On peut grossièrement diviser les critiques
en quatre grandes classes : celle des mauvais critiques, celle des critiques subjectifs, celle des critiques historiens, celle des critiques dogmatistes (il est bon de faire remarquer que les critiques des trois dernières classes peuvent également appartenir à la première, dont je ne dirai rien ici).
Le critique subjectif se borne à paraphraser les œuvres dont il parle, et à montrer la réaction qu’elles ont produite sur lui. Jules Janin a été le prototype de ces critiques.
Le critique historien se propose, étant donnés une métaphysique, un poème, un drame, un roman, de rechercher « quelles
conditions de race, de moment et de milieu » ont été nécessaires à leur production ; quelles sont, en un mot, les lois qui régissent la production littéraire et artistique. Taine a fourni, dans son Histoire de la littérature anglaise, un modèle de cette critique, qui a abouti à une sorte de fatalisme esthétique, en négligeant l’individu et sa réaction constante sur son milieu et sur son temps, auquel il échappe, comme disait Emerson, par sa « fidélité aux idées universelles ».
Le critique dogmatiste est celui qui, s’étant fait, sur le monde, sur les hommes, sur l’art, des opinions métaphysiques et logiques, qu’il systématise volontiers, classera
les œuvres d’après le canon qu’il a établi et les jugera suivant qu’elles s’en s’éloignent ou s’en rapprochent. C’est à cette catégorie de critique qu’il me plairait de me rattacher et c’est d’elle dont je voudrais parler plus longuement, préciser son rôle, ses actes et sa fonction.
Si, étant donnée la définition que je viens de donner, le critique dogmatiste ne cherche pas à réaliser ses idées, c’est-à-dire s’il n’est ni philosophe ni poète, s’il se borne à critiquer, il sera simplement ce qu’on nomme un incompréhensif, inapte à goûter certaines choses, et il qualifiera durement toute manifestation d’art contraire à l’ensemble de ses doctrines. Ainsi
faisaient autrefois ceux qui tenaient pour les règles d’Aristote, ainsi font aujourd’hui ceux qui estiment que le XVIIe siècle nous a donné, en toutes choses, des modèles dont il est malséant de s’écarter.
Lorsque le dogmatiste est un artiste, sa critique se transforme en une polémique constante, qui permet à beaucoup de le taxer non seulement d’incompréhension, mais encore de férocité. Barbey d’Aurevilly, Émile Zola, pour prendre des hommes dissemblables, furent dès critiques dogmatistes. On peut nommer cruelle leur attitude, elle est cependant une des plus justifiables que je sache.
En effet, l’artiste, le poète, l’écrivain
vraiment digne de ce nom vit d’idées. Il ne les met pas simplement en œuvre, elles deviennent partie intégrante de lui-même ; ce sont des forces qui concourent à son existence, qui sont nécessaires à sa parfaite harmonie. Ces idées, il les doit donc conserver soigneusement, il doit surveiller leur épanouissement, empêcher leur destruction ou même leur diminution, de la même façon que les actifs physiques gardent et cultivent les aptitudes qui sont les conditions de leur existence. La vie psychique, si elle a des lois bien différentes des lois de la vie physiologique, a aussi des lois similaires. Les idées, étant des forces, luttent entre elles, car elles se doivent
sauvegarder, sinon la catégorie d’individus dont elles sont les directrices tendra à disparaître, comme tend à disparaître une espèce plus faible. Donc, tout être qui vit d’idées doit accroître en lui l’énergie conservatrice de ses idées, il doit lutter pour elles, les accorder avec leurs harmoniques, les défendre contre les idées ennemies, et pour cela il doit cultiver sa haine contre les adversaires.