Génocide, disparition, déni
239 pages
Français

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Génocide, disparition, déni , livre ebook

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Description

Poursuivant sa réflexion entreprise dans son livre "Génocide et transmission" et toujours à partir du génocide des Arméniens l'auteur s'interroge sur le dispositif politique de la disparition et sur les effets psychiques qu'elle produit sur ceux qui sont restés en vie. Pourquoi le déni de l'acte génocidaire fait-il toujours partie intégrante de tout génocide ?

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Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2008
Nombre de lectures 50
EAN13 9782336280356
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Génocide, disparition, déni
La traversée des deuils

Hélène Piralian-Simonyan
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace AVANT PROPOS - DISPARITIONS CHAPITRE I - DE LA DISPARITION DE L’AUTRE CHAPITRE II - DE LA DISPARITION A LA BEANCE CHAPITRE III - SORTIR DU MEURTRE CHAPITRE IV - RUPTURE GENEALOGIQUE ET IDENTITE. CHAPITRE V - ECRITURE(S) DU GENOCIDAIRE CHAPITRE VII - AVENEMENT DE LA MODERNITE ET GENOCIDE(S) CHAPITRE VII - DESTRUCTION DE LA TRANSMISSION ET VIOLENCE CHAPITRE VIII - LE GENOCIDE AU RWANDA CHAPITRE IX - DE LA LEGITIME DEFENSE . CHAPITRE X - PETIT ETAT DES LIEUX DU DIALOGUE ARMENO-TURC EN GUISE DE PREAMBULE A UN LIVRE À VENIR ANNEXE LES MERES SANS ENFANTS BIBLIOGRAPHIE Revues
© L’HARMATTAN, 2007
5-7, rue de l’École-Polytechnique; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296048911
EAN : 978229604891 1
A Mikael,
AVANT PROPOS
DISPARITIONS
Ils n’ont jamais existé.

En juillet 1995, des milliers de musulmans - des hommes et des garçons - furent tués sur le « Sentier de la Vie et de la Mort » qui relie Srebrenica à Tuzla.
« Combien de temps pensez-vous que l’on mettra à récupérer tous les restes sur le sentier ? » Demandai-je à Masovic. Il réfléchit quelques instants « Il se pourrait que mes petits-enfants soient toujours en train de le faire dans plusieurs dizaines d’années. »
E. Stover et G. Perec 1

Dans ce livre nous poursuivrons notre réflexion engagée dans notre précédent livre Génocide et transmission , suivant la même méthode d’entrecroisement et de juxtaposition de textes, venant d’histoires éloignées et différentes dans le temps et l’espace et ceci afin que le lecteur ne soit pas englouti par l’horreur, mais que, pour lui, s’ouvrent entre ces voix, des espaces de respiration et de réflexion. Cette fois, cependant, le tissage de ces voix se fera plus précisément, autour de l’organisation de la disparition comme machine à détruire et les vivants et les morts. Disparition qui constitue le noyau de ce que nous appelons la «structure génocidaire » et dont le projet de destruction porte, au delà des personnes, sur ce qui fonde, en eux, la possibilité d’une transmission. La communauté, qui fait l’objet de ce projet, se trouve alors confrontée à un véritable trou dans le symbolique et directement exposée à du réel de mort non symbolisable.
C’est pourquoi faire disparaître c’est aussi ou d’abord s’attaquer aux vivants puisque se trouve, pour eux, ainsi bloqué tout le processus de deuil sans lequel il n’y a pas de transmission des générations possible.
Cette destruction de la transmission, qui est au coeur de l’entreprise génocidaire comme des régimes de terreur a donc comme dispositif central : la disparition, laquelle s’accompagne toujours d’un déni, celui de l’existence passée, présente et future du disparu, transformant celui-ci en un inexistant, mieux encore en un « n’ayant-jamais-existé ».
Dès lors, on comprend pourquoi il va de soi que de ces disparitions qui eurent lieu le long de chemins de déportation qui menaient les Arméniens en 1915 à travers la Turquie entière aux déserts et à une mort certaine, ne devaient pas avoir eu lieu. Ce qui a permis à Jean-Marie Carzou de terminer son livre « Arménie 1915 » par ces mots : « Alors ? Ce génocide, nous l’avons rêvé ? Non. C’est un génocide parfait : il n’a pas eu lieu...» 2
Ainsi le déni des disparitions, est-il, lui aussi, toujours constitutif du projet génocidaire puisque la mise en place des disparitions ne peut, comme déni de l’existence des disparus, que s’accompagner du déni des disparitions elles-mêmes. Le déni en venant redoubler la disparition, verrouille ainsi toute possibilité de deuil.
Nous retrouvons cette même impossibilité de deuil aussi bien en ex-Yougoslavie, en Argentine qu’au Rwanda. Ce n’est que lorsque les charniers sont exhumés et les restes trouvés, les restes des corps des disparus, que leur mort peut s’inscrire et le deuil commencer pour les familles. Peu importe alors le temps qui s’est écoulé entre la disparition d’un proche et les retrouvailles avec ses restes corporels, puisque ce n’est qu’à partir de ces retrouvailles que le disparu peut acquérir, au moment de son exhumation, le statut de mort et les vivants reprendre leurs vies que ces disparitions avaient comme suspendues

Dans le reportage Un massacre dans l’enclave de Srebrenica 3 ses auteurs montrent la construction préméditée de la disparition de musulmans de cette région, massacrés par les serbes. Comment les futurs exécutés sont constitués en disparus et ceci aussi bien avant qu’après leur mort. A ce sujet, rescapé raconte les mesures qui furent prises pour que rien ne puisse être repérable : la prise des papiers, le secret du périple, le rassemblement avec d’autres, venus d’autres lieux, en un lieu isolé, le massacre en masse et enfin la disparition des corps, rendus anonymes en des charniers collectifs situés en des lieux tenus secrets. Comment, dans ces conditions, retrouver et reconnaître les cadavres ?
« Vous avez demandé s’il y avait quelque chose dans mon expérience que je pourrais partager avec les survivants de Srebenica » dit un parent après l’exhumation dans un charnier de Vucovar, des restes de son fils. « La chose la plus importante que j’aimerais leur dire, c’est que les années d’attente et d’espoir sont les pires. Moi, quand j’ai appris la vérité de la bouche des médecins, je l’ai acceptée avec un chagrin énorme. Le pull que la mère de Goran avait tricoté pour lui, ses papiers, la radio de sa mâchoire, (...) tout concordait. » Et il termine ainsi : « Au moins mon fils mort est enterré dans un lieu honorable et bien que je sois triste, je suis en paix. » 4

Au regard de cela, il est évident que les modes de destruction et de restauration du lien entre les vivants et les morts dont nous allons parler tout au long de ce livre et qui provoquent, en différents lieux et différentes circonstances, des effets psychiques comparables révèlent la manière dont la vie se structure autour du deuil et rejoint l’expérience et les constatations de ceux qui font partie des équipes chargées d’exhumer des charniers.
Dans son livre Tombes E. Stover dit ceci : « En regardant Haglund et les autres experts lutter pour sortir les corps des trous (à Srebrenica), je me suis souvenu que l’atmosphère était bien différente sur les sites d’Amérique latine ou du Kurdistan. Les premiers jours d’une exhumation, les membres de la famille, qui avaient entendu parler de notre travail par la presse ou par les associations de défense des droits de l’homme, se groupaient près des fosses. (...) Immanquablement, après un jour environ, un groupe de femmes s’approchaient plus près. Une veuve montrait alors par exemple une photo de son mari disparu et racontait leur première rencontre et leur mariage. De tels échanges étaient extrêmement importants émotionnellement pour les familles des disparus. Pendant des années - et même des décennies - les militaires, la police et la justice leur avaient dénié le droit d’être informées sur leurs êtres chers. »
C’est ainsi qu’enfin ces femmes pouvaient commencer à éprouver et exprimer leur chagrin et inscrire, en des actes, leur deuil. C’est aussi pourquoi tout le village voulait participer à l’exhumation et que « Avant que les scientifiques ne commencent leur travail les femmes du village voisin s’agenouillaient près de la fosse et priaient pour les morts. Tout au long de la journée, elles préparaient des repas chauds pour les travailleurs et aidaient à remonter les seaux de terre des trous. Le soir, les hommes du village quittaient leurs champs pour venir aider les scientifiques à recouvrir les fosses.» 5

C’est dire qu’un mort à sa place dans la mémoire et dans l’histoire, et que c’est cette place qui quant elle lui est reconnue qui permet que son deuil soit possible. Or, dans une disparition rien de tout cela n’est possible, puisque c’est l’existence même de la personne qui se trouve niée : elle ne peut être morte puisqu’elle n’a pas existée, elle ne peut donc occuper aucune place, c’est-à-dire ni celle de vivant ni celle de mort.
Un disparu n’est donc pas un mort, mais quelqu’un qui est constitué par d’autres comme n’ayant jamais existé et dont est soigneusement organisée la non-existence passée. Ne reste donc, comme preuve de son existence, puisque cette existence devient, désormais, à prouver, que la parole des proches, qui, lorsqu’elle est déniée, et dans ce processus de mise en place de la disparition, elle l’est toujours, rend littéralement ces proches fous, puisque personne ne peut être le descendant d’un non existant.
C’est pourquoi la mère dont le fils a disparu peut en arriver à dire ceci, rejoignant là les paroles que nous avons cit&#

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