Franchir la mer : Récit d une traversée de la Méditerranée avec des réfugiés syriens
70 pages
Français

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Franchir la mer : Récit d'une traversée de la Méditerranée avec des réfugiés syriens , livre ebook

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Description

La mer Méditerranée est aujourd’hui devenue l’une des frontières les plus meurtrières de l’histoire. Chaque jour, un nombre incalculable de femmes et d’hommes bravent ses eaux pour fuir leur pays à feu et à sang.
Cette traversée constitue une épreuve inimaginable. Pour en rendre compte, le reporter allemand Wolfgang Bauer s’est infiltré dans un groupe de réfugiés. Aux côtés de Syriens qui tentaient d’aller d’Égypte en Italie pour atteindre l’Europe du Nord, il a été ballotté d’un repaire à l’autre, d’un esquif à l’autre, jusqu’à se faire incarcérer en Autriche. Il a subi l’angoisse de l’attente, la cruauté des passeurs et la brutalité des gardes-frontières ; il a vu la proximité de la mort et cet horizon qui ne cesse de se dérober pour certains… alors qu’il semble si naturellement acquis pour d’autres.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 14 avril 2016
Nombre de lectures 2
EAN13 9782895966944
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© Lux Éditeur, 2016
www.luxediteur.com
© Suhrkamp Verlag, 2014
Titre original: Über das Meer. Mit Syrern auf der Flucht nach Europa.
Eine Reportage.
Dépôt légal: 2 e trimestre 2016
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (epub): 978-2-89596-694-4
ISBN (papier): 978-2-89596-229-8
Ce livre a été traduit grâce à l’aide du Goethe-Institut, financé par le ministère allemand des Affaires étrangères.

LA PLAGE I
«Courez!» hurle-t-on derrière moi, la voix claire d’un jeune homme, d’un enfant presque, «courez!» alors je cours sans comprendre grand-chose, sans voir grand-chose non plus dans le crépuscule, je dévale le sentier, en longue file avec les autres. Je cours aussi vite que mes jambes me le permettent en regardant mes pieds qui se posent tantôt sur la terre, tantôt sur les pierres, je saute par-dessus des nids de poule, j’enjambe des débris de mur, je trébuche, je cours.
«Fils de pute!» crie l’un des garçons qui vient de nous faire sortir du minibus et nous harcèle maintenant, nous frappe comme un gardien de troupeau pour nous faire avancer. Il nous donne des coups de bâton sur le dos, sur les jambes. Il m’attrape le bras, me pousse en jurant. Nous sommes 59 hommes, femmes et enfants, des familles entières, sac à dos à l’épaule, valise à la main, à courir le long d’un mur d’usine quelque part à la périphérie d’une zone industrielle d’Alexandrie en Égypte.
Devant moi, montent et descendent les épaules de Hussan, un corpulent jeune homme de 20 ans; le visage tourné vers le sol, il halète, il titube, me freine parce qu’il n’en peut plus et veut soudain s’arrêter, alors je le pousse devant moi de toutes mes forces, je le pousse jusqu’à ce qu’il se remette à courir. Le bâton de notre poursuivant s’abat sur nous. Quelque part devant Hussan, la jeune Bissan, 13 ans, pleure de terreur. Tout en courant, elle s’agrippe à son sac qui contient ses médicaments antidiabétiques.
«Ordures!» crie notre poursuivant.
Derrière moi, il y a Amar, 50 ans, avec sa veste en goretex bleu électrique bien visible de loin qu’il s’est achetée tout spécialement pour l’occasion. Sa fille trouvait la couleur très chic. Lui aussi ralentit, il a mal au genou et au dos, mais il l’a dit tout à l’heure: il va y arriver. Il faut qu’il y arrive. Il vient de Syrie, comme presque tous les autres ici, l’Égypte n’est qu’une étape de son voyage.
Puis le mur fait un coude sur la gauche et nous voyons soudain, à 50 mètres à peine, ce que nous espérions depuis des jours et que nous redoutions depuis des jours. La mer. Elle est là devant nous, rougeoyante dans les derniers rayons du soir.
Le photographe Stanislav Krupar et moi avons rejoint des réfugiés syriens cherchant à se rendre en Italie depuis l’Égypte. Nous nous sommes livrés à des passeurs qui ignorent notre vraie profession. C’est pourquoi ils nous font avancer nous aussi à coups de bâton, tout doit aller très vite pour que le groupe n’attire pas l’attention. Ils ne prendraient pas de journalistes avec eux de crainte d’être dénoncés aux autorités. Le plus grand danger de ce voyage serait qu’ils nous démasquent. Seuls Amar et sa famille savent qui nous sommes en réalité. C’est un vieil ami que je connais depuis mon reportage sur la guerre civile en Syrie. Le désespoir l’a poussé à entreprendre ce périple, il rêve de vivre en Allemagne. Il sera notre interprète pendant le trajet. Stanislav et moi nous sommes laissé pousser une longue barbe et avons pris une nouvelle identité. Nous sommes dorénavant Varj et Servat, deux enseignants d’anglais réfugiés qui fuient une république caucasienne.
Voilà que nous faisons partie de ce grand exode. Selon les chiffres du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), 207 000 personnes ont pris la Méditerranée, essentiellement depuis la Libye, pour atteindre l’Europe en 2014. Un an auparavant, ils étaient à peine 60 000. Ils fuient des pays en guerre comme la Syrie ou la Somalie, des dictatures comme l’Érythrée, ou ils espèrent vivre dans de meilleures conditions économiques.
L’ordre politique du Proche-Orient s’effondre. Des décennies de servitude ont vu s’accumuler d’énormes tensions sociales, qui s’expriment maintenant très violemment. Les dictatures tombent, et les gouvernements démocratiquement élus qui leur ont succédé aussi. Les rues du Caire sont le lieu de manifestations sanglantes. Le Yémen sombre dans le chaos comme l’Irak. La Libye se désintègre en régions dont les milices se font la guerre. Mais aucun pays n’est aussi minutieusement broyé que la Syrie. Le monde n’a pas connu de destructions de cette envergure depuis les guerres du Vietnam et de Tchétchénie. Les villes: des paysages lunaires. Les villages: presque tous désertés. Depuis 2012, Bachar el-Assad mène une guerre d’anéantissement en utilisant tout l’arsenal dont il dispose. Même les armes chimiques de combat. Les alaouites se battent contre les sunnites, et aucun des camps ne peut l’emporter militairement. Les extrémistes religieux ont fait leur nid dans ce chaos et prêchent la haine.
Les statistiques ne peuvent plus rendre compte de l’horreur en Syrie. Les Nations Unies ont arrêté de compter les morts au début de l’année 2014.
La tentative même d’échapper au danger est de plus en plus dangereuse. En 2014, 3 419 personnes se sont noyées en essayant de fuir vers l’Italie et la Grèce. Ils sont certainement bien plus nombreux encore, car on ne compte pas ceux dont on n’a pas retrouvé le corps. Les routes que prennent les passeurs sont toujours plus risquées, car le continent consolide ses frontières. Une force de 400 000 policiers les surveille. L’Europe a mis en place des clôtures de six mètres de haut, comme dans les enclaves espagnoles de Melilla et Ceuta. La Bulgarie et la Grèce ont érigé des barbelés pour refouler les réfugiés. L’Europe a installé des radars et des systèmes de caméras coûteux dans le détroit de Gibraltar. Elle contrôle aussi l’océan Atlantique entre les Canaries et l’Afrique de l’Ouest. Elle envoie dans cette bataille défensive police, soldats et unités d’élite de diverses nations.
Elle recourt à des hélicoptères, des drones et une flotte de navires de guerre. Autant de soldats et de matériel que si elle luttait contre une invasion militaire.
C’est ainsi que les frontières européennes sont redevenues des zones de mort.
En Allemagne de l’Est, 125 fugitifs ont été tués en 150 ans alors qu’ils tentaient de passer de l’autre côté du mur de Berlin, ce qui a poussé le monde libre à en faire le symbole de l’inhumanité. Le long des murs dont l’Europe s’est entourée après la guerre froide, près de 20 000 réfugiés ont trouvé la mort jusqu’au printemps 2014. La plupart d’entre eux se sont noyés en Méditerranée.
Aucune frontière maritime au monde n’exige autant de vies humaines.
La Méditerranée est le berceau de l’Europe, elle est aussi devenue entre-temps le théâtre de son plus grand échec.
Encore aucun journaliste n’a osé entreprendre ce voyage depuis l’Égypte, Stanislav et moi sommes conscients du danger. Nous portons tous les deux un téléphone satellite pour prévenir les gardes-côtes italiens en cas d’urgence. Nous avons décidé de ne pas partir de Libye ni de Tunisie. C’est certes, plus près de l’Italie, mais les bateaux sont en très mauvais état. Les passeurs en Égypte, eux, ont un trajet plus long, mais ils prennent justement de meilleurs bateaux, pour cette raison. C’était du moins ce que nous avions entendu dire, et c’était notre espoir.
Nous étions naïfs. Nous pensions que la mer était le plus grand danger. Or elle n’en est qu’un parmi bien d’autres.
LE DÉPART I
Une semaine avant ce fameux jour où l’on nous poussera à coups de bâton, Amar Obaid – qui porte un autre nom, en réalité – est chez lui, au Caire [1] . Il hésite. Nous sommes le mardi 8 avril, c’est le dernier jour qu’il passe avec sa famille. Sa fille, Reynala, 17 ans, est assise au bord du lit de ses parents et regarde son père.
«Qu’est-ce que je dois emmener?» lui demande-t-il devant la penderie ouverte, les mains calées sur les hanches. Il ne faut pas trop se charger. Amar a entendu dire que les passeurs ne toléraient que

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