Pour elles toutes
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Pour elles toutes , livre ebook

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Description

Les luttes féministes et les luttes pour l’abolition du système pénal et de la prison sont souvent présentées comme antagonistes. Le présent ouvrage vise à délier ce nœud en explorant les formes de protection que les femmes peuvent (ou non) attendre du système pénal et en mettant en lumière les manières dont celui-ci affecte leur existence, qu’elles soient incarcérées ou qu’elles aient des proches en prison.
Le système pénal protège-t-il les femmes ? Que fait-il aux femmes qui y sont confrontées ? Faut-il inscrire les luttes féministes sur le terrain du droit ? En répondant à ces questions, Gwenola Ricordeau dénonce la faiblesse de la proposition politique des courants féministes qui promeuvent des réponses pénales aux violences contre les femmes. Critique du « féminisme carcéral », elle plaide pour des formes d’autonomisation du système pénal.
« Comprendre comment s’est tissée notre dépendance au système pénal est un travail long et minutieux. Il faut détricoter de ce côté-là pour pouvoir, de l’autre, tisser ensemble féminisme et abolitionnisme pénal. Parce que féministe tant qu’il le faudra et abolitionniste tant qu’il y aura des prisons. »

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2019
Nombre de lectures 13
EAN13 9782895967798
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Correspondance avec l’auteure:
gricordeau@csuchico.edu
Gwenola Ricordeau
Department of Political Science and Criminal Justice, California State University, Chico
400 West 1st Street
Chico, Californie 95929-0455
États-Unis
© Lux Éditeur, 2019
www.luxediteur.com
Dépôt légal: 4 e  trimestre 2019
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (PAPIER): 978-2-89596-313-4
ISBN (EPUB): 978-2-89596-779-8
ISBN (PDF): 978-2-89596-968-6
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition.

A VANT-PROPOS
M ON CŒUR SE SERRE avec elles toutes qui ne disent rien. Celles qui ne disent rien parce que ça ne se fait pas, parce que la police n’a rien fait la dernière fois, parce qu’on ne les a pas crues lorsqu’elles étaient enfants, parce que ce n’est pas si grave et qu’il avait peut-être le droit. Celles qui ne disent rien car elles savent qu’on ne les croira pas, car elles sont trop tox’, trop vieilles, pas assez jolies, pas assez sexy, trop grosses, trop handicapées, pas assez féminines. Celles qui ne disent rien car elles ont peur qu’on ne les croie pas, parce qu’elles n’écrivent pas assez bien, parce qu’elles ne sont pas blanches, parce qu’elles ne se souviennent plus très bien. Celles qui ne disent rien parce que c’est leur père, parce qu’il est policier, parce qu’il est riche et qu’il prendra un avocat, parce qu’il est français et qu’elles ne le sont pas. Celles qui ne disent rien parce qu’elles ont peur qu’on leur réponde qu’il n’y a pas idée de sortir la nuit, de sortir dans cette tenue, de sortir toute seule. Qu’il n’y a pas idée de boire, d’inviter un homme chez soi, d’aller sur un site de rencontres. Celles qui ne disent rien parce que «pourquoi le dire maintenant»? Celles qui ne disent rien car elles se demandent si ce n’est pas un peu leur faute, celles qui ne disent rien parce qu’elles l’aiment. Mon cœur se serre avec elles toutes qui ne disent rien.
Mon cœur bat à l’unisson avec elles toutes qui luttent. Celles qui manifestent, s’enchaînent, tractent, hurlent, se réunissent, pétitionnent. Contre les viols, les violences domestiques, les mutilations génitales, le harcèlement de rue, les assassinats, les viols conjugaux, les viols punitifs, les homicides conjugaux. Elles toutes dont on fait si peu de cas parce que ce sont des femmes noires, des prostituées, des femmes trans, des lesbiennes, des femmes autochtones, parce qu’elles sont ouvrières ou parce qu’elles portent le voile, parce que ce sont des femmes. Mon cœur bat à l’unisson avec elles toutes qui luttent.
Mon cœur est en prison avec elles toutes. Celles pour qui c’était écrit, depuis la rue, depuis la came, depuis le trottoir, depuis les fugues. Celles pour qui c’était écrit parce qu’elles ne sont pas nées avec les bons papiers, le bon prénom, la bonne couleur de peau. Celles pour qui c’était un accident, mais qui n’ont pas eu le choix. Celles pour qui ce n’était pas écrit si elles avaient choisi un autre homme. Celles pour qui ce n’était pas écrit s’il était resté. Mon cœur est dans les centrales et les centres de rétention, dans les cellules des mitards et dans les cellules de garde à vue. Mon cœur est en prison avec elles toutes.
Mon cœur est devant les prisons et dans les parloirs avec elles toutes. Celles qui attendent, celles qui sont fatiguées, celles qui sourient encore, celles qui sourient toujours, celles qui écrivent tous les jours, celles qui ont des frissons en pensant à leur premier parloir, celles qui râlent mais sont encore là, celles qui apportent le linge et envoient les mandats, celles qui ne reviendront peut-être plus, celles qui y croient encore et celles qui ne veulent plus attendre. Mon cœur est devant les prisons et dans les parloirs avec elles toutes.
Mon cœur les comprend elles toutes. Celles qui ne croient plus en la justice de leur pays, celles qui n’iront jamais voir la police parce que le Vél d’Hiv [1] , celles qui voudraient seulement que ça n’arrive pas à d’autres, celles qui préfèrent oublier, celles que la justice a laissées déçues, brisées, en colère ou malheureuses, celles qui ont pardonné, celles qui ont préféré écrire un livre, celles qui voudraient juste comprendre, celles qui diront toujours «la prison pour personne». Mon cœur les comprend elles toutes.

M ON CŒUR A SES RAISONS
L E JOUR OÙ LA PRISON a cessé d’être une abstraction pour moi, j’ai été convaincue qu’il fallait l’abolir. Ce n’est donc pas par un cheminement théorique, mais par les tripes, que s’est imposée à moi l’idée de l’abolition de la prison: je ne savais pas bien comment on pouvait s’y prendre – ni même si d’autres y avaient songé avant moi. J’avais une vingtaine d’années et je savais que j’allais y consacrer une partie de ma vie.
Dans les années qui ont suivi, j’ai découvert, émerveillée, les idées que désigne généralement l’expression «abolitionnisme pénal» et rencontré d’autres abolitionnistes, notamment grâce à mon engagement dans des luttes anticarcérales. Mon abolitionnisme n’a pourtant pas été totalement étranger à mon parcours féministe, dont la construction doit beaucoup à mon expérience d’avoir eu des proches en prison. J’ai pris conscience très tôt de vivre là une expérience de femme. Car si les prisons sont surtout remplies d’hommes, il y a, devant leurs portes, presque seulement des femmes. Et j’ai su très rapidement que ce sont elles qui, pour l’essentiel, assurent dehors les tâches de solidarité matérielle et émotionnelle qui sont nécessaires à la survie des hommes dedans . Mon parcours féministe a aussi été façonné par la réflexion que m’ont obligée à mener plusieurs événements plus ou moins dramatiques de ma vie. Cette réflexion découlait d’une question: quelles formes de réparation, de reconnaissance et de protection pouvais-je attendre du système judiciaire? J’ai été amenée à y répondre de diverses manières, à trois occasions au moins, puisque j’ai dû recourir au système judiciaire dans deux situations d’urgence et que j’ai pu choisir de refuser de le faire dans une autre. Pourtant, ces diverses expériences m’ont toutes laissée insatisfaite. En raison du caractère structurel des violences auxquelles j’ai été confrontée, qu’elles aient été interpersonnelles ou d’État, je savais pertinemment que rien n’avait été vraiment résolu – même si se défendre d’un homme et se défendre de l’État ont des implications fort différentes. J’ai donc été bien moins intéressée par l’idée d’user, sur le terrain judiciaire, de mon bon droit que de contribuer, sur le terrain politique, à la résolution collective des conditions qui avaient rendu possibles ces violences.
Je suis convaincue depuis maintenant une quinzaine d’années de la nécessité d’abolir la prison. Je connais donc bien l’étonnement que suscite fréquemment une telle position. Je sais aussi qu’une question ne tarde jamais à être posée: «Et les violeurs?» J’aime répondre, en particulier aux femmes, par une autre question: «Que pensez-vous de la manière dont ont été traités les cas de violences sexuelles dont vous avez eu personnellement connaissance?»
Je n’ai jamais obtenu une réponse simple. J’ai écouté des souvenirs et parfois des confidences. J’ai entendu de la rancœur, de la honte, des inquiétudes, de la tristesse. Chaque femme, à sa manière, esquissait le portrait d’un système judiciaire pas toujours juste et d’une justice des hommes à laquelle on n’est pas toujours sûres de pouvoir faire confiance. Parce que ces discussions confrontaient chacune à ses doutes, ses peurs, ses colères ou ses espoirs, il était difficile d’y mettre fin.
À TOUTES CES DISCUSSIONS INTERROMPUES, IL FALLAIT DONC UNE SUITE
Car les femmes servent, de plus en plus souvent, de prétexte pour justifier le durcissement des politiques pénales [1] , quand celui-ci n’est pas directement imputable aux mobilisations féministes, en particulier parce que les auteurs d’infractions à caractère sexuel sont, avec les auteurs d’attaques terroristes, la principale figure du danger que brandissent les défenseurs de ces politiques pénales. Or, l’échec des politiques mises en place jusqu’ici pour résoudre le problème des violences sexuelles est flagrant: l’ampleur du nombre de femmes qui ne portent pas plainte indique la faiblesse de la proposition politique des courants féministes qui promeut des réponses pénales aux violences sexuelles. D’ailleurs, le système pénal a-t-il jamais protégé les femmes? Quelle sorte de femme faut-il être pour avoir encore confiance dans le système judiciaire?
Des femmes sont en prison, certes en plus petit nombre que les hommes. Néanmoins, les conséquences sociales (en particulier sur les enfants) de leur incarcération sont plus importantes que dans le cas des hommes. De

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