Faire carrière dans l animation socioculturelle?
352 pages
Français

Faire carrière dans l'animation socioculturelle? , livre ebook

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Français

Description

L'idée de ce dossier d'Agora débats/jeunesses a germé à partir d'un constat relativement simple : la précarité de l'emploi et la jeunesse du corps des animateurs professionnels. Les dernières études montrent que depuis 1982, la moyenne d'âge des animateurs oscille entre 32 et 34 ans. Cette particularité des animateurs, qui contraste avec le vieillissement général de population active, pose de manière aiguë cette question : peut-on faire carrière dans l'animation actuellement ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2008
Nombre de lectures 274
EAN13 9782296202696
Langue Français
Poids de l'ouvrage 46 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Agoradébats/jeunesses N° 48 E 2 TRIMESTRE 2008
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E AGORA N° 48 – 2 TRIMESTRE 2008
COMPRENDRE LE « MONDE DES CHOSES HUMAINES » Entretien avec Gérard Mauger, réalisé par Francis Lebon et Chantal de Linares
DOSSIER FAIRE CARRIÈRE DANS L’ANIMATION SOCIOCULTURELLE ? Undossier coordonné par Francis Lebon et Léa Lima
INTRODUCTION Francis Lebon, Léa Lima LES ÉTUDIANTS ANIMATEURS : UN PETIT BOULOT VOCATIONNEL Vanessa Pinto SOMMAIRE EN FAIRE SON MÉTIER : DE L’ANIMATION OCCASIONNELLE À L’ANIMATION PROFESSIONNELLE Jérôme Camus
ANIMATEURS VACATAIRES ET PERMANENTS : REGARDS SUR LA QUALITÉ DE L’EMPLOI Nicolas Farvaque
LES CADRES DE L’ANIMATION SONT-ILS DES CADRES COMME LES AUTRES ? Éric Gallibour, Yves Raibaud
POUR EN SAVOIR PLUS
JEUNES DE RUE ET TRAFIC DE STUPS Thomas Sauvadet
LES RENCONTRES « JEUNES ET SOCIÉTÉS EN EUROPE ET AUTOUR DE LA MÉDITERRANÉE » Chronique de Francis Lebon et Chantal de Linares
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COMPRENDRE LE « MONDE DES CHOSES HUMAINES »
Entretien avec Gérard Mauger, réalisé par Francis Lebon et Chantal de Linares
Après avoir évoqué son parcours de « miraculé scolaire », qu’il explique sociologiquement, sa découverte tardive de la sociologie, liée à un investissement politique après Mai 68, son apprentissage « sur le tas » du métier de sociologue, Gérard Mauger décrit comment sa rencontre avec l’apport théorique de Pierre Bourdieu en 1979 a été décisive et structure son travail de sociologue et ses pro-jets en cours. Tout en soulignant la place mineure de la sociologie de la jeunesse dans la hiérarchie scientifique, il insiste sur la nécessité de construire cet objet de recherche en prenant appui sur d’autres sociologies et souligne que ce domaine d’investigation s’est enrichi ces dernières années grâce à l’apport de jeunes chercheurs et l’ouverture à d’autres disciplines.
Gérard Mauger Directeur de recherche au CNRS, Centre de sociologie européenne (CSE) CSE-EHESS 54, boulevard Raspail – 75006 Paris Courriel : mauger@pouchet.cnrs.fr
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Agora :Né en 1943, vous êtes l’aîné d’une famille de trois enfants. En quoi votre trajectoire biographique de « miraculé scolaire » est-elle déterminée par votre enfance ?
Gérard Mauger :Si l’on considère que l’héritage culturel est la clé de compré-hension de « la réussite » comme de « l’échec » scolaires, la sociologie doit rele-ver un double défi : il lui faut rendre compte de l’échec des « héritiers » et de la réussite des « déshérités ». Je relève – comme bien d’autres – du deuxième cas de figure. Comment comprendre cette réussite statistiquement improbable ? Ma mère, fille d’ouvrier, elle-même « miraculée scolaire » (pour des raisons que, faute de données, je suis incapable d’expliquer), avait été retirée de l’école par son père alors qu’elle était première du canton au certificat d’études primaires : elle m’a raconté cent fois cette histoire dont elle était fière et qui l’a traumatisée… C’est pourquoi j’ai été, en quelque sorte, mandaté par elle pour réussir là où elle en avait été empêchée. Non seulement il me fallait réparer cette injustice, mais surtout j’ai très tôt été crédité d’un « don pour les études ». Or, je pense que ce type d’énoncé agit comme une «self-fulfilling prophecy». Celui ou celle qui en est l’ob-jet doit – sauf à décevoir les espoirs placés en elle ou en lui – se comporter de façon à la vérifier, c’est-à-dire manifester une « docilité » exemplaire qui ne peut que favoriser la réussite scolaire annoncée. « L’idéologie du don », qui me semble très largement partagée dans les classes populaires et qui voudrait que les fées se penchent sur le berceau de quelques élu(e)s, est une « croyance » qui aide ceux qui ont eu ce privilège à surmonter les difficultés : la conviction qu’il est pos-sible d’y parvenir aide à faire ce qu’il faut pour que l’improbable devienne possible. Cette croyance familiale est d’autant plus efficace qu’elle est relayée par les ensei-gnant(e)s : elle est alors non seulement redoublée, mais validée par des agents d’autant plus « crédibles » qu’ils sont plus « compétents ». J’ai eu cette chance : les hasards de la reconstruction après-guerre m’ont affecté à l’école primaire d’un lycée de filles où j’avais le privilège d’être l’un des très rares garçons et, de ce fait, de pouvoir facilement attirer l’attention et les « faveurs » des institutrices. Par ailleurs, le crédit qui m’était fait d’un « don » pour les études allait de pair avec un soutien scolaire intense, du moins en début de parcours : ma mère m’a appris à lire très jeune, je savais lire quand je suis entré à l’école primaire avec deux ans d’avance. Ultérieurement, le père d’un camarade de classe, qui était sans doute le seul du quartier à avoir le baccalauréat et auquel je vouais une grande admiration (il était aussi un aquarelliste de talent), m’a aussi aidé à faire face à mes démêlés initiaux avec le latin et les mathématiques et à m’en tirer… Mais on peut objecter que cette explication devrait valoir pour toute la fratrie, or mon frère cadet a inter-rompu très tôt ses études… Il me semble que la sociologie peut éclairer égale-ment ce mystère apparent. D’une part, « l’idéologie du don » dans les classes populaires de l’époque conduisait à répartir les enfants en deux catégories : « les manuels » d’un côté (réfractaires aux études), « les intellectuels » de l’autre (« doués » pour les études), étant entendu toutefois qu’« il n’y a pas de sot 1 métier ». D’autre part, la règle mise en évidence par Bernard Vernier de la
1 Vernier, 1999.
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distributiondesenfantsdelafratrieentrelignéepaternelleetlignéematernelleme semble s’appliquer parfaitement à ma famille d’origine. Étant un fils de ma mère (j’étais, disait-on, « de son côté »), mon frère fut affecté « du côté de mon père », donc aussi du côté « manuel » de la division du travail.
Agora :Comment êtes-vous devenu sociologue ? Quelle a été votre formation initiale ? Quelles ont été les rencontres et les événements déterminants (intellec-tuels, politiques, etc.) ?
Gérard Mauger :Pendant longtemps, j’ai ignoré jusqu’à l’existence de ce métier : c’est dire qu’il ne s’agissait évidemment pas d’une vocation précoce, même si, rétrospectivement, il me semble que ce métier était comme « fait pour moi ». Mais pour comprendre comment je suis venu à la sociologie, il faudrait faire un assez long détour. Je vous ai dit que j’avais été « un bon élève » : je l’étais, toutes matières confondues, tant dans les disciplines « scientifiques » (mathéma-tiques et physique) que dans les disciplines « littéraires » (lettres, langues, latin, histoire). Mais, j’avais une nette prédilection pour les disciplines littéraires. Comment en rendre compte ? Il me semble que la partition durkheimienne, reprise à son compte par Halbwachs, entre « monde des choses matérielles » et « monde des choses humaines » est une clé possible d’intelligibilité. Cette oppo-sition générique recouvre également la division sexuelle du travail (aux hommes le « monde des choses matérielles », aux femmes celui des « choses humaines ») et la division académique du savoir entre « disciplines scientifiques » et « disci-plines littéraires ». Situé « du côté de ma mère », mes intérêts me portaient à la fois vers le monde des choses humaines et les disciplines littéraires : comme ma mère, je lisais beaucoup (pour l’essentiel, les « Livres de poche » au fur et à mesure de leur parution), en contrepartie, j’étais réputé « maladroit » (à l’inverse de mon frère)… J’ai fait mes études secondaires dans un grand lycée de province : la malchance a voulu qu’il ne s’y trouve que des classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques. J’étais un bon élève « tout terrain », j’y ai été affecté, mais je m’y suis retrouvé sans grand enthousiasme. L’idée de devenir « ingénieur » me déplaisait, peut-être parce que j’en avais rencontré quelques-uns parmi les pères de mes camarades de classe : je ne me voyais pas du tout « dans la peau d’un directeur »… Par ailleurs, le type d’intérêt dont j’avais hérité pour l’école me por-tait à y voir une fin en soi – « le savoir pour le savoir » – et non comme le moyen d’une fin : l’ascension sociale et professionnelle. En dépit de l’incompréhension de mon père, je n’y pensais pas et je ne voulais pas y penser… C’est ainsi que je me suis senti très vite déplacé en « taupe » et c’est sans doute aussi pourquoi j’ai échoué aux concours. Ma réorientation scolaire ultérieure vers Sciences-Po et les sciences économiques était une manière naïve et mal informée de corriger le tir. On peut y voir à la fois un intérêt nouveau pour « la politique » (vers la fin de la guerre d’Algérie), une double aspiration à l’émancipation de la tutelle familiale et de la vie provinciale, et une inflexion vers « le monde des choses humaines ». De façon plus explicite que « la taupe » (parce que plus « visible »), la vie étudiante à Sciences-Po m’a placé dans une situation de porte-à-faux apparentée à « la trahi-son du boursier » qu’évoque Hoggart : je ne me voyais pas plus « dans la peau » d’un haut fonctionnaire que dans celle d’un ingénieur… En d’autres termes, si j’en
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avais acquis plus ou moins les compétences, il me manquait d’avoir intériorisé les dispositions (de classe) correspondantes. Par ailleurs, mes lectures avaient évo-lué : aux « Livres de poche » s’étaient substitués Marx et Freud, puis Althusser et j’étais devenu un habitué des rayons de La Joie de lire (la librairie de François Maspero). J’ai ainsi découvert sinon « le champ intellectuel » des années 1960, du moins ce que je pouvais en entre-voir depuis une position périphé-Ce n’est que tardivement que j’ai rencontré rique… Un peu avant Mai-juin 68, l’œuvre de Pierre Bourdieu. Ce fut, pour moi, j’ai aussi découvert l’existence du une « révélation » : ce que je ne parvenais Centre national de la recherche pas à exprimer devenait dicible, ce qui était scientifique et celle de la sociolo-gie : j’avais tout à apprendre, bienflou devenait clair, ce qui était occulté sûr, mais mes titres scolaires me (parce qu’indicible) devenait pensable… permettaient d’y accéder… J’y ai trouvé ce qui m’apparaissait comme une « position hors jeu » (à l’inverse des ingé-nieurs, des hauts fonctionnaires et des « cadres » de façon générique) où il était possible de poursuivre le jeu du « savoir pour le savoir » et un métier où je pou-vais investir mon intérêt pour « le monde des choses humaines » qui s’était ren-forcé en « me politisant » (comme beaucoup d’autres à l’époque). Bref, j’y investissais beaucoup d’incompétence et des dispositions scolastiques (l’apparte-nance à la «freischwebende Intelligenz» me convenait parfaitement) partielle-ment neutralisées par des intérêts politiques (aux antipodes de « la neutralité axiologique »).
Agora :Quel a été votre tout premier travail de recherche en sociologie ?
Gérard Mauger :Les deux premières enquêtes que j’ai menées parallèlement avaient pour objet l’une la loi Neuwirth, l’autre l’introduction de la rationalisation des choix budgétaires (RCB) dans l’administration française. La première corres-pondait au projet de recherche avec lequel je suis entré au Centre national de la recherche scientifique : c’était aussi un projet de thèse de sociologie dirigée par Alain Girard (Institut national d’études démographiques). Pourquoi ce sujet ? Non seulement, il pouvait s’inscrire dans le cadre de l’équipe où j’étais affecté qui se consacrait à « la sociologie de la décision », mais il me semblait surtout qu’il per-mettait d’aborder empiriquement une question typiquement « freudo-marxiste » (la régulation sociale des pratique sexuelles). La deuxième correspondait à un contrat de recherche avec la Délégation générale à la recherche scientifique et technique dont j’avais fait un projet de thèse d’économie dirigée par Charles Bettelheim (École des hautes études en sciences sociales). Cette enquête sur la RCB m’a pris beaucoup de temps, mais j’y ai aussi beaucoup appris (il fallait, entre autres choses, apprendre à « s’imposer aux imposants »). J’y voyais, à l’époque, une sorte de « cheval de Troie » des polytechniciens contre les énarques ; en fait, je pense aujourd’hui que j’étudiaisin vivoles prémices de l’introduction des tech-niques managériales (les analyses « coût-efficacité ») et de la pensée néolibérale dans l’administration française. Je devance une question probable : je n’ai terminé ni l’une, ni l’autre qui sont restées dans des cartons… Il y a eu, en effet, Mai-juin 68 et, dans les années qui ont suivi, un engagement politique intense qui m’en
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ont détourné… Quand je suis revenu à la sociologie, je ne me sentais pas capable de reprendre le fil : j’ai sans doute eu tort…
Agora :Comment rendre compte des différentes étapes de votre parcours intellectuel ? Pouvez-vous, en particulier, nous en dire un peu plus sur le réseau Jeunesses et sociétés que vous avez animé à partir des années 1980 ?
Gérard Mauger :Mai-juin 68 a donc interrompu le travail que j’avais entrepris. Si je devais résumer en quelques mots ce que fut mon expérience de Mai-juin 68, je dirais que j’y ai vu la confirmation du bien-fondé de ce propos de Lénine qui figu-rait sur la couverture desCahiers marxistes-léninistes(la revue théorique de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes) : « La théorie de Marx est toute-puissante parce qu’elle est vraie. » Le catéchisme est une chose, consta-terde visul’ébranlement de l’ordre social tout entier par une grève générale qui s’étend irrésistiblement en est une autre… En en faisant l’expérience, j’ai acquis la conviction (qui ne m’a jamais vraiment quitté), que l’ordre social dans lequel nous vivons et qui apparaissait alors aussi immuable, intangible (sinon à la marge) qu’aujourd’hui, est plus fragile qu’on le croit et est, en fait, susceptible de seffondrerMoninvestissementmilitantultérieurétaitassociéàlaconviction que Mai-juin 68 « n’était qu’un début » ou « une répétition générale »… En ce qui concerne mon apprentissage de la sociologie, qui était alors, il faut bien le dire, le dernier de mes soucis, j’ai appris au moins deux choses : l’expérience de l’enquête auprès des classes populaires (en faisant assidûment du porte-à-porte dans le quartier de la Goutte-d’Or) et le constat « expérimental » que le marxisme (y com-pris dans sa version althussérienne) ne proposait qu’une « boîte à outils » théo-riques assez rudimentaires pour rendre compte de ces observations. Après le reflux du « militantisme gauchiste », je me suis remis,in extremis, à la sociologie. J’ai entrepris de nouvelles enquêtes avec des équipes de chercheurs hors statuts (« ex-soixante-huitards » convertis à la sociologie) financées dans le cadre de contrats successifs avec le Comité d’organisation des recherches appliquées sur le développement économique et social, le ministère de l’Équipement, le minis-tère du Travail, etc., sur « le gauchisme contre-culturel » (« les communautés », les effets produits par l’accès dans différents champs des « ex-soixante-hui-tards »), sur « la question du refus du travail chez les jeunes ouvriers », sur les styles de vie des jeunes des classes populaires, sur le monde des bandes et les pratiques délinquantes, etc. C’est ainsi que j’ai appris « sur le tas » et tardivement le métier de sociologue. Par ailleurs, j’ai de nouveau beaucoup lu en quête d’« outils théoriques » : Claude Lévi-Strauss et Michel Foucault, par exemple, que j’admirais beaucoup mais dont je ne voyais pas quel usage je pouvais en faire dans mes enquêtes… Ce n’est que tardivement que j’ai rencontré l’œuvre de Pierre Bourdieu, avec la publication deLa distinctionen 1979. Ce fut, pour moi, une « révélation » (au sens photographique du terme) : ce que je ne parvenais pas à exprimer devenait dicible, ce qui était flou devenait clair, ce qui était occulté (parce qu’indicible) devenait pensable… Cela dit, cette transformation intellectuelle ne s’est pas faite en un jour : il m’a fallu le temps de comprendre, le temps dapprendreàutiliserdesconceptsetdesschèmesdinterprétationet dintérioriserunmodus operandi, mais aussi et peut-être surtout le temps de sur-
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monter les réticences d’un « volontarisme militant » confronté à l’analyse des mécanismes de reproduction et de la violence symbolique. Lu par celui que j’étais alors, Bourdieu désespérait Billancourt… Quant au réseau Jeunesses et sociétés, il est issu d’une initiative ministérielle : Jean-Claude Passeron avait été chargé d’explorer la possibilité de construire des réseaux thématiques en sciences humaines et sociales (dont un sur « la jeunesse »). C’est ainsi que j’ai assisté à une réunion à la maison des Je n’ai jamais pu me résoudre à devenir sciences de l’homme où nous étions quelques-uns à avoir enquêté « un spécialiste » de quoi que ce soit sur « les jeunes » : le réseau (y compris de « la jeunesse »), Jeunesses et sociétés est issu de bien que tout y incite. cette rencontre. Nicole de Maupeou-Abboud, Jacques Jenny, Vincent Peyre et d’autres qui avaient participé à une expérience similaire antérieure, le Groupe des sciences sociales de la jeu-nesse, nous ont rejoints. Outre les « anciens », ce réseau rassemblait, pour l’es-sentiel, des chercheurs de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, du Centre de recherche interdisciplinaire de Vaucresson et du Centre national de la recherche scientifique dispersés dans diverses équipes, à Paris et en province : il est devenu peu après une association 1901 que j’ai présidée pen-dant une dizaine d’années. Ce réseau organisait un séminaire mensuel (à Paris), un colloque annuel (en province) et il a publié une dizaine de numéros d’une revue confidentielle : lesCahiers Jeunesses et sociétés.Nous avons également été la cheville ouvrière d’un colloque « à grand spectacle » au ministère de la Recherche introduit par Michèle Perrot et conclu par Pierre Bourdieu : « Les jeunes et les 2 autres ». Quel était l’intérêt scientifique de ce réseau ? Institutionnellement, il consolidait l’existence d’une « sociologie spécialisée », associée à une division « ministérielle » de la discipline. On pouvait douter de sa pertinence scientifique : mise en cause d’une légitimité fragile qu’exprimait pour beaucoup le « titre-mani-feste » d’un entretien publié par Pierre Bourdieu dansQuestions de sociologie, « La jeunesse n’est qu’un mot ». Je ne reviens pas sur les propos de Pierre Bourdieu dans cet article : je l’ai déjà fait dans un article qui m’avait été demandé 3 parAgoralors de sa mort . Si j’essaie de résumer les conclusions que j’ai retenues des débats, des lec-tures et des enquêtes de l’époque, il me semble que ce domaine d’investigation amène à se poser trois questions sociologiquement pertinentes : celle de la pério-disation des trajectoires biographiques (je l’ai abordée alors dans deux articles 4 confidentiels ), celle des « modes de reproduction » (« stratégies familiales de 5 reproduction » et « mode de génération » des générations ), celle du travail sym-6 bolique et politique de construction de groupes sociologiquement improbables .
2 Percheron, Proust, Perrot, 1986. 3 Mauger, « “La jeunesse n’est qu’un mot” : à propos d’un entretien avec Pierre Bourdieu », 2001. 4 Mauger, « Les définitions sociales de la jeunesse : discontinuités sociales et évolutions histo-riques », 1989 ; Mauger, 1995. 5 MAUGER, « Les héritages : éléments pour une analyse des rapports entre générations familiales », 1989 ; Mauger, « Générations et rapports de générations », à paraître. 6 Dans cette perspective, voir Mauger, 1996.
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Ce n’est pas rien, j’espère trouver le temps d’écrire de façon plus maîtrisée ce que j’ai pu en dire et le publier prochainement de façon moins confidentielle.
Agora :Quel regard rétrospectif portez-vous sur l’ensemble de vos travaux ? Avez-vous changé votre façon de penser la jeunesse ?
Gérard Mauger :Je n’ai jamais pu me résoudre à devenir « un spécialiste » de quoi que ce soit (y compris de « la jeunesse »), bien que tout y incite. Investir un nouveau domaine d’investigation (comme je l’ai fait, par exemple, avec la socio-logie de la lecture) suppose une accumulation primitive de « capital scientifique spécialisé » et le renoncement au petit capital de notoriété accumulé dans le domaine précédent. Mais j’ai sans doute eu tort de ne pas achever ce que j’avais commencé : c’était vrai pour la RCB et la loi Neuwirth, ça l’est aussi pour « la jeu-nesse » et, de façon plus générale, pour la question des âges de la vie et celle des générations. Je suis évidemment plus proche aujourd’hui de l’heure des bilans que de celle des commencements. J’aimerais « clore » – pour moi s’entend – quelques-uns des chantiers sur lesquels j’ai travaillé : la jeunesse en fait partie. En ce qui concerne mes enquêtes dans ce domaine, j’ai rassemblé récemment celles que j’ai faites sur les styles de vie déviants des jeunes des classes populaires et je viens de tenter de synthétiser ce que j’ai compris à propos de la délinquance juvénile en France depuis la fin des années 1950. C’est dans la foulée de ce tra-vail que j’ai été conduit à enquêter sur « l’émeute de novembre 2005 » et à réflé-chir aux problèmes posés par cette tentative de « sociologie de l’actualité ». J’aimerais aussi revenir sur ce que j’ai pu écrire antérieurement à propos des « années 1968 » (en reprenant trop hâtivement à mon compte « le schème du déclassement »). J’ai raté le coche du quarantième anniversaire pour le faire, mais ce n’est pas bien grave…
Agora :Quelle place occupe la sociologie de la jeunesse au sein des sciences sociales ? Comment brosseriez-vous, aujourd’hui, le paysage de la sociologie de la jeunesse ?
Gérard Mauger :Je me souviens avoir écrit, sans doute pour partie en sacri-fiant à « une coquetterie » rhétorique, mais surtout par autodérision, que « la sociologie de la jeunesse était un objet mineur pour chercheurs mineurs »… Ce n’était pas tout à fait faux : on pourrait montrer que la hiérarchie « scientifique » des objets de recherche (objectivée par les propriétés scolaires de ceux qui les éli-sent) est plus ou moins décalquée sur la hiérarchie sociale (ou « ministérielle ») des mêmes objets (« la jeunesse » partage un secrétariat d’État avec les sports…). Par ailleurs, s’il est vrai que la division de la sociologie en « microspécialités » étanches, comme d’ailleurs celle des sciences sociales en disciplines cloisonnées, n’est pas particulièrement propice à l’invention, un objet de recherche comme « la jeunesse » invite à convoquer au moins la sociologie de la famille, la sociologie de l’éducation et la sociologie du travail, mais aussi l’histoire et l’ethnologie, etc. En fait, je pense qu’il n’y a pas de « mauvais objets » sociologiques, mais seulement des manières plus ou moins heuristiques de les aborder, de les « construire »… Cela dit, je ne suis plus d’assez près l’actualité des recherches dans ce domaine
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