Identités et cultures minoritaires dans l aire anglophone
253 pages
Français

Identités et cultures minoritaires dans l'aire anglophone , livre ebook

253 pages
Français

Description

La notion de "visibilité" est très usitée dans certains pays de l'aire anglophone contrairement à la France où le discours est majoritairement celui de l'"invisibilisation" ethnique. Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, la notion de "visibilité" connaît des fortunes diverses en raison des luttes antiracistes et du combat pour l'égalité des droits. Partant d'exemples historiques ou contemporains, ce livre met en évidence les processus d'occultation ou de dévoilement des identités ethniques, instrumentalisées par le groupe majoritaire ou les groupes minoritaires.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 septembre 2010
Nombre de lectures 56
EAN13 9782296260887
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Cet ouvrage est dédié à notre collègue et amie Lucienne Germain, qui vient dřentreprendre,après une lutte vaillante, le long voyage solitaire dont on ne revient jamais. Contra vim mortis non est medicamen in hortis.
7 Introduction « Minorité visible »: un concept ambigu Didier Lassalle Université Paris Est-Créteil (UPEC) En occident, la question des minorités remonte à la fin du e e XVIII siècle et au début du XIX siècle, lorsque certains groupes nationaux ou ethniques se sont retrouvés soumis, par le jeu des conquêtes militaires et des accords politiques, à la domination dřautres groupes ethniques ou nationaux, en particulier dans des entités impériales telles que lřEmpire austro-hongrois. La vision de minorités nationales combattant pour leur indépendance est alors 1 lřune des données centrales de la vie politique européenne . Cette conception perdure jusquřen 1945, date à laquelle Louis Wirth, dans un article célèbre, actualise cette définition classique de « minorité » et la remplace par une autre, beaucoup plus sociologisante et parfaitement adaptée au contexte urbain américain moderne : Nous pouvons définir une minorité comme un groupe dřindividus qui, en raison de leurs caractéristiques physiques ou culturelles, sont distingués des autres au sein de la société dans laquelle ils vivent par un traitement différentiel et inégalitaire et qui, de ce fait, se considèrent comme victimes de discrimination collective. Lřexistence dřune minorité dans une société donnée suppose
1  Anne-Marie Thiesse,La Création des identités nationales, Le Seuil : Paris, 1999.
8 lřexistence dřun groupe dominant correspondant qui jouit dřun 2 statut social plus élevé et de plus grands privilèges . Le point intéressant pour notre propos est que Wirth introduit conjointement dans cette définition le concept par lequel des individus, partageant un« identifiabilité » ensemble de traits saillants les distinguant de leurs concitoyens, sont assignés à un groupe spécifique faisant lřobjet de pratiques discriminatoires. Bien entendu, dans le contexte américain, et en raison des origines familiales du grand sociologue, ce sont surtout aux modalités de lřintégration sociale des Noirs et des Juifs quřil songe lorsquřil le propose. Plus généralement, la position des minorités ethno-raciales est à cette époque très délicate. Paul Schor montre que si la démographie américaine fait de la race une catégorie fondamentale, celle-ci est pourtant absente des enquêtes anthropométriques de grande ampleur réalisées par leBureau of Home Economics1920- entre 1940. Cette Řtransparenceř des minorités reflète leur exclusion du groupe des consommateurs potentiels, et plus généralement, leur marginalité dans la sphère économique. Dans son article de 1959, Hannah Arendt développe le concept dř« identifiabilité » en opposant la notion de « visibilité », dont elle décrit le caractère intrinsèque comme Řinaltérable et permanentř, avec celle dř« audibilité », un phénomène temporaire 3 persistant rarement au-delà dřune générationř. Cette extrême dichotomie est discutable puisque dans de nombreux cas, « audibilité», par le truchement dřun langage ethnique ou dřune manière de sřexprimer spécifique (les argots noirs ou latino aux USAŔgangster rap ; la langue des jeunes du 9-3 en France, etc.), est également un marqueur de lřethnicité ainsi que de la classe
2  Louis Wirth, "The Problem of Minority Groups",inLinton (ed.), Ralph The Science of Man in the World Crisis, New York: Columbia University Press, 1945, p.347.3 Hannah Arendt, ŖReflections on Little Rockŗ,Dissent,6, 1959, pp.45-56.
9 sociale, et peut renforcer la « visibilité ethnique » ou, au contraire, lřatténuer. Dřautre part, la «visibilité » comporte un fort élément culturel qui autorise un éventail très large, et parfois contradictoire, dřinterprétations. Par exemple, le «blanchiment » de la perception e des Italo-américains aux États-Unis au XXsiècle lřillustre très clairement. Stefano Luconi, dans son article traitant de lřethnicité et de la race dans leur représentation identitaire, souligne que ce nřest que très récemment que les Italo-américains ont fini par sřassimiler pleinement aux autres groupes dřimmigrants dřorigine européenne. Classiquement, tous les immigrants non-européens aux États-Unis (constituant pour partie les diasporas de masse), les groupes indigènes ainsi que les descendants des esclaves africains (qui commençaient seulement à être acceptés avec réticence comme membres à part entière de la « communauté nationale »), peuvent, à cette époque, être englobés sous lřappellation générique de « minorités visibles». Il existe dřailleurs quelques exemples précoces de son utilisation dans la littérature sociologique en référence à des groupes minoritaires tels que les Japonais -4 Américains ou les Mexicains-Américains. Cřest ainsi que la politique raciale prend forme en réaction à la revendication originelle de « visibilité » de populations jusque-là largement et paradoxalement « invisibilisées ». Cependant, la notion de différence fondée sur des relations de pouvoir structurées (tel que le racisme) étant quasiment évacuée de cette formulation, elle ne présente pas une alternative crédible à celle de la « race », et perd alors de son intérêt. Dřautre part, la législation sur les Droits Civils, progressivement mise en place dans les années 1960 au moyen de mesures de discrimination positive (affirmative action) et le système des quotas ont conduit à une différentiation raciale et ethnique croissante qui a rendu lřexpression trop imprécise, trop inopérante, pour être utilisée dans la recherche en sciences sociales ou comme une catégorie dans les recensements ultérieurs de la 4 Leonard Bloom & Ruth Riemer, ŖAttitude of College Students Towards Japanese-Americansŗ,Sociometry, 8(2), pp.157-173.
10 population américaine. Ce nřest que très récemment quřelle a réapparu dans les travaux de certains chercheurs américains pour désigner la communauté musulmane victime de la multiplication des persécutions et des attaques racistes suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 : les membres de cette « communauté »Ŕ en particulier les femmesŔ sont facilement identifiables à leurs vêtements traditionnels, symboles extérieurs de leur appartenance religieuse, et constituent donc une « minorité 5 visible » . Ilexiste pourtant des différences. La couleur de peau nřest généralement pas négociable alors que le nom, les appartenances religieuses, les caractéristiques vestimentaires peuvent être 6 abandonnés si nécessaire . Pour certaines minorités, la « visibilité ethnique» nřest donc pas permanente: elle peut être mobilisée et instrumentalisée dans lřexpression de revendications politiques et/ou sociales ou désactivée à volonté. À cet égard, le cas des Italo-américains est exemplaire comme le montre Nancy C. Carnevale dans son étude dřune communauté intégrée Blancs/Noirs du New Jersey. Celui de la lutte pour la « visibilité » des Juifs sépharades dans les grandes villes américaines, décrit par Nadia Malinovich, en présente une autre approche tout aussi passionnante. En 1984, lřexpression «» apparaît dans leminorité visible 7 titre dřun rapport parlementaire canadien:Equality Now! Cependant, cřest la loi canadienne de 1986 sur lřégalité des chances au travail (Employment Equity Act 1986) qui la définit précisémentet lřofficialise comme lřun des quatre groupes
5  Selcuk R. Sirin, Nida Bikmen, Madeeha Mir, Michelle Fine, Mayida Zaal and Dalal Katsiaficas ŖExploring dual identification among Muslim-American emerging adults: A mixed methods studyŗ,Journal of AdolescenceVolume 31, Issue 2, April 2008, pp. 259-279. 6  Pap Ndiaye, « Question de couleur. Histoire, idéologie et pratiques du colorisme »inDidier Fassin et Eric Fassin,De la Question sociale à la question raciale, Paris : La découverte, 2006, pp. 45-62. 7  Bob Daudlin,Equality Now! report of the Special Committee on Visible Minorities in Canadian Society, House of Commons issue no. 4, Ottawa : Queen's Printer for Canada, 1984.
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