Invisibles et tenaces
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Invisibles et tenaces , livre ebook

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Description

Voici un recueil de souvenirs issus d’un blogue-journal publié sur Mediapart et en d’autres lieux, où l’auteur raconte sa plongée, contrainte par les nécessités du temps, forcée, subie mais finalement réconfortante et enrichissante, dans le milieu des agents de nettoyage. Si ce n’était là qu’une expédition touristique pour ramener du cliché qui sent bon la sueur de prolo, on serait en droit de me cracher au visage. C’est pourquoi je vous dis : braves gens, ravalez votre salive, car voici non seulement un petit train de tableaux édifiants, mais aussi une apologie, un éloge et une proposition. Quand on est au-dehors, on ne se rend pas compte.


J’ai imaginé qu’un lectorat de gauche rouge brique ne serait pas tout à fait inintéressé à l’idée de lire de quoi nourrir un peu plus son désir de changement, par la mise en mots, à la base même de ce désir, d’une exigence morale toute simple et qu’on ne peut refuser de voir qu’au prix de sa conscience.ce. Celui par qui l’homme du 21e siècle retrouve sa dignité.


Sans DRM si acheté sur Immatériel .


Taille : 132 écrans au format 135x180, dans la version pdf de janvier 2013.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 8
EAN13 9782923916484
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0026€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

INVISIBLES ET TENACES
ALLAN ERWAN BERGER
© ÉLP éditeur 2012 www.elpediteur.com elpediteur@yahoo.ca
ISBN : 978-2-923916-48-4
Illustration de couverture : Geolina 163 :Fensterputzaktion(CC BY-SA 3.0) Source : Wikimedia Commons
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ÉLP éditeur est une maison d’édition 100% numérique fondée au printemps 2010. Immatriculée au Québec (Canada), ÉLP a toutefois une vocation transatlantique : ses auteurs comme les membres de son comité éditorial proviennent de toute la Francophonie. Pour toute question ou commentaire concernant cet ouvrage, n’hésitez pas à écrire à : elpediteur@yahoo.ca
Ce recueil comportait en fin de volume deux textes résolument partisans, de gauche pas lâche, et dont le but était de renforcer la détermination de toute personne désirant virer les néolibéraux du pouvoir en France, à l'occasion des présidentielles de 2012, des législatives qui leur firent suite, e t des opérations de rue que l'on était en droit de prévoir en cas de catastrophe.
Étant donné que le temps a passé, ces écrits de cir constance n'ont plus de raison de subsister dans cet ouvrage, je les ai donc enlevés en janvier 2013.
Le matin du 22 juin...
Le matin du 22 juin, j'avais traversé la ville à l' heure froide où personne ne bouge encore. La Fête de la musique avait laissé dans les rues une grande mer d'ordures. Le long capot de la Ford passait là-dedans comme une é trave. Cependant, quatre heures plus tard, en milieu de matinée, il n'y avait déjà plus rien. Les invisibles avaient œuvré.
Les invisibles sont les gens qui nettoient. Rares s ont les humains qui leur adressent la parole. Depuis que moi-même je suis devenu un me mbre de la confrérie, je fais l’expérience étrange de souhaiter le bonjour à des bipèdes qui ne me répondent seulement pas, et dont le regard me coule dessus co mme si j’étais un fantôme. Passant l’aspirateur dans un bureau, j’avise un emp loyé arrivé très tôt, qui lit un journal de la veille en sirotant son tout premier café ; mo n salut ne lui fera même pas lever les yeux. Déroulant un tuyau d’arrosage dans la cave d’ un immeuble de banlieue, je reçois l’accolade cordiale du préposé au nettoyage des pou belles. Remontant à la surface, je croise dans l’entrée de l’immeuble un occupant mati nal encombré de croissants ; les bandes réfléchissantes de mon costume signalent à s on attention qu’il n’y a ici personne avec qui devoir être poli. C’est ainsi : l es concierges, les gardiens, les hommes et les femmes de ménage nous détectent et no us apostrophent sans difficulté, mais les autres civils ont tendance à v ouloir nous éviter. Tout comme les clochards et les ivrognes, nous sommes désagréables à considérer.
Pour avoir vécu pendant des années de l’autre côté de la paroi de verre, je pense que cette froideur est principalement la résultante de deux émotions très puissantes qui sont le désarroi et la timidité. Car le mépris est plutôt rare : je ne l’ai ressenti qu’une seule fois, lorsque j’ai nettement réalisé que j’av ais sali de ma parole la personne que je venais de saluer.
Voici treize tableaux, extraits des souvenirs de ce s quelques semaines passées à trimer au milieu d’une population qui fait preuve d ’un courage et d’une ténacité insoupçonnables pour qui vit à l’extérieur, dans le monde nettoyé.
INVISIBLES ET TENACES
Leboxeur polyglotte
À midi, épuisés, nous nous affalons sur les chaises d’une sandwicherie orientale. De toute évidence, le patron est anatolien. La serveus e, quant à elle, a le profil impressionnant d’une femme de l’Attique, comme on e n voit dessinées sur les vases de l’ancien monde égéen. Du reste, sur la façade, u n panneau l’indique bien : ici, on fait de la cuisinegrecque, figurez-vous.
« Kebab, köfte, panini, pizza, chika, burger… Sauce blanche, harissa, sauce tunisienne, sauce andalouse… Chorizo, poulet, dinde et roquefort… Il n’y a rien de grec là-dedans, à part le gyros et encore, puisqu’i l a le droit d’être turc…
— On s’en fout. Ici c’est le meilleur kebab de la v ille. Qui veut un Coca ?
— Vous ne mangez donc jamais autre chose ? Depuis q ue je suis avec vous…
— Et jusqu’à la fin de ta mission tu ne mangeras ri en d’autre. Tu veux un Coca, l’écrivain ?
— Oui mais tout de même : du lundi au samedi, kebab -frites. Quel régime ! On va grossir ! Va pour le Coca.
— Ben t’as qu’à regarder H. Voilà bientôt deux ans qu’il est avec nous, et comme tu vois il profite bien. »
H. est tunisien du sud. Petit et bien enveloppé, co staud, toujours de bonne humeur, il a réponse à tout. Par exemple : « Oui mais c’est qu ’avant j’étais boxeur. Et vous savez que lorsqu’un sportif arrête de faire du sport, il grossit.
— Tu as fait de la boxe, toi ? » Le chef est estoma qué.
« Depuis tout petit, répond H. Parce que si tu croi s qu’être guide dans le désert ça suffit, ben c’est faux. Tandis que boxeur, si tu t’ en sors bien, tu peux espérer gagner pas mal.
— Parce que tu as été guide ? Mais pourquoi tu as a rrêté ?
— C’est quand j’ai voulu partir en Italie ! Comme je parlais bien italien… Voilà, quoi…
— J’comprends pas…
— De toute façon ça n’a pas marché. Ils m’ont renvo yé en Tunisie. »
Après les joies ineffables de la traversée dans un rafiot pourri, H. a connu Lampedusa et son riant centre de tri. Le chef se re tourne vers moi : « Mais il ne s’est pas découragé, notre petit gars, parce que moi je s ais qu’il est ensuite parti en Espagne en passant par l’Algérie et le Maroc.
— Ben oui, puisque je parlais espagnol. Par contre, du coup, j’ai tout perdu mon italien. Encore l’an dernier, un Italien me demande son chemin je lui ai répondu en espagnol. Il a bien rigolé, et il m’a dit qu’il com prenait quand même.
— C’est parce que ce sont des langues romanes, dis- je en croyant bien faire. Elles concordent pas mal entre elles…
— ???
— En gros, je crois qu’Allan vient de te dire que tu parles romain. C’est plutôt bien.
Etcequejevoudraissavoir,moi,reprends-je,c ’estpourquoituesvenuen
Et ce queje voudrais savoir, moi, reprends-je, cest pourquoitu es venu en France ?
— Quand je suis arrivé en Espagne, c’était la crise . Enfin, il y avaitune crise qui n’était pas celle-ci mais une autre… Des tas d’entr eprises étaient en train de fermer. J’ai passé un an et quatre mois sans travai ller. Alors j’ai quitté le pays et je suis passé à Andorra où on trouve facilement du boulot. Et de là, plus tard, je suis venu en France.
— Ce qui fait que maintenant H. parle français.
— Oui !
— Et anglais ? Tu connais un peu l’anglais ?
I love you !loussons commeLa serveuse se retourne et nous inspecte. Nous g  » des crétins. Qu’est-ce qu’elle est belle !
Les kebabs sont arrivés. Nous mastiquons en regarda nt une émission délirante à la télé turque. Je songe que H., qui a l’air d’être un joyeux déconneur sans maturité, est le plus acharné de nous trois. Mais c’est qu’il a un b ut élevé et d’une importance cruciale, qui le rend déterminé à ne pas échouer : plus tard, il organisera des randonnées dans le désert. Il aura un bureau avec ventilateur, un o u deux ordinateurs, un véhicule correct et le meilleur gasoil du Sahara puisque la Libye, c’est fatal, trouvera bientôt sa paix à elle et recommencera à faire du commerce ave c les voisins. H. travaille donc propulsé par cette forte motivation. Bien entendu, il est en règle, mais c’est de plus en plus difficile avec ces foutus parasites de droite qui prétendent aujourd’hui inquiéter ma femme à cause de sa généalogie un peu compliquée, e t qui n’hésiteront pas une seconde à faire de H. un épouvantail intégriste, profiteur et spectaculairement lubrique.
Travaillez plus !
Lesujet du jour : l’aliénation… Dépossédé de toute ma îtrise de son existence, de son destin, de ses vertus comme de ses virtualités, l’être humain vit à l’écart de lui-même. Il n’est jamais ce qu’il voudrait être, et ne peut souvent même pas penser ce qu’il pourrait désirer être. Il est happé. Happé pa r les ancêtres et les affreux systèmes qu’ils ont mis en place (Feuerbach) ; happé par un présent extrêmement impératif qui émet à tout instant de l’urgence et des menaces, dé précie le producteur et glorifie le produit (Marx) ; happé par son ignorance et ses inc apacités à s’annoncer, héraut de lui-même ne connaissant ni ses titres ni ses propre s qualités (Kierkegaard) ; happé enfin par la roue du contrat social qui le sépare, en un dualisme douloureux aussi simple qu’irrésolu, de l’état de nature, le privant de ce fait de son « bon fond » (Rousseau, par la voix de Laurendeau, qui ajoute, g oguenard, que l’aliénation a aussi connu son lot d’analyses paradoxales suggérant que la seule aliénation effective est l’intégration de la catégorie « d’aliénation » dans un système philosophique… Bigre !)
Sept heures du matin. Nous venons de finir notre pr emier nettoyage de la journée : un gymnase, une salle de basket avec ses tribunes, une salle de musculation, des vestiaires, des sanitaires. Nous avons mis une heur e pour tout faire ; aspiration, désinfection, essuyage, sortie des poubelles. Maint enant nous filons sur un chantier pour y mettre trois appartements neufs « en propret é » : gratter les traces de peinture sur les sols, nettoyer les vitres, faire briller le s huisseries, toute la serrurerie, les inox et les faïences ; dépoussiérer plinthes, murs et placa rds, décrasser parquets et carrelages, rendre les terrasses immaculées. Tout d oit être fini à midi.
Dans le camion, il y a H., le chef, et moi. Simple passager transbahuté d’une épreuve à l’autre, je me laisse conduire et sommeille, inte llectuel délicat tout étonné d’être plongé en pareille soupière ; et je songe, entre de ux cahots, que cette aventure, pour moi simple péripétie passagère – j’ai signé pour un mois seulement – est la vie toute entière pour mes compagnons, qui n’ont eux pas d’au tre perspective, tout changement dans leur destinée se trouvant encore dans les limb es de l’imagination, loin derrière l’horizon : un cap qui demande de la foi.
En attendant l’arrivée, je regarde par la fenêtre. Nous sommes sur la double voie de la pénétrante ouest, qui fore son chemin entre des zones d’activités tertiaires et industrielles. La route est encombrée de camions, d e fourgons et d’autobus. Au volant, le chef fredonne : « Travailler plus ! » puis il se coue ses épaules d’un air sombre et mystérieux, et nous explique : « Pour gagner plus ! » après quoi il nous regarde comme si nous étions des crétins incapables de conc evoir ce que c’est qu’une addition. On voit qu’il a fignolé son personnage. Il remet ça.
« Travailler plus !…
— Vise l’autobus !
— Laisse-moi faire ma campagne d’homme de droite qu i a changé… Je suis le candidat providentiel !
— Regarde, à droite, dans l’autobus providentiel !
— Présidentiel ? Je vote ! Pour gagner plus !
— Regarde les gens dans l’autobus de droite !
Jeconduis,moi!Jeneregardequelaroute.JesuislePrésident.
Je conduis, moi!Je ne regarde quela route.Je suislePrésident.
— L’autobus de droite est plein d’électeurs de gauc he. Comment tu expliques ça ?
— Encore une métaphore, c’est ça ? Ils ont de ces m ots, les écriveux, j’te jure ! Ah làlàlàlà làlàlàlà ! Moi je dis : travaillez plus ! »
H. s’esclaffe : « Parfaitement ! L’autobus de droit e est la métaphore, et tu ne peux pas la regarder parce que toi tu conduis. » Qu’est- ce que c’est que cette manière de causer, depuis ce matin ? M’aurait-on raconté des c raques sur le peu de subtilité de la classe ouvrière ? Mais voici que mes deux compères se mettent à faire des bruits bizarres, et jettent des regards éperdus de concupi scence en direction d’une commerciale blonde et bien roulée en train de télép honer au volant d’une mini-Cooper. J’ai soudain l’impression qu’une chorale de mouches donne un concert dans la cabine. Seules de belles rondeurs sont capables de détourne r ainsi le chef de son devoir ; les métaphores n’ont pas cette capacité.
La beauté cataclysmique est bientôt derrière. C’est malheureux parce que nos rétroviseurs ne permettent pas de nous pénétrer de tout son charme. Nous revenons donc au morne autobus métaphorique, ou plutôt à cel ui qui le précède, et qui est tout aussi rempli de sujets à observer. « Travaillez plu s ! » décrète le chef, le regard vissé sur le chemin à suivre.
Derrière les vitres défilent des visages las, épuis és, résignés, tirés, griffés d’une longue fatigue. L’armée des ombres. « Pour gagner p lus ! »
« Si je leur criais par la vitre ton beau slogan, q ue feraient-ils ?
— Ils te riraient au nez, décrète le Président.
— Ils nous cracheraient dessus, oui ! » H. a de sér ieux doutes sur ce qui reste de patience à des esclaves qu’on insulte directement.
« Peut-être qu’ils pleureraient, dis-je. » Beaucoup de visages montrent en effet d’évident signes de larmes, de ces longues larmes q ui ne coulent jamais de manière tout à fait visible, et qui prennent des années à d escendre le long des joues, en y traçant des sillons qui mettent la bouche, et ses b eaux sourires, entre parenthèses. Alors on ne parle plus, on n’existe plus tout à fai t. Les rêves peu à peu effacés par la réalité d’une injonction épouvantable : « Travaille z plus ! » L’impératif tout à fait catégorique. Non ils ne pleureraient pas, ils nous lanceraient des pavés.
Le chef n’est pas d’accord : « Moi je crois que bea ucoup nous traiteraient de feignasses, car il faut vraiment n’avoir...
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