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Description
Sujets
Informations
Publié par | L'Harmattan |
Date de parution | 01 mai 2007 |
Nombre de lectures | 155 |
EAN13 | 9782336268606 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Naissance et paradoxes du discours anthropologique africain
Samuel Same Kolle
Sommaire
Page de titre Page de Copyright Dedicace Introduction Première partie - Émergence et évolution du discours anthropologique africain (1920-1960)
Chapitre 1 - L’éclosion des pratiques discursives africaines dans l’entre-deux-guerres Chapitre 2 - La décolonisation : diversification et spécialisation du discours africain
Deuxième partie - L’inscription du discours africain dans l’anthropologie classique
Chapitre 1 - Conditions générales de production et d’émergence de discours Chapitre 2 - L ’ incitation à la production de discours sur soi Chapitre 3 - L’idéologie sous-jacente de l ’ anthropologie classique
Troisième partie - Impasses et paradoxes du discours anthropologique africain Conclusion Bibliographie Remerciements
@ L’Harmattan 2007
5-7 rue de l’École Polytechnique ; Paris 5 e www.librairieharmattan.com harmattan1@wanadoo.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr
9782296031913
EAN : 9782296031913
À la mémoire de mon père, le Révérend Pasteur Conrad Kollè
Introduction
L’apparition d’une tradition écrite et livresque est, chez les Noirs africains, une pratique relativement récente et une situation historique nouvelle. A travers celle-ci, les Africains entreprennent plusieurs types d’activités : politique, syndicale, culturelle, religieuse ou théologique, commerciale, scolaire, scientifique, etc., inscrites scripturairement dans des discours.
Nous intéresse ici le discours au moyen duquel des Africains vont tenter d’affirmer leur identité, d’analyser par conséquent l’organisation de leurs sociétés, de définir leur place dans une histoire désormais mondiale. C’est l’ensemble des préoccupations formulées autour de ces thèmes généraux que nous avons désigné sous la notion de discours anthropologique.
A côté, il a existé d’autres formes de discours, recoupant souvent le premier, mais dont le domaine d’expression était plus ténu. Nous pensons au discours à caractère théologique comme le sont les messianismes de Kimbangu au Zaïre, John Harris en Côte-d’ Ivoire, ou encore Thong Likeng au Cameroun. Nous pensons aussi au discours ayant un caractère plus politico-syndical, c’est celui des leaders africains de la première ou de la deuxième génération.
Durant la première période, celle de l’entre-deux-guerres, l’activité des leaders politiques négro-africains est autant politique que culturelle. En même temps que leurs orientations politiques, ces leaders essaient d’identifier les formes culturelles à adapter à leur action. La spécification des tâches n’était donc pas très nette ici. Aussi prendrons-nous leurs discours dans la masse informe sous laquelle ils se présentent à nous, en essayant d’y démêler ce qui relève du culturel et du politique, ou encore du syndical.
Pendant la seconde période de notre étude, celle de la décolonisation, les activités culturelles et politiques des leaders politiques, des militants, des étudiants et des intellectuels africains sont mieux partagées. Certes un leader politique comme Sedar Senghor est également en même temps un leader de tendance culturelle. Mais en général, les leaders politico-syndicalistes comme Houphouët-Boigny en Côte-d’Ivoire, Ruben Um Nyobe au Cameroun, ou Sekou Touré en Guinée, agissent maintenant dans un domaine d’élection beaucoup plus politique et empiètent de moins en moins sur le domaine proprement culturel.
Ce discours prolifère donc aujourd’hui dans toutes les institutions ; il est entretenu dans les universités, les instituts et centres de recherche, les colloques et conférences, des réunions et festivals nègres, à travers des thèmes diversifiés. Il s’agit par exemple d’établir la monographie de tel village, de parler de la polygamie dans les sociétés montagnardes, de découvrir et d’étudier des mythes de telle ethnie bantoue ou peule, ou de problèmes de développement rural ou urbain, du processus d’intégration des femmes dans le développement, du mariage, de la dot, etc. La liste, loin s’en faut, n’est pas exhaustive. Ces problèmes constituent le lot général autour duquel tournent, à quelques exceptions près, les études des intellectuels, universitaires, chercheurs et étudiants africains des disciplines citées plus haut.
Ces discours scrutent en général les sociétés africaines, posent et tentent de résoudre des problèmes sans doute pertinents, interrogent des situations qui font problème. Aussi la tendance normale consiste-t-elle, pour peu qu’on se soit intéressé aux problèmes ou à la situation actuelle des sociétés africaines, à prolonger ce type de réflexion.
En l’occurrence, toute cette activité intellectuelle est au moins révélatrice d’un problème. Les sociétés africaines souffrent d’un mal dans leur rapport à la modernité, figuré par les difficultés d’insertion ou d’intégration de ces peuples, et qui est, dès son origine, contemporain des discours qu’on tient sur lui. En d’autres termes, la sociologie, l’ethnologie la littérature ou la philosophie africaines surgissent dans un contexte historique précis, caractérisé par les rapports difficiles des sociétés africaines à la colonisation plus spécifiquement.
Le cadre historique dans lequel nous inscrivons notre analyse est délimité d’une part par la période au cours de laquelle ce discours éclôt en tant que phénomène sociologique, c’est-à-dire à partir des années vingt. Nous en suivons donc l’évolution jusqu’à l’avènement de l’une des revendications principales qu’il avait inscrites dans ses objectifs, les indépendances africaines des années soixante.
Un fait parcourt ce discours pendant toute cette période, c’est le désir de définir une identité africaine, de se l’approprier, et partant, d’acquérir une réelle souveraineté politique. Ces deux dimensions semblent à l’évidence fondamentales pour toute société et tout être humain en quête de son passé, de son histoire, de soi. Pourtant, parallèlement à ce désir se noue un paradoxe aux effets non apparents, mais particulièrement insidieux. Au moment même où les Africains, mus par leur désir de se réapproprier leur identité et leur souveraineté, entreprennent d’articuler ce désir sous une forme discursive, s’opère en effet progressivement un processus d’intériorisation des catégories idéologiques qui déterminent et délimitent les cadres de ce même discours. Ce phénomène nous semble assez important pour que nous nous y arrêtions un instant, quoique abonde à son sujet une importante littérature.
La colonisation tout d’abord ; elle met en présence l’Occident, fier de sa supériorité technico-militaire qui veut se subordonner une Afrique des Nègres et du mystère. L’Europe tient son carnet de chasse, compte ses victoires et ses pertes provisoires, ses surfaces acquises et ses Nègres, mais surtout avance inexorablement. Et l’Afrique compte ses résistances, ses révoltes passives ou actives, ses pertes généralement définitives, mais surtout, partout, elle recule, vaincue.
Victorieuse, l’Europe entreprend de placer l’Afrique vaincue sous ses fourches caudines, de l’administrer, de mettre ses populations à contribution. Pour ce faire, elle doit l’identifier ou en expliciter et définir certains aspects, relativement à ses préoccupations pragmatiques propres. Parallèlement naît chez l’Africain, à la suite des préjudices et vicissitudes subies, ce désir dont nous parlions plus haut, de réappropriation de l’identité et de la souveraineté perdues. C’est ici que se tisse le paradoxe. Ce désir naissant s’articule dans des cadres délimités par des préoccupations pragmatiques de l’Occident. En d’autres termes, il se produit une subversion du désir africain, dans la mesure où celui-ci vient s’inscrire dans un ordre symbolique autre, constitué par le discours anthropologique classique occidental. Cette subversion se traduit par une « auto-intériorisation des règles oppressives », une idéologisation qui permet à l’Occident de « s’assurer l’hégémonie, c’est-à-dire d’exercer son pouvoir sur l’ensemble de la société et de faire admettre par toutes les classes dominées (ici africaines) la légitimité de leur subordination. L’idéologie, explique ainsi Jean-paul Dollé, c’est l’arme du consentement : je suis battu, cocu, et je suis content. » 1
Cela veut dire qu’en même temps que les Africains articulent par le discours le désir de libération qu’ils éprouvent, ils intériorisent inconsciemment ou non des règles ou des lois, des procédés et méthodes qui circonscrivent tous les horizons de ce désir et vont surtout jusqu’à le faire coïncider avec les