Proust et les Juifs
168 pages
Français

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Proust et les Juifs , livre ebook

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Description

La peinture des Juifs occupe une place considérable dans La Recherche du Temps perdu. Ce qu'elle révèle d'ambigu, de blessé montre qu'une souffrance identitaire, liée à ses origines maternelles, existait dans l'âme de Proust. Une étroite parenté relie la souffrance juive à la souffrance homosexuelle. La représentation des Juifs chez Proust procède d'un rejet partiel et d'une condamnation implicite de deux réalités impossibles à assumer tout à fait socialement et qui n'ont été complètement acceptées que dans un univers littéraire.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 mars 2017
Nombre de lectures 36
EAN13 9782140032905
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre

Marie-Françoise V IEUILLE










PROUST ET LES JUIFS
Copyright

Du même auteur
Mozart ou l’irréductible liberté , Presses Universitaires de France (2001), réédité au Castor astral (2006) et traduit en espagnol la même année (éditions Paidos).
Essai sur l’art lyrique, Opéra, merveilleuse douleur , L’Harmattan (2008).
Ai Nostri desir , recueil de nouvelles, La Tête à l’envers (2014).
Collaboration régulière à Sigila , revue franco-portugaise, transdisciplinaire sur le secret.
A participé à l’ Encyclopaedia Universalis, au Dictionnaire des Mythes Féminins , au Dictionnaire universel des Créatrices.















© L’Harmattan, 2017
5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris
www.harmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
EAN Epub : 978-2-336-78526-4
Dédicace

A la mémoire de Viviane Forrester
dont la généreuse bienveillance encouragea ce travail
Chapitre I : Histoire d’une fascination
Les Juifs dans la société française entre 1870 et 1914
Dans son ouvrage sur les milieux juifs de la France contemporaine, Pierre Aubery fait remarquer qu’aujourd’hui, le XIX ème siècle nous apparaît avec le recul du temps comme une sorte d’âge d’or pour les Israélites français. « L’émancipation, écrit-il, était assez récente pour que les Juifs aient encore conscience de l’énorme progrès sur leur condition antérieure qu’elle représentait pour eux » 1 .
Cette émancipation date, rappelons-le, de 1791.Un décret de l’Assemblée nationale (28 septembre 1791), ratifié par Louis XVI le 13 novembre, fit d’eux des citoyens actifs.
Relativement peu nombreux, les Juifs purent en effet, dès le début du XIX ème siècle faire leurs preuves dans tous les domaines et le libéralisme relatif de la société française leur permit de s’intégrer à la bourgeoisie. « Aussi, écrit encore Pierre Aubery, se lancèrent-ils joyeusement dans toutes les carrières qui s’ouvraient devant eux ». Carrières commerciales. Carrières libérales de toutes sortes. Carrières militaires. Songeons, par exemple, au grand-père de Jules Isaac, cuirassier-trompette de la Grande Armée puis au propre père de l’historien, officier de la Garde Impériale, chef d’escadron en 1870 qui semblait en passe d’atteindre les plus hauts grades lorsque la Troisième République – ô paradoxe… – lui fit marquer le pas en retardant jusqu’en 1882 l’octroi d’un cinquième galon trop longtemps espéré. « Ainsi, note malicieusement Jules Isaac, les annales de la famille devaient me révéler que le Second Empire, comparé à la Troisième République, ne manquait pas d’authenticité démocratique. » 2
Ainsi, jusqu’à l’Affaire Dreyfus, les Juifs ont pu jouir, au sein d’une bourgeoisie tolérante à laquelle ils s’étaient rapidement assimilés, d’une réelle tranquillité et accéder dans bien des cas au faîte de la hiérarchie sociale, comme le montre dans l’œuvre de Proust la réussite du père de Swann ; comme en témoigne aussi la confortable situation de Nathée Weil, agent de change, grand-père maternel de l’auteur du Temps Perdu .
Cependant, un antisémitisme latent existait déjà et se manifestait bien avant l’Affaire, singulièrement parmi les membres les moins favorisés des professions libérales. La concurrence était forte entre jeunes journalistes, jeunes avocats et jeunes médecins. Comme le rappelle Pierre Aubery, Drumont lui-même n’était qu’un journaliste besogneux et « l’exploitation du filon antisémite lui permit d’atteindre l’aisance. » Pour Julien Benda, l’âpreté des Juifs d’alors à montrer « qui ils étaient », à se précipiter vers les écoles du gouvernement où ils entraient souvent les premiers, aurait joué un rôle important dans la renaissance de l’antisémitisme.
Quoi qu’il en soit, l’Affaire Dreyfus et la vague d’hostilité qu’elle déclencha allait obliger ces Juifs qui commençaient à se sentir intégrés à la bourgeoisie et vivaient le plus souvent dans une sorte d’oubli de leur ascendance à se reconnaître en tant que Juifs. « Sans me trouver atteint, je m’énervais cependant, écrit Léon Blum. Cet antisémitisme, pour moi, était une nouveauté. » 3
L’Affaire Dreyfus aiguisa préjugés et passions et laissa de cruelles blessures. Elle éloigna les Israélites de condition modeste des « gentils ». Ceux-ci demeureraient pour les premiers – héritiers d’expériences amères – ce qu’ils avaient toujours été : « des ennemis froids et cruels. Il n’était dans le pouvoir d’aucun Juif d’échapper aux assauts de leur méchanceté. N’importe quel goret peut t’insulter. Pour peu qu’il soit baptisé, il aura la bénédiction épiscopale ; et quand même tu serais capitaine de l’armée française que rien n’y changerait. » 4
En revanche, l’Affaire rapprocha – et ce fut le début d’une longue amitié – les intellectuels juifs des hommes de gauche, socialistes et militants syndicalistes. Enfin, certains notables juifs refusèrent de prendre parti et même de riposter aux insultes : « L’antisémitisme, écrit Daniel Halévy, ami de Proust dès le lycée Condorcet, est une opinion très plausible, et dans une certaine mesure, prudente ; mais c’est aussi une passion qui peut aveugler jusqu’au crime, et qui doit être surveillée » 5
Bien qu’il ait été dreyfusard de cœur, Marcel Proust était trop tolérant, avec les limites que toute tolérance implique, pour ne pas comprendre des attitudes ambiguës ou trop prudentes face à la condamnation du capitaine Dreyfus.
Nous verrons plus loin comment, prisonnier d’un certain snobisme, il s’engagea en faveur de Dreyfus mais sans vraiment compromettre sa situation mondaine.
Le Faubourg St Germain, les Juifs et « le petit Marcel »
Si au XIX ème siècle les Juifs ont pu affermir leur situation, quels furent leurs rapports avec l’aristocratie ? Ce monde raidi dans ses préjugés ancestraux les rejetait-il systématiquement ?
Au premier abord, il ne le semble pas. Certains témoignages permettent même de penser – et cela expliquerait l’intimité de Swann avec les plus grandes familles du Faubourg St Germain ainsi que les succès mondains de Proust – que pendant ces dernières années du XIX e siècle, l’aristocratie française, « toute occupée, comme l’écrit André Spire (qui semble proposer ici une parodie de La Recherche ), à bouder la République, s’abstenant de participer aux affaires de l’état et qui n’eut rien à faire que se distraire, qu’analyser ses sensations, ses sentiments, ses douleurs et ses peines, ses bobos, ses chagrins, ses petites ambitions, ses visites, ses dîners, ses bals, ses passions et ses vices et ceux de ses fournisseurs ordinaires : médecins, peintres, poètes, musiciens, acteurs, courtisanes, domestiques » 6 a ouvert assez largement les portes de ses salons à certains Israélites dont l’intelligence très affinée comme celle de Swann savait charmer les mondains et apporter à certaines réceptions une présence attachante quoiqu’un peu insolite. Il va sans dire que les Nissim Bernard et les Bloch devront attendre que de plus profonds bouleversements – ceux opérés par la Grande Guerre – aient modifié le code de cette société pour s’y introduire à leur tour.
A mieux regarder cette situation, on comprend qu’à quelques exceptions près, ces flirts ébauchés entre le Faubourg St Germain et quelques “Juifs d’élection” ont été très superficiels. Le ralliement du marquis de Saint-Loup à la cause de Dreyfus est considéré comme un scandale dans son milieu et le refroidissement brutal des relations du prince de Guermantes, de la duchesse de Guermantes et de Swann au moment de l’Affaire montre ce qu’un tel rapprochement avait de précaire, sans parler du cruel reniement d’Oriane après la mort de son ami Swann.
Accueillant quelques rares personnalités dont le sémitisme discret n’était qu’un vague signe d’étrangeté, un soupçon de charme d’Orient susceptible de flatter la curiosité d’

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