Penser la sexualité des personnes âgées

Alexander María Leroy

Description

La sexualité et la vieillesse sont incompatibles dans les représentations sociales. L'étude du répertoire commun que constituent les films des studios Disney l'illustre bien. Mais qu'en est-il dans les représentations des professionnels de la gérontologie ? En utilisant la méthode des témoignages écrits, ce travail tente de décrire le regard des soignants d'EHPAD sur la question. Sous la plume de ces professionnels, la sexualité cesse d'être impensable parce qu'elle est une réalité.

Sujets

• Vieillesse
• Sexualité
• Sociologie
• sexualité
• Sexualité

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 04 février 2020
• Nombre de lectures: 5
• EAN13: 9782336892924
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

Couverture
4e de couverture
Dernières parutions
Logiques sociales
Collection dirigée par Bruno Péquignot

En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si la dominante reste universitaire, la collection « Logiques Sociales » entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l’action sociale.
En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d’un terrain, d’une enquête ou d’une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques.

Dernières parutions

Gilles VIEILLE-MARCHISET, La conversion des corps , 2019. Aurélie NETZ, Les Cercles de Femmes, Ritualiser l’identité de genre dans les spiritualités alternatives, 2019.
Roland GUILLON, La question sociale face à la globalisation , 2019.
François SICOT (coord.), Les parcours de soins en psychiatrie au prisme d’une analyse sociologique, 2019.
Nicole LUCAS et Danielle OHANA, Ces Françaises venues de l’Est , 2019.
Régis LAURENT, Du traumatisme des camps à la naissance d’une nouvelle institution. Idéologies, minoritaires et pentecôtisme tsigane en Bretagne tome I , 2019.
Régis LAURENT, Les usages sociaux des pentecôtistes tsiganes. Idéologies, minoritaires et pentecôtisme tsigane en Bretagne tome II , 2019
Suzie GUTH, Roland PFEFFERKORN (dir.), Strasbourg, creuset des sociologies allemandes et françaises , 2019.
Séverine COLINET (dir.), Soin, éducation et formation au prisme des cultures , 2019.
Claude GIRAUD, Consentir, adhérer, s’opposer. Contribution à une sociologie de l’engagement , 2019.
Lucie France DAGENAIS, L’art à Vienne et l’unité de l’empire (1897 à 1905) , 2019.
Titre


Alexander María Leroy




PENSER LA SEXUALITÉ DES PERSONNES ÂGÉES
*
De Disney à l’EHPAD du XXI e siècle
Copyright

Du même auteur

Amy Winehouse – Une idole brisée , L’Harmattan, 2012.























© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-89292-4
Dédicace


À ma mère et à sa mère pour leur héritage : l’amour de la connaissance et le goût de sa transmission…
A vant de commencer, il me semble pertinent de me présenter. Ou plutôt, d’indiquer, brièvement, quelques éléments me concernant qui ont un intérêt dans le cadre de cet ouvrage. Ingénieur social et doctorant en sociologie, je suis membre d’un laboratoire universitaire normand affilié au CNRS (le Centre National de la Recherche Scientifique) : le Centre d’Étude et de Recherche sur les Risques et les Vulnérabilités (CERReV). Mon domaine de recherche principal, depuis maintenant plus de dix ans, est la sexualité que j’aborde, généralement, sous l’angle des représentations socioculturelles. Une spécialité qui me conduit aussi bien à intervenir au sein de structures du secteur sanitaire et social, comme consultant ponctuel ou habituel, que pour l’académie d’Orléans-Tours où je suis missionné par l’Éducation nationale dans le cadre de l’éducation à la santé et à la sexualité en sus de mon activité de professeur de lettres.
Le présent travail a été réalisé sous la direction du Professeur Didier Le Gall (département de sociologie de l’Université de Caen), qui d’ailleurs me fait l’honneur d’encadrer tous mes travaux de recherche. Il a été réalisé en 2015 alors que je terminais un master en management, hygiène et qualité des soins en gérontologie à l’Institut d’Administration des Entreprises (IAE) de Caen (une école universitaire de management).

Alexander María Leroy
CHRONOS VAINQUEUR D’ÉROS
* * *

I l pousse la porte de la salle de bain. Derrière le rideau de la baignoire, il distingue une silhouette. Inquiet, il reste immobile tandis que le rideau s’ouvre lentement. C’est une jeune femme qui apparaît. Malgré l’étrangeté de la situation, son angoisse s’envole immédiatement. Le désir monte en lui pendant que la jeune femme se redresse et s’avance.
Elle lui offre son corps nu. Un corps conforme aux attentes érotiques de ce temps. Il s’approche d’elle, bouillonnant de désir. Elle entoure son cou de ses bras. Il l’enlace et l’embrasse. Sa satisfaction transparaît dans ses mouvements. C’est à ce moment que ses yeux se tournent vers le miroir situé en face de lui. Dans la glace il voit que le corps désirable de la jeune femme est devenu celui d’une vieille. C’est un corps délabré, couvert d’escarres. Épouvanté, révulsé, il recule sans pouvoir se détourner de cette vision horrible…
Cette scène du film Shining , réalisé par Stanley Kubrick en 1980, ne possède pas une importance particulière dans l’histoire, ni dans l’Histoire du septième art non plus. Pour autant, elle présente un réel intérêt. Elle est en effet l’occasion de signifier combien la chose la plus incompatible avec Éros, loin d’être Thanatos comme la logique (et la psychanalyse) pourrai (en) t le laisser penser, est bien plutôt la vieillesse. Chronos est donc celui qui terrasse Éros : le temps détruit la désirabilité. Or, sans désirabilité, la sexualité devient résiduelle, sinon inappropriée.
Certes, tout ceci n’est qu’affaire de représentations : dire que la vieillesse est privée d’érotisme n’a rien d’un constat objectif, l’érotisme n’existant pas en soi. Mais c’est une réalité sociale. Le désir est généré par des codes sociaux et lié à des représentations culturelles 1 . Et dans l’Occident actuel, la vieillesse, si elle n’est pas nécessairement perçue comme une ignominie, si même elle peut être valorisée sur certains plans, est considérée comme incompatible avec la désirabilité et plus largement comme incompatible avec la sexualité 2 .
Découlant de ces représentations sociales faisant de la sexualité et de la vieillesse des antagonistes, un tabou existe (mais c’est peut-être du tabou que découlent les représentations : la question mérite d’être posée, mais ce n’est pas celle qui sera traitée dans ce travail) qui incite à ne pas évoquer, à ne pas même envisager la sexualité des vieilles personnes 3 . Pourtant cette sexualité existe. De plus en plus, et ce possiblement du fait de l’augmentation constante de la population dite âgée et de l’allongement permanent de l’espérance de vie qui la rendent moins aisément dissimulable, elle est introduite dans les discours. Pas seulement ceux des gériatres et gérontologues, mais aussi ceux du ‘grand public’. En somme, la doxa admettrait progressivement cette réalité… Mais est-ce si vrai ?
Dans le discours, c’est avant tout le côté affectif qui paraît être mis en avant et devoir primer sur la vie charnelle des personnes âgées auxquelles il semblerait que le « droit à jouir sans entraves » ne soit pas reconnu si facilement qu’aux autres tranches d’âge. Admettre leur sexualité, certes. La banaliser ou même la valoriser : il ne faut pas exagérer. La parole se libère donc en apparence, mais l’approche de la sexualité des plus âgés ne se fait pas sans difficultés, sans réticences, sans persistances de préjugés tenaces. À une époque où ces personnes sont communément prises en charge dans des institutions, la question de la perception de leur vie affective et sexuelle se pose : leurs droits en la matière sont-ils respectés ? Peu importe le cadre législatif, qui est d’ailleurs bien discret sur le sujet, si les représentations des soignants, elles, n’évoluent pas. Mais probablement évoluent-elles… à force d’en parler. Est-ce si logique ? Comment la sexualité des vieilles personnes est-elle perçue dans le secteur de la gérontologie ? Qu’en disent les professionnels ? En quoi leurs représentations se démarquent-elles de celles du ‘grand public’ ?
En bref : Comment pense-t-on l’impensable, en gérontologie, en ce qui concerne la vie affective et sexuelle des vieilles personnes ?


1 M. Bozon, Sociologie de la sexualité , Paris, Armand Colin, 2009 ; J. Gagnon (traduit de l’anglais par M.-H. Bourcier et A. Giami), Les scripts de la sexualité – Essais sur les origines culturelles du désir , Paris, Payot, 2008

2 V. Caradec, Sociologie de la vieillesse et du vieillissement , Paris, Armand Colin, Domaines et approches, 2012

3 Dans cet ouvrage, l’expression « vieilles personnes » sera préférée