au Centre social. On ne sait pas comment ils se débrouillent.
Enfin, s’ils y arrivaient mieux que nous, ils seraient probablement de meilleure humeur…

Tout ça pour dire que vous nous êtes très précieux. Enfin, pas vous tout seul, hein… Tous ceux qui nous aident sans être payés. Et même, il faut être juste, ceux dont c’est le métier. Parce qu’on sait que c’est difficile et que ce ne sont pas des boulots avec des gros salaires. Oui, oui… on le sait…
Avant vous, il y avait un autre Monsieur. Il était gentil aussi. Nous sommes malgré tout davantage habitués aux dames. Certains préfèrent même avoir affaire à elles. De toute manière, elles sont nettement plus nombreuses, nous ne savons pas tellement pourquoi. Et, vous savez, ça nous est vraiment égal pourvu qu’on puisse être reçus et aidés.
Donc, avec vous, ça se passe parfaitement. Vous tapez assez vite à l’ordinateur, vous nous écoutez, vous souriez, et, pour un homme, vous faites toujours attention quand nous venons avec un bébé ou un petit enfant. Quelquefois, vous avez le costume et la cravate. Il y en a que ça impressionne. Au fond, pour en revenir à la véritable raison de cette lettre, nous aurions peut-être dû faire attention à ce détail qui fait que vous n’êtes pas tout à fait pareil.
Parce que, donc, vous écrivez. Et là, nous ne parlons plus des lettres pour nous. Vous écrivez des livres. Jusque-là, rien à dire. Mais nous avons appris que vous écriviez un livre sur nous. Enfin, pas exactement sur nous, nous le savons puisque plusieurs ont lu des pages et ont expliqué aux autres. Il n’y a pas nos noms, on ne peut pas nous reconnaître, mais ce sont tout de même nos histoires. Nos vies. Alors, vous comprenez, nous ne pouvions pas rester complètement indifférents.
Nous en avons discuté. A part un qui était très en colère (on ne vous dira pas qui), nous ne sommes pas réellement fâchés et nous ne voulons pas vous créer des ennuis. D’un autre côté, il nous a semblé nécessaire de vous exprimer deux ou trois choses.
D’abord, nous supposons que vous avez réfléchi avant de l’écrire, ce bouquin. Nous voulons dire : réfléchi à cette curieuse idée d’utiliser ce que nous venons vous raconter pour le mettre sous les yeux d’autres gens.
Enfin, nous ne « supposons » pas, nous le savons, puisque, justement, vous avez fait attention à ce qu’on ne puisse pas nous identifier. D’accord. Mais quand même… Pour dire la vérité, les uns et les autres, nous n’achetons pas souvent de livres. C’est trop cher. Et puis, ça aussi, c’est un peu compliqué pour nous. Sinon, on n’aurait pas besoin de vous… En revanche, nous lisons des revues, des journaux gratuits, des magazines.
Dedans, il y a des articles sur certains livres. Alors nous savons bien qu’il y a des médecins, des avocats ou d’autres encore qui font comme vous, qui se servent de ce qu’ils entendent pour écrire, eux aussi. De notre point de vue, le fait que ce soit courant n’empêche pas que ça pose un problème.
N’allez pas croire, pourtant, que nous n’ayons pas réalisé pourquoi vous avez fait ça. Nous l’avons compris quand nous avons lu (ou quand on nous les a lues) les pages dont nous parlions tout à l’heure. A travers nos cas particuliers, vous avez voulu dénoncer des choses qui ne vont pas trop bien en ce moment. Ou, certains d’entre nous le pensent aussi, montrer qu’il y a de fausses idées sur ce que nous sommes. Il y en a même une (on ne vous dira pas non plus laquelle) qui a parlé, nous l’avons tous noté, de « changer le regard des autres à notre sujet ». Nous nous sommes un peu moqu

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