La langue et la mémoire
214 pages
Français

La langue et la mémoire , livre ebook

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214 pages
Français

Description

Autrefois, jouer aux énigmes et aux devinettes était une préoccupation quotidienne. Les enfants jouaient sous les encouragements de leurs aînés. Les énigmes ont permis à l'enfant kabyle amazigh, grâce au jeu de langue, un apprentissage et une maîtrise de sa langue maternelle. C'est par cette pratique intense qu'énigmes et devinettes ont perduré dans le patrimoine oral amazigh. Appliquée à l'environnement éducatif et scolaire, cette pratique exciterait la curiosité des enfants et les sortirait de l'ennui dans lequel les plonge souvent l'école arabisée.

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Informations

Publié par
Date de parution 15 juin 2015
Nombre de lectures 23
EAN13 9782336385341
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La langue et la mémoire
Youcef ALLIOUI
Tameslayt D Wasal
Édition bilingue berbèrefrançais
LA LANGUE ET LA MEMOIRE TAMESLAYT D WASAL timsaâraqdi tmauya Edition bilingue berbère-français NNNNNNN
Ouvrages de l’auteur
Timsal -Enigmes berbères de Kabylie, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 1990. Contes kabyles– Contes du cycle de l’ogre- Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2001. Contes kabyles– Contes du cycle de l’ogre- Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2001. Contes du cycle de l’ogre- Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2003. Enigmes et joutes oratoires de KabylieTimsaHraqTimsal - Izlan berbère-français, collection « Présence bilingue berbère »,L’Harmattan, 2005. Les Archs, tribus berbères de KabylieHistoire, résistance, culture et démocratie, collection « Présence berbère», L’Harmattan, 2006. L’ogresse et l’abeillekabyles - Contes Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2007. La sagesse des oiseaux- Timsifag Contes kabyles Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2008. L’oiseau de l’orage –Afrux UbanduTimsifag -Contes kabylesTimucuha,bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2008. Sagesses de l’olivier – Timucuha n tzemmurtkabyles Contes Timucuha, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2009. Les chasseurs de lumièren tafat Iseggaden et mythes Contes kabylesTimucuha d yizran, bilingue berbère-français, L’Harmattan, 2010. Un grain sur le toitAâqqa af ssqefEnigmes et sagesses berbères de Kabylie, bilingue berbère-français, collection « Présence Berbère »,L’Harmattan, 2012.er Histoire d‘amour de Sheshonq 1-Roi berbère et pharaon d’Egypte Contes et comptines kabyles,bilingue berbère-français, collection « Présence Berbère »,L’Harmattan, 2013. Amsayer, traduction deThe Prophet de Khalil Gibran, L’Harmattan, 2014. © L'HARMATTAN, 2015 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-343-06137-5 EAN : 9782343061375
Youcef ALLIOUI LA LANGUE ET LA MEMOIRE Enigmes, jeux et traditions dans la Kabylie d’antanTIMSAARAQ TAMESLAYT D WASAL DI TMAWYA ttmauyaimsaâraq di Traduction littérale Commentaire linguistique et ethnographique Edition bilingue berbère-français
Pour Saïd Medjber, Joseph Gabel et Fernand Bentolila, avec toute ma gratitude. Va avec les sages, tu glaneras de leur sagesse. Ddu d-imusnawen a d-gemmrev di tmusni-nsen. Pour les enfants amazighs et la petite Tawesporte le qui doux prénom de ma mèrequi m’avait abordé un jour pour me dire une devinette kabyle en plein marché de Belleville. Pour Nna Tassaâdit (Bou-Zeggan) qui m’a fait l’honneur de m’envoyer deux énigmes qui donnent tout leur éclat àces braisesqui continuent d’éclairer la maison kabyle. Mon père, Mohand Améziane Ouchivane (1898-1971) : «Ce sont les enfants qui font un pays. Si les enfants jouent et rêvent, ce pays a trouvé la porte du bonheur et de la paix. Seule la culture ouvre toutes les portes de lavenir dun pays.»«Jouer ! Jouer ! Viendra le temps où vous ne pourrez plus jouer ! Viendra le temps où la langue et la mémoire seront malmenées par le vent furieux. Le vent mauvais, venu d’ailleurs,qui les privera de la terre et de leurs racines ! Plantez les arbres ! Regardez le ciel ! Ecoutez les oiseaux et le vent dans les champs de blé ! Voyez le papillon qui admire la rosée! Regardez la fourmi qui s’engouffre dans la fourmilière ! Si vous buvez à une source, laissez-la propre pour que les oiseaux et les animauxs’y désaltèrent! Tout cela existe dans les énimges !»(Urarew-t ! Urarew-t ! A d-yass wakkud anda’ra tfak turart fell-awen ! A d-yass wakkud anda tameslayt d wasal a-ten iceggeb wavu : avu abuôayûu asen ikkes akal yakw d-iéuran ! ééut îjuô ! Ïillewt igenni ! Ëessewt i yifrax d-igran n tmusni ! Walit afeôîeîîu yegren allen di nnda ! Walit taweîîuft ikecmen di tbulga ! Ma teswam di lƐinseô, teooem-t d-azedgan bac ad swen yifôax d-isegla ! D’aya-gi yakw I’gellan di temsaâraq ! Tamurt d-arrac. Ma yella puraren yerna pargun, tamurt-nni, taggurt l_lehcaca d lehna tufa-yas ! Ala tisula i’gpellin tiggura uzekka n tmurt.)
AVANT-PROPOS
« Une seule braise éclaire la maisonL’énigme » (Yiwet tirgit teççuô axxamTamsaHreqt).Récemment, une vieille grand-mère (Nna Tasaâdit),qui m’avait entendu parler des énigmes, demande à son petit-fils de m’en 1 transmettre deux « pour me rendre hommage » : « Le chêne de l’Assemblée, sa parole porte comme une batte –Le sage »(Tasaft n Wegraw, awal-is yugar alqawAmusnaw).Par-delà la clé de l’énigme, celle-ci fait allusion à un jeu ancien, une sorte de cricket ou de base-ball(ta$wlalt), pratiqué par les hommes dans l’ancienne Kabylie. Dans cette énigme, la langue du sage est comparée à une batte de base-ball(alqaw)atteint sa qui cible. On ne peut qu’admirer, une fois encore, la justesse de la métaphore. La seconde énigme nous renvoie vers l’association parole / tissage, expression allégorique que l’on peut retrouver dans beaucoup de langues autochtones et notamment africaines. « Un métier à tisser sans lisse et sans fils de trame qui est brodé avec allégorie et confianceLa parole »(Aéeîîa mebla ilni d- ulman iéva s tweqda d lamanAwal). Beaucoup de Kabyles m’accostent dans la rue pour me saluer et me féliciter à propos de ce que j’écris. Beaucoup reviennent sur les énigmes. «C’est un genre littéraire majeur » (Fernand Bentolila) auquel j’ai consacré plusieurs ouvrages.Mon plus beau souvenir, je le dois à cette petite fille d’environ six ans qui m’apostrophe dans la rue pourme dire une énigme qu’elle avait relevée dans l’un de mes ouvrages.Quand sa maman se pencha vers elle pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille tout en me fixant du regard, j’étais loin de « deviner» qu’elle était en train de lui direquelque chose comme : « Dis-lui une devinette... C’est ce monsieur qui a écrit le livre que je t’ai acheté sur les énigmes! » La petite se gratta l’oreille –peu comme dans le conte un «L’oiseau de l’orage». Arrivé à leur niveau, elle me dit l’air bien
1 Voir les n° 285 et 294. 5
gêné : « Oh la la ! Je me souviens de la devinette, mais je ne sais pas comment je vais la dire ! » «C’est laquelle? Elle parle de quoi, la devinette ? » Lui dis-je en souriant. Elle me répondit alors : « Elle parle de la chauve-souris... ça y est, je me rappelle !» Et dans l’instant, beaucoup de monde put entendre une devinette kabyle en plein marché de Belleville : « Quel est l’oiseau qui allaite? »(Anwa afôux yessuîuven ?)D’entendre cette devinette déclinée dans les deux langues, en français d’abord puis enkabyle m’avait rempli de joie! Ce fut donc en plein marché que la petite fille, la maman et moi avions discuté des énigmes et des devinettes pendant près d’une heure! Comme quoi il suffisait d’une devinette pour que la braise se remette à briller dansles yeux d’une petite fille au point de m’éclairer...C’est à chaque fois dans des moments semblables que se détermine en moi ce rapport charnel aux textes oraux des Anciens dont la plupart ont été et continuent d’être véhiculés par les femmes. Dès lors, continuer à donner une forme à ces énigmes, à ces textes oraux qui viennent de la nuit des temps, c’est comme redonner vie à tous ces mots qui osaient, malgré la guerre et la misère, sortir de ce silence douloureux, à travers les voix d’enfants qui seulspouvaient le rendre supportable en donnant une grande légèreté aux sentiments et aux mots. En arrivant à la maison, je me suis mis aussitôt à reprendre ce travail de recherche qui date de plus de 30 ans. Ce livre est donc une mise à jour. Il comporte quelques suggestions à des fins d’utilisationdidactique par les enseignants de la langue berbère. L’ouvrage est également enrichi de variantes, de précisions ethnographiques et linguistiques ainsi que de poèmes anciens en relation avec les sujets traités dans les énigmes. Le travail premier résulte des recherches en sociolinguistique sous la direction de Fernand Bentolila à l’Université René Descartes, Paris IV. Le groupe de recherche berbère regroupait alors une quinzaine de chercheurs qui couvraient toutes les aires occupées par les différents parlers amazighs. Les premiers textes ont paru sous le 2 titre de «Devinettes berbères». 2 Devinettes berbères, éditions du CILF (Conseil International de la Langue Française) ; Paris, 1986. Avec le concours de la Fondation de France.
INTRODUCTION
Mon père :« Une énigme est semblable au papillon qui se pose sur une fleur au printemps. »(TamsaHreqt am ufeôîeîîu irsen af ujeooig di tefsut.)Autrefois, jouer aux énigmes et aux devinettes était une occupation quotidienne. Le soir, autour du foyer, les enfants jouaient aux énigmes. Ce jeu entraînant et vivifiant ne laissait personne indifférent et ce que l’on soit jeune ou plus âgé. Les enfants jouaient donc souvent sous les encouragements de leurs parents et de leurs grands-parents. Les énigmes et les autres pans de la littérature orale permettent aux enfants, grâce au jeu de langue, un apprentissage et une maîtrise de leur langue maternelle. Surprendre par son intelligence et sa maîtrise de la langue. Étonner par les interrogations auxquelles on soumet les autres joueurs. Amuser par son sens de l’humour. Inciter à la curiosité en mettant en scèneà travers une énigmeun vécu qui touche de près ou de loin la famille. Transmettre en refaisant vivre toutes les situations possibles et imaginables qui touchent jeunes et moins jeunes. Cette pratique quotidienne de la langue maternelle a permis que les devinettes et les énigmes ne soient pas encore disparues du patrimoine oral. L’énigme permet de mettre en avant tous les sujets, des plus courants au plus inattendus. Il ne s’agit plus de jouer comme on le faisait pendant les veillées d’autrefois. Le jeu des énigmes doit entrer dans tous les environnements, y compris l’environnement scolaire pour exciter la curiosité des enfants et les sortir de l’ennui dans lequel les plonge 3 souvent l’école. Ce jeu fera ainsi œuvre utile. Sous les aspects les plus ludiques, il permettra aux enfants de se libérer du carcan des cours formatifs et souvent déroutants. C’est une façon nouvelle d’appréhender les apprentissages en permettant à l’enfant de jouer et de donner libre cours à sa fantaisie et à son imagination. Ilfaut qu’il renoue avec la 3  Notammentdepuis l’arabisation anarchique que l’Algérie s’était évertuée à imposer sans se soucier des problèmes que pouvaient rencontrer les enfants dans leur apprentissage des savoirs de base. 7
langue et la mémoire du patrimoine immatériel et universel de l’humanité.Mon père : «Le soir, quand je revenais de la vallée et que je rentrai au village dans la montagne, j’entendais des rires d’enfants fuser ici et là. Je savais alors qu’ils étaient en train de jouer aux énigmes...»(Mi-d ppu$ale$ seg’Wza$ar ar taddart deg iv, selle$ i tavsiwin n warrac ppfeggivent-ed ssya w-ssya. S wakken i êsi$ belli puraren timsaHraq...).
4 1Du nom des énigmes
Selon les différentes localités kabyles, une douzaine de termes sont employés encore aujourd'hui pour désigner les énigmes. Je les donnerai dans l'ordre de leur fréquence : 1 -TamsaHreqt (pl.timsaHraq, timsaHraqin, timesHerqin) : « celle qui égare », du verbeaHreq« s'égarer », « échapper(s) », « se : tromper », « ne pas deviner », « disparaître », « cacher », « ne plus se rappeler ». 2 -Tamsefrup(pl.timsefra) : « celle qui explique » du verbeefru: « expliquer », « résoudre », « terminer », « séparer les belligérants », « ramener la paix » (tifrat= paix), « trier ». 3 -Asefru désigne également le poème ou une composition rimée chargée d'un sens ésotérique à l'attention des esprits sagaces. Du verbessefru« démêler », « expliquer », « expliciter », : « spécifier », « dire un poème », « s'adonner à la poésie ». 4 -Taqnuét(masc.aqnué, pl.tiqwnaé,iqwnaé) est à l'origine, un jeu de dames dans lequel deux joueurs déplacent 24 pieces (12 x 2) sur un plateau (une pierre plate) carré, divisé en 144 cases. Nous l'avons trouvé sous le nom detiddas et dedammadamina ?), verbe (lat. qwennez: « jouer aux dames », « gagner la partie ». Qqunneé « donner sa langue au chat » (au jeu des énigmes) et Squnneé « faire donner sa langue au chat » (toujours au jeu des énigmes) sont les formules qui permettent au sphinx d'additionner des « points d'échec »(iqwnaz).Aqnuéc'est le point, c'est une partie
4 Pour plus de détails, cf. Y. Allioui,Un grain sur le toit - Aâqqa af ssqef - Enigmes et sagesses berbères de Kabylie, L’Harmattan, Collection « Présence berbère », 2012, p. 406. 8
5 gagnée. À ne pas confondre avecaqennuéqui signifie « embarras », « gêne », « complication », « boule dans la gorge » (angoisse : « il m'a laissé dans l'embarras »(yeÿooa-yi-d aqennué). Cela signifie aussi « grumeaux », « bosse », « grosse bouchée », « boule », « boulette ». 5 -Tamesbbibbit(pl.timesbbibbay) qui est 1'origine également d'un tout autre jeu d’enfants et d’adolescentsles joueurs (jeunes des : deux sexes) font cercle accroupis. Ici, le sphinx s'appelle « le hibou » (bururu), car il a les yeux bandés. Chacun des joueurs choisit un nom d'animal. Le jeu consiste à transformer sa voix de façon à ce que le « hibou » ne la reconnaisse pas. S'il reconnaît « l'animal » ou «l’oiseau » qui vient de parler, celui-ci le remplace en portant à son tour le bandeau du hibou, non, sans avoir auparavant porté « le hibou » sur le dos (ibbibbi) d'où le nomtamesbbibbit« celle (jeu) où l'on se porte sur le dos ». Il est aujourd'hui un simple jeu d'enfants qui consiste, à « se porter sur le dos »(timbibbit). Dans le jeu des énigmes, on retrouve le verbe bbibbdans plusieurs formules : « Je te charge ! »(A-k sbbibbe$ !), dit le sphinx à l'un des joueurs qui donne sa langue au chat. « Je donne ma langue au chat ! »(Aqnué !)L’Oedipe ajoutera: « Charge-moi ! »(Sbbibbi-yi !). Le sphinx dit, par exemple : « Porte-moi jusqu’à Bougie des ancêtres». 6 -TamHayt(pl.timHayin), c'est l'histoire plaisante, l'anecdote à sens amusant ou moral ; une parabole, un proverbe ou une mésaventure : « J'ai vécu une mésaventure »(Tevra fell-i temHayt). 7 -Taqsiî (pl.tiqsivin)en fait la petite histoire, l'anecdote est amusante, le court récit (de l’arabeelqissa ?). 8 -Tamacahup(pl.timucuha), c'est le conte, l’histoire merveilleuse qui par extension s'applique aussi à l’énigme. Par le masc. (amacahu) on désigne aussi, selon mon grand-père, « le mythe » (izri).A-macahu !« Ô conte ! Ô mythe ! » (cf. n° 158) est la formule pour annoncer le commencement d'un conte ou d'une énigme qui signifie « il était une fois ». 9 -Tamacahup usefru (pl.timucuha usefru) ou encoreasefru n tmacahup(pl.isefra n tmacahup) sont les structures sous-jacentes qui forment la combinaison du 3 et du 8 ci-dessus qui, littéralement, veulent dire « conte de poème » (conte rimé) et « poème de conte » 5 Les géminées donnent toujours un mot ou un verbe de sens différent en kabyle. Sewboire ; : Ssewirriguer. : Taxlalt : allumette ;taxellalt : couverture ;tisula : tradition et littérature orales ;tisulla: herbe comestible. 9
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