La transgression verbale en Océanie
129 pages
Français

La transgression verbale en Océanie , livre ebook

-

129 pages
Français

Description

L'auteur étudie le maniement des insultes en tahitien et en nengone, langue mélanésienne parlée en Nouvelle-Calédonie. La parole interdite doit pour exister emprunter des codes qui trouvent leurs origines dans des valeurs profondément ancrées dans ces sociétés .Peut-on se moquer impunément de quelqu'un ? De quoi et de qui se moque-t-on dans ces îles du Pacifique ? Les hommes et les femmes s'insultent-ils de la même façon ? Ces paroles interdites le sont-elles vraiment ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2010
Nombre de lectures 100
EAN13 9782296243705
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

REMERCIEMENTS

Nos remerciements vont tout dabord au Professeur Michel
Aufray, qui a accepté de diriger notretravail etqui nous a
donné goûtà la littérature orale età la linguistique de lOcéanie.
Ses précieux enseignements ressortentnaturellementdans cet
ouvrage.
Nous sommes redevable de Mirose Paiavahine, de Tiva,
Tahaa, Polynésie française. Ce travail naurait pu être mené à
bien sans son apprentissage consciencieuxde la langue
tahitienne.
Nous adressons nos plus vifs remerciements à tous nos
informateurs tahitiens, nengone et drehu et notamment à Irmine
Teheivahine, de Papeete, pour avoir apporté des réponses
précises à nos interrogationsainsi quà S.Bearune, de Cerethi,
Maré, Nouvelle-Calédonie et àF. GuietWahea. Ces dernières
personnes ont toujours suse montrer disponibles pour nous
apprendre certainstraits de leur culture etde leur langue etpour
répondre à nos questionnaires denquête.
Nous remercions enfin toute «la bande» de la section
océanienne des Langues O. Tous ces camarades nous ont initié
à un monde situé auxantipodes du nôtre. Nous tenions
également à remercier Laurent Nevers,Frédéric Thomas et
Pierre-Yves Toullelan pour nous avoir dispensé de riches
enseignements sur la géographie etlhistoire de lOcéanie,
Esteban Magannon et Wamo Haocasqatrpour nous avoir
inculqué de précieuxsavoirs sur laire austronésienne pour lun,
et sur la pensée lifou et mélanésienne pour lautre.

PREFACE

Sil mavaitété donnéun jour la perspective de présenter
une étude sur latransgressionverbale en Océanie, le premier
terme qui me serait venuà lespritauraitétéune grossièreté en
langue pijé dunord de laNouvelle-Calédonie «canak! » Quoi
de plus normal dintroduire une étude sur linsulte en Océanie
par une interpellation directe liée à la représentation du sexe
féminin.

Quoi de plus normal de découvrir ce qui est le sens caché
des choses que la société enveloppe sous les oripeauxde la
bienséance. Car ce qui est dit ici nest que le reflet de ce que
nous sommes, le produit dune expérience, dune histoire, dun
mythe que letemps aura forgé dans la parole. Depuis les
premiers pas de lethnologie, on apprend à structurer les
groupes humains par létude de ses caractères sociauxet
culturels. La langue faitpartie intégrante des facteurs
structurants des individus, aussi lanalyse proposée par
Monsieur Justervientdans le droitfil des courants développés à
la fin du: eXXe sièclethnomusicologie, ethnobotanique,
ethnolinguistique

En abordantla société sous langle de lethnolinguistique,
lauteur offre à la linguistiqueune place de choixdans lanalyse
complexe des attributs socioculturels des collectivités
humaines. Lavaleur de lexposétientaussi sur deuxpoints
remarquables : la méthodologie etlathéorie.

Lapproche méthodologique proposée partdansun premier
temps de lanalyse de documents darchives produits etles
confronte à lavision océanienne contemporaine de la parole. Là
oùla compilation de perspectives ethnologiques strictes

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napporte parfois quune vision sèche de la parole, la tradition
orale lirrigue de la temporalité des groupes insulaires. Cest de
cette temporalité que lauteur part pour évoquer les stratégies de
paroles qui en découlent. Les exemples proposés sont nombreux
et proposent des analyses (lexicales ou de syntaxe) issues dun
corpus recueilli en partie par lauteur en langue nengone(Maré,
Nouvelle-Calédonie) eten languetahitienne (Iles de la
SociétéPolynésie française).

Pour des communautés encore fortementimprégnées de
loralité, il auraitété inconcevable de ne pas prendre en compte
la dynamique de création dans laquelle la parole inscritson
groupe. Le cadre formel dans lequel latradition orale « fige » le
discours na devaleur que letemps oùla société les reconnaît
comme référence historique oumythique.

Ce rapportaumythe setraduitégalementdans linterditposé
par le groupe social qui, àun momentdonné, codifie dans
lexpression orale sa représentation dusacré «hmi» en
nengone et«moà» entahitien. Latransgression de cette parole
figée etsacrée faitapparaître en jeude miroir dautres règles
assujettissantle propos interdit«hmijoc» en nengone et
«tapu» entahitien.

Ici, linsulte correspond àune manifestation de déséquilibre
dun ordre établi. Elle englobe lindividudansune pratique
langagière mettanten jeule collectif dansune norme sociale,
environnementnaturel etmystique des ancêtres. Là oùlusage
codifié de la parole-ciment-social renforce les groupes dans des
pratiques fixantlordre moral, linjure meten exergue les
travers de la société augrand jour etrévèle les avatars de ses
représentations canoniques. La portée des mots dans ce contexte
estparticulièrementrévélatrice dupoids que peutprendreune
parole injurieuse dans cetype de société.

Cestlàun des arguments majeurs quapporte cette étude
aux théories actuelles sur la prédominance dumodèleunique de
pensée. Ici, linjure joueun rôle de catharsis etpermetdouvrir

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grand les brèches dune réflexion ethnocentrique. Tant il est
vrai que par linsulte, lindividu place son propos en dehors des
normes convenues.

Les caractéristiques physiques, comportementales, mais
également sociétales sont ainsi parfois décriées pour permettre
dasseoir la légitimité de celui qui dit linsulte. Là où une
tension peut sériger en obstacle social, linjure se transforme
alors en jeu de mot ou joute verbale et permet de larver des
conflits mineurs. Linvective peut ainsi constituer à un certain
degré un outil de médiation dans un rapport de force entre les
individus. Cette relation met aussi en exergue la place de
lauditoire qui participe même de manière indirecte à
létablissement de ce type de rapport. Car, pour tous, loutrage
na dintérêt que s'il est entendu. Mais entre lexcès de cette
parole chaude etcelle plus fraîche exprimée sous leton de la
plaisanterie, il nya quun écartde langage que les Océaniens
sontprompts à franchir.

Cestlàtoutlintérêtde cetype de recherche oùlauteur fait
la partbelle auxexpressions quotidiennestantquauxpratiques
dusage rituelles liées auxcoutumes des populations. Il pose
une oreille critique surun genretrop souventméconnude la
littérature orale. La recherche sur lestraditions orales (etles
sciences sociales) en Océanie etparticulièrementsur
lexpression des pratiques langagières classées sous levocable
dinsulte reste peuprolixe. Etpourtant, lexpression de la
grossièreté des groupes humains faitapparaître en filigrane la
projection en négatif que la société se faitdelle-même : inceste,
mauvaise odeur,traits physiques excessifs etanimalisation de
lindividu.

Lavulgarité etsa censure découlentdune même
dynamique. Lexpression même de linjure estparadoxalement
soumise à des codes qui lui permettentdexister etrevêtir des
formes adaptées aucontexte. Cetaspectestparticulièrement
explicité dans la dernière partie de lexposé lorsque lauteur
traite de la gestion etlutilisation des motstransgressifs. Il

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évoque ici le pacte socialtacite établi entre les individus depuis
la petite enfance oùlapprentissage de lobscénitéverbale est
confronté à sa censure ausein de la famille. Letraitementde
linsulte estensuite décritdans ses différentes formes:
euphémisme, substitution

Pour conclure, il est bon de rappeler que lusage de ces
termes en Océanie revêt un caractère particulier voir sacré. La
parole ici est perçue comme une continuité de lêtre, elle est
vectrice de la puissance des ancêtres, aussi les règles imposées à
lindividu peuvent être par métonymie celle régissant
lexpression orale. La bouche plus que lensemble des organes
humains cristallise ce rapport de puissance avec le cosmos. Le
souffle donne vie à lindividu et le trop-plein de parole induit un
rapport de force qui déstabilise la société.Cestce qui explique
que ces fluxde paroles soienten partie canalisés etclassés dans
des registres spécifiques. Linsulte est, à limage de certaines
armes de nos sociétés insulaires,un casse-tête phallique que
lon fait tournoyer audessus de nostêtes pour nous préserver du
n

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