L hospitalité, le repas, le mangeur dans la civilisation russe
316 pages
Français

L'hospitalité, le repas, le mangeur dans la civilisation russe , livre ebook

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Description

Ce premier ouvrage consacré à la convivialité dans le monde russe propose deux grilles de lecture de cette forme de la sociabilité : celle des observateurs étrangers qui, à partir du XVIIIème siècle, sont de plus en plus nombreux à venir visiter l'Empire russe et celle des Russes qui la pratiquent quotidiennement et l'interprètent à leur manière. Cette étude a été réalisée à partir de sources très variées : récits de voyage, descriptions ethnographiques, lexique dialectal, littérature orale.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2013
Nombre de lectures 25
EAN13 9782296533356
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Galina KABAKOVA
L’hospitalité, le repas, le mangeur dans la civilisation russe
L’HOSPITALITÉ, LE REPAS, LE MANGEUR
DANS LA CIVILISATION RUSSE
Galina Kabakova
L’HOSPITALITÉ, LE REPAS, LE MANGEUR
DANS LA CIVILISATION RUSSE
© Illustration de couverture : Vladimir Konachevitch pour le livre de Korneï Tchoukovski, Fedorino gore, Moscou, Detizdat, 1936 © L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-00421-1 EAN : 9782343004211
INTRODUCTIONL’hospitalité, la convivialité, l’alimentation : état des lieux La problématique de l’hospitalité touche les fondements de l’humanité. Depuis la nuit des temps, l’accueil de l’autre est considéré comme un devoir moral essentiel. Comme le souligne l’ethnologue finnois E. Westermarck, il s’agit d’un devoir d’homme à homme, mais encore davantage du devoir envers le principe religieux suprême, car on soupçonne que Dieu pourrait se 1 cacher sous l’apparence d’un simple visiteur . L’idée que l’hôte bénéficie d’un statut particulier avait été avancée quelques années auparavant dans l’ouvrage essentiel de James FrazerLe Rameau d’or(1890). Frazer parle du sentiment d’appréhension éprouvé par les indigènes en présence d’un étranger redouté comme un personnage venu de l’au-delà, tout comme face à un compatriote ayant visité un pays étranger et donc contaminé par de mauvaises influences. Pour Frazer, le rituel d’accueil, qui comprend des actes de purification, vise plus à contrer la nocivité présumée du visiteur qu’à lui rendre des honneurs. Mais il arrive aussi que la terreur qu’il inspire soit si grande qu’elle exclue toute 2 éventualité d’hospitalité : l’étranger est alors chassé . Cette perception surnaturelle de l’hôte sera à plusieurs reprises constatée sur le terrain, par exemple, par Arthur Maurice Hocart à Fidji, où le chercheur britannique relève le nomvulagiattribué à l’étranger, qui peut s’interpréter littéralement 3 comme « dieu céleste » ou comme « ancêtre céleste » . Forts d’abondants matériaux de terrain et de données historiques, les anthropologues abordent plusieurs aspects de l’hospitalité. Sur le plan structurel, Arnold Van Gennep élabore son modèle de l’hospitalité en dégageant la structure fonctionnelle de ces rites qui ont pour but de neutraliser la « malfaisance » supposée de l’hôte étranger, de le rendre inoffensif, voire bienfaisant. Il classe les cérémonies d’intégration de l’étranger dans la catégorie des rites de passage, au même titre que les rituels liés aux étapes clés de la vie humaine, dotés d’une structure tripartite (stade préliminaire, période de marge, rites d’agrégation). Il n’empêche que l’hôte, même intégré, reste un hôte en visite. Sa situation est fondamentalement provisoire et à la série élaborée de rites d’agrégation correspond nécessairement une série de rites de séparation qui rendent à l’étranger son 4 statut initial . 1 Westermarck, 1928 : 574-592. 2  Frazer, 1911 : Chapter 19. « Tabooed Acts ». Section 1. « Taboos on Intercourse with Strangers ». 3 Hocart, 1970. 4 Van Gennep, 1909 : 36, 50.
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Dans leur analyse de l’évolution de l’hospitalité, les anthropologues constatent son déclin en tant que droit réciproque de trouver logement et protection les uns chez les autres, amorcé dès l’Antiquité. Avec le développement des relations entre groupes et pays, au fur et à mesure que les formes institutionnelles de l’hospitalité (hôtellerie, hospices,etc.) se multi-plient, l’hospitalité individuelle est de plus en plus perçue comme un 5 intolérable fardeau et de moins en moins comme une obligation morale . En conséquence, l’hospitalité privée reste l’apanage des sociétés « primitives », voire sauvages, qui n’ont pas élaboré de réseaux institutionnels de prise en charge des étrangers. Quand elle se maintient dans les sociétés modernes, son champ d’application se réduit et concerne essentiellement les réseaux familiaux. Ce constat de « mort » de l’hospitalité dans les sociétés occidentales a été établi au moins un siècle avant la naissance de l’anthropologie sociale par les penseurs des Lumières. Ainsi, dans son traitéVon der Gastfreundschaft. Eine Apologie für die Menschheit(1777), le naturaliste danois Christian Hirschfeld déplore-t-il que le progrès sonne le glas de la vertu de 6 l’hospitalité . Dans la pratique, le concept même d’hospitalité semble presque désuet. Il n’est donc pas étonnant que les réflexions sur la nature de l’hospitalité des Russes débouchent, chez les auteurs étrangers, de Bernardin de Saint-Pierre à Custine, sur la question de sa compatibilité avec la notion de civilisation. En français, la signification du mot même d’hospitalité connaît au fil des siècles une évolution importante, comme le met en évidence, dans son ouvrageLe Sens de l’hospitalité,la sociologue Anne Gotman. On fait la distinction entre l’hospitalité à l’égard des pairs et celle destinée à des personnes de rang inférieur, qui devient alors synonyme de charité. Avec le temps, d’une obligation collective, fondée sur la vertu chrétienne, 7 l’hospitalité devient une affaire personnelle . Le travail de l’ethnologue anglais Julian Pitt-Rivers, qui publie en 1977 The Fate of Shechem or the Politics of Sex : Essays in the Anthropology of 8 the Mediterranean ,pour nous une grande avancée métho- constitue dologique dans la compréhension de l’hospitalité. À partir d’une étude de terrain à Sierra de Cadiz, en Andalousie, Pitt-Rivers reprend le thème classique de l’accueil de l’autre et décortique le mécanisme de la transformation de l’étranger en hôte, de sa « socialisation » dans un nouveau 5 Westermarck, 1928 : 592. 6 Cf.la traduction française : Hirschfeld, 2000. 7  Gotman, 2001 : 13-14. 8  Traduction en français : Pitt-Rivers, 1983. Le chapitre qui nous intéresse tout particulièrement, « La loi de l’hospitalité », apparaît d’abord en français dans la revue de Jean-Paul SartreLes Temps modernes:n° 253, p. 2153-2178) et ensuite en anglais  (1967, Pitt-Rivers, 1968.
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cadre et rappelle qu’il perd inévitablement le statut dont il bénéficiait dans sa société d’origine. Pour autant, l’hospitalité accordée n’abolit pas les différences entre l’invité et l’invitant, mais, au contraire, crée une barrière statutaire, insurmontable. Et, si l’invité et son hôte forment un couple, leurs droits et devoirs respectifs ne sont pas pour autant symétriques. L’originalité de l’étude de Pitt-Rivers réside dans l’analyse de l’hospitalité à la lumière du concept de l’honneur. Ainsi, il fait la distinction entre la loi générale, « naturelle », de l’hospitalité, et les codes de l’hospitalité spécifiques à chaque culture ; il démontre également dans quelle mesure l’honneur sous-tend la logique de la réception de l’étranger. En effet, le concept d’honneur recouvre des réalités fort différentes selon les sexes et les couches sociales, selon qu’il apparaît comme un attribut individuel ou collectif. Pitt-Rivers relève deux acceptions principales du terme : d’une part, l’honneur qui découle d’une conduite exemplaire et qui serait ainsi synonyme de vertu et, d’autre part, l’honneur qui permet à un individu de se situer socialement et de fonder son droit à la préséance et, par conséquent, d’avoir lui-même accès aux honneurs. Pour la femme, l’honneur réside dans la timidité, la pureté sexuelle, la pudeur ; pour l’homme dans l’autorité et l’obligation de défendre l’honneur des femmes. L’honneur est transmis de génération en génération, mais chacun des parents transmet sa part de l’honneur familial : le père transmet aux enfants son statut social (honneur-préséance), tandis que la femme transmet la honte, qui dans ce cas précis traduit la sensibilité à l’opinion d’autrui, de la communauté. « L’ampleur » de l’honneur familial, donc masculin – car, dans cette société constituée de lignages patrilinéaires, il s’agit avant tout d’un honneur collectif et non pas individuel –, évolue considérablement selon les couches sociales. Pitt-Rivers constate que « l’honneur préséance croît en importance avec le statut social jusqu’à atteindre finalement le stade où, dans l’aristocratie et dans les milieux officiels, le protocole règle la préséance 9 devenue pour chacun un souci de plus en plus vital » . Tandis que dans la société paysanne, où les membres sont plus ou moins égaux, dans la situation de la réception, qui va nous intéresser tout particulièrement, « les liens personnels avec l’hôte passent avant le critère objectif du rang, encore 10 que le rang ait toujours son mot à dire » . Et, si la notion d’honneur se retrouve depuis cet essai au centre des études méditerranéennes, l’évocation par Pitt-Rivers d’exemples venus de cultures plus lointaines laisse déjà penser qu’il s’agit d’une valeur universelle même si elle est inégalement développée.
9 Pitt-Rivers, 1983 : 61. 10 Ibid: 60.
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