La mère et les poisons
148 pages
Français

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Description

Les histoires d’amour de transfert commencent mal en général… Mais elles peuvent avoir la vie dure. Donc une chance de métamorphose. Et une chance d’échapper à la malédiction dont nombre de psys les menacent : il faudrait liquider le transfert. Comme on liquide une dette ou un témoin gênant. Il y a pourtant moyen de se débarrasser de la matière solide un peu lourdingue, et quelquefois très encombrante, en zappant l’élément liquide intermédiaire, et d’accéder direct à quelque chose de plus léger, plus éthéré, qui vous ferait croire au ciel : l’étonnant processus dont Freud a emprunté la métaphore à la physique… la sublimation. Mais pourquoi faudrait-il tarir cet épanchement, plutôt que le laisser suivre son cours et se répandre, irriguer les voies souterraines et féconder les profondeurs où se font les enracinements ? Peut-être rejaillira-t-il en résurgence… où d’autres amours s’abreuveront, comme il s’est lui-même abreuvé au sein et au regard qui ont versé en nous la faculté d’aimer.
« L’on n’aime bien qu’une seule fois, c’est la première »… dit La Bruyère. Cette expérience princeps étant le lien filial, tout amour n’est-il pas transfert ? Et sa répétition n’aurait-elle pas, comme au théâtre, une fonction d’approfondissement, d’exploration ? Ne se peut-il qu’en tout attachement se fasse jour, en perfectible apprentissage, ce qui unit la créature au Créateur ?
Peut-être l’expérience d’aimer fixe-t-elle moins note âme en une cristallisation stendhalienne qu’elle ne scande nos états de conscience en une sorte de cristal de temps… ?

Informations

Publié par
Date de parution 07 juin 2017
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312051864
Langue Français

Extrait

La mère et les poisons
S.L. Francesca Pesci
La mère et les poisons
(résurgences et métamorphoses du lien filial en amour de transfert et de contre-transfert)
LES EDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Editions du Net, 2017
ISBN : 978-2-312-05186-4
Quand je connaîtrais tout des langues étrangères,
Quand je saurais prévoir, prédire et deviner,
Quand les sciences m’auraient livré tous leurs mystères,
Je n’aurais rien appris si je ne sais aimer.
D’après St PAUL ( Première Epître aux Corinthiens )
« Pas plus que dans la mort, qui est difficile, dans l’amour, lui aussi difficile, celui qui va gravement n’aura l’aide d’aucune lumière, d’aucune réponse déjà faite, d’aucun chemin tracé d’avance. Pas plus pour l’un que pour l’autre de ces devoirs que nous portons, cachés en nous-mêmes, et que nous transmettons à ceux qui nous suivent sans les avoir éclaircis, on ne peut donner de règles générales (…) Les exigences de cette redoutable entreprise qu’est l’amour traversant notre vie ne sont pas à la mesure de cette vie et nous ne sommes pas de taille à y répondre dès nos premiers pas. Mais si, à force de constance, nous acceptons de subir l’amour comme un dur apprentissage, au lieu de nous perdre aux jeux faciles et frivoles (…) – alors peut-être un insensible progrès, un certain allègement pourra venir à ceux qui nous suivront et longtemps encore après nous. »
R-M. RILKE ( Lettres à un jeune poète )
« Il n’y a de science que de la métaphore. »
Frédéric JOLIOT - CURIE ( Communication orale)
En réponse à Geneviève Jurgensen
qui m’avait suggéré de légender cette photo…
Et en reconnaissance aux passeurs que vous êtes,
Lucie Guignabert , Mme Béatrix Dussane ,
Marie - Renée Guyard , Marie May , Nina Kagansky ,
André Schwarz - Bart , Jacques Pohier ,
Dr André Green , Pr Serge Lebovici , Mme Colette Jeanson .
À Jean , à Francesco , ma gratitude pour votre présence qui demeure.
Chapitre I
Renaître, oh renaître !
Naître…
N’être plus…
Naître plus !
N’être plus que naître…
C’est à ta mort que j’ai commencé de t’écrire. A chacune de tes morts. Parce que je savais bien que tu finirais par renaître. Puis que tu mourrais de nouveau. Et que tu renaîtrais encore, sans que je puisse jamais ni te garder ni t’oublier.
J’aurais pu mourir moi aussi. Mais j’étais la seule à savoir que tu finirais par renaître. Toi-même tu l’ignorais. Chaque mort était pour toi unique, définitive, si présente que le monde autour de toi prenait ton deuil, et que si j’étais morte aussi plus rien de toi sans doute ne fût resté vivant.
Mourir. Verbe actif. Ne prend qu’un seul r, comme courir. Parce qu’on ne meurt qu’une fois. C’est ce qu’on m’enseignait à l’école… Pourtant tu mourais si souvent. Et moi, quand j’essayais de mourir activement (un deux trois j’me mets à mourir, j’arrête de respirer, faut qu’ça dure trois minutes, seulement trois minutes on m’a dit, et ça y’est on est mort), je n’y arrivais jamais aussi facilement qu’à courir. Alors à la récré, après avoir échoué à mourir activement dans un coin du préau ou au fond des vestiaires, je sortais dans la cour pour courir avec les copines.
Tu mourais. Et presque toujours de mort subite, inexpliquée. Le silence et le froid s’emparaient soudain de tes gestes, de ton visage, de ton va-et-vient quotidien, et tu n’étais plus pour les tiens qu’un corps sans âme. Tu regardais sans voir. Tu restais sourde à tout appel. Ta présence en devenait étonnamment pesante, incontournable. Elle faisait de notre maison une sorte de chapelle ardente à la mémoire d’on ne sait qui. Cela pouvait durer quelques heures, quelques jours… Ou bien des semaines ou des mois.
J’attendais. Que pouvais-je faire d’autre que d’attendre. J’enviais les enfants morts. J’enviais ceux qui allaient mourir, dont on disait il est perdu, et envers qui l’on redoublait d’attention, de sollicitude. J’enviais les enfants qui pleuraient. Ceux qui pouvaient pleurer, qui n’avaient pas perdu l’espoir qu’on les plaigne et qu’on les console. Moi je n’aurais pas pu donner à mon chagrin le cours navigable des larmes. On peut pleurer ses morts quand on ne les veille plus. Tu n’en finissais pas de me donner en toi une morte inconnue à veiller. Et ce deuil n’était pas le mien.
Ma mère, mon enfant errante,
Ma mère enfant perdue aux limbes d’outre soi,
Ma mère à qui je suis la mère d’autrefois
Née pour n’être à tes yeux qu’absente ;
Ma source que la mort a trop tôt saturée
De sa jacente image, où j’ai dû rencontrer
Tant de désastre humain, qu’ai-je eu à voir en toi,
Qu’ai-je eu donc à voir avec toi
Qui m’eût épargné ta tourmente ?
Je ne suis que de n’être pas
Celle dont l’absence te hante ;
Et je ne nais à toi que de ne naître pas
Présente à cette mort que je te représente.
Mon enfant, ma mère vacante,
Que patiemment je ré enfante,
Que je nourris de mon attente
Et que je fais revivre en mon altérité ;
Comment t’arracher à la mort
De la mère en toi morte, en toi inarrachée
A l’absence de l’enfant mort,
Sans me déchirer de ton corps,
Me déraciner de ton sort
Et m’attacher
A demeurer ?
Je veillais. Qu’aurais-je pu faire d’autre que veiller. Parfois il m’arrivait de me pencher en douce à la fenêtre arrière de l’immeuble, le temps de constater la présence rassurante du ciment désert de la cour une vingtaine de mètres plus bas. Si jamais c’est trop dur, trop long…
Plus tard, adolescente, je sortais de nuit dans les rues. J’y marchais au hasard, écrasée de chagrin. J’aurais voulu crier aux passants inconnus : « Qui est-ce qui veut m’aider, m’aimer… » Mais puisque je savais que tu finirais par renaître, comment aurais-je osé t’être infidèle, t’enfermer dans ta mort, douter que l’hiver ait une fin ? L’épreuve n’était-elle pas justement dans la certitude que toujours le printemps finirait par vaincre l’hiver, mais qu’un nouvel hiver succéderait au printemps, sans que l’on puisse savoir ce que dureraient l’un et l’autre ?
Plus de vingt ans durant, nuit après nuit, rêve après rêve, j’ai continué d’errer dans ma propre mémoire à la recherche de cette morte qui t’avait ainsi si souvent appelée à elle, d’une voix si pressante et souveraine que si j’en étais morte aussi tu ne t’en serais pas même aperçue. Plus de vingt ans mes nuits ont été hantées par le blanc. Couleur du candidat , comme dit Alain Gheerbrant, de celui qui s’apprête au rituel de passage. Couleur aussi du deuil d’enfant. Couleur d’aube enfin cependant. Lorsque ma deuxième fille a atteint ses trois ans et que sa petite sœur est née. Trois ans. L’âge exact que tu avais toi, deuxième fille de ta fratrie, quand ta mère s’est remise à vivre en donnant le jour à ta sœur. Sa troisième fille réitérée. L’enfant de remplacement, comme on dit. Celle qui avait été conçue dans le deuil de ta petite sœur précédente, et née juste le jour de ton troisième anniversaire. Faisant renaître enfin ta mère. Pour elle plus que pour toi.
La neige recouvre tout. Les trottoirs, la chaussée, les arbres et les toits. Les façades des immeubles. Les fenêtres. Le ciel est pesant. Peut-être même n’y a-t-il plus de ciel. Plus d’échappée. Une sorte de grande boîte muette. La pénombre. Pas un bruit. Pas un piéton. Une circulation dense et silencieuse. Comment traverser ? Pas un signal, pas un agent. La neige a effacé les passages protégés. En face, dans la lumière, le cimetière que l’hiver épargne toujours, le cimetière tout couvert de feuilles mortes et de chrysanthèmes, plein de reflets dorés… Donne-moi la main, dit-elle, ils vont bien s’arrêter.
Elle s’élance la première et enfonce ses pieds dans la neige avec application. Aussitôt les voitures s’arrêtent. Pas moyen d’y apercevoir un conducteur, elles sont comme téléguidées. Elle se retourne. « Donne -moi la main. Tu vois, tou

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