Résistances à la pénétration et la conquête coloniale au Congo (XIXe-XXe siècles)
334 pages
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Résistances à la pénétration et la conquête coloniale au Congo (XIXe-XXe siècles) , livre ebook

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Description

Les résistances à la domination et la conquête coloniale font partie intégrante de l'histoire congolaise. La période allant de la fin du XIXe siècle jusqu'au début du XXe siècle a été riche d'événements : l'expansion coloniale, la mise en place du système concessionnaire, l'introduction de l'impôt de capitation, le travail forcé, le portage, la construction du chemin de fer et l'éveil du nationalisme. Ces événements seront à la l'origine de la remise en cause du système colonial sous diverses formes de contestation à l'ordre établi. Il y a une nécessité de faire une relecture de l'histoire des mouvements de résistance à la pénétration, la conquête et la domination coloniale au Congo. Ce travail structuré autour de trois parties compte six chapitres. La première partie est consacrée à la domination coloniale française et les jalons des résistances congolaises à la fin du XIXe siècle. La deuxième partie porte sur les résistances à l'intrusion et à l'occupation coloniale dans la première moitié du XXe siècle. La troisième partie enfin analyse les lendemains des résistances congolaises à la domination coloniale (1944-1959). L'histoire des résistances à la conquête et la domination coloniale est indissociablement liée à celle de la formation de la société congolaise moderne.


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Publié par
Date de parution 18 mars 2016
Nombre de lectures 1 923
EAN13 9782342049527
Langue Français

Extrait

Résistances à la pénétration et la conquête coloniale au Congo (XIXe-XXe siècles)
Etanislas Ngodi
C o n n a i s s a n c e s & S a v o i r s
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Résistances à la pénétration et la conquête coloniale au Congo (XIXe-XXe siècles)
Remerciements Ce travail de plusieurs années d’enquête n’aurait sûrement pas pu aboutir si nous n’avions pas bénéficié de nombreux concours. C’est l’occasion de remercier l’Université Marien Ngouabi, le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique (CODESRIA), le Musée Royal de l’Afrique Centrale (MRAC) de Tervuren en Belgique et le Centre d’Etudes Africaines (CEA) de Leiden aux Pays-Bas, pour leurs subventions de recherche. Nous tenons tout particulièrement à exprimer notre gratitude à Madame Scholastique DIANZINGA, Maitresse des Conférences à l’Université Marien Ngouabi qui avait dirigé ma thèse dont cet ouvrage est le résultat final. Nos remerciements s’adressent également aux professeurs Hugues MOUCKAGA (Université Omar Bongo) et Maurice BAZEMO (Université de Ouagadougou), pour avoir consacré un précieux temps pour la relecture du manuscrit. Nos remerciements à tous les enseignants de la Formation doctorale Histoire et Civilisations Africaines de l’Université Marien Ngouabi, pour leurs conseils et encouragements. Nos remerciements vont enfin à l’endroit de tous ceux ou toutes celles qui m’ont aidé, de près ou de loin, à l’accomplissement de ce travail. Sigles et abreviations
AEC Association des Etudiants Congolais
AEF Afrique Equatoriale Française
AIC Association Internationale du Congo
ANC Archives Nationales du Congo
AOF Afrique Occidentale Française
AOM Archives d’Outre-mer
APPSE Archives privées des Pères du Saint-Esprit
ARSOM Académie Royale des Sciences d’Outre-mer
ASCO Association Scolaire du Congo
BIEC Bulletin de l’Institut d’Etudes Centrafricaines
BSRC Bulletin de la Société des Recherches Congolaises
CAOM Centre des Archives d’Outre-mer
CATC Confédération Africaine des Travailleurs Croyants
CCAH Cahiers Congolais d’Anthropologie et d’Histoire
CEA Cahiers d’Etudes Africaines
CFCO Chemin de Fer Congo-Océan
CFHBC Compagnie Française du Haut et Bas-Congo
CFSO Compagnie Forestière Sangha-Oubangui
CGAT Confédération Générale Africaine des Travailleurs
CODESRIA Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique
CPSI Centre d’Etudes des Problèmes Sociaux Indigènes
CRA Centre de Recherches Africaines
DES Diplôme d’Etudes Supérieures
EIC Etat Indépendant du Congo
FEANF Fédération des Etudiants d’Afrique Noire de France
JOAEF Journal officiel de l’A.E.F.
JOC Jeunesse Ouvrière Chrétienne
JEC Jeunesse Etudiante Chrétienne
MRAC Musée Royal de l’Afrique Centrale
MSA Mouvement Socialiste Africain
NEA Nouvelles Editions Africaines
PPC Parti Progressiste Congolais
RP Révérend Père
RDA Rassemblement Démocratique Africain
RPF Rassemblement du Peuple Français
SFIO Section Française de l’Internationale Ouvrière
SIP Société Indigènes de Prévoyance
UEFA Union pour l’Emancipation des Femmes Africaines
UFA Union des Femmes Africaines
UJC Union de la Jeunesse Congolaise
UDDIA Union Démocratique de Défense des Intérêts Africains
UMNG Université Marien Ngouabi
Introduction générale L’expansion coloniale en Afrique a été manifeste à la fin du XIXe siècle, à travers les voyages d’exploration et de reconnaissance entrepris par les chantres de la colonisation. Cette politique expansionniste va provoquer au fil des années, la ruée des Européens vers certaines régions africaines, brisant, du même coup, les bases des économies tant de la côte que de l’intérieur. e Une donnée fondamentale, dans la deuxième moitié du XIX siècle, est la volonté manifeste des puissances européennes d’assurer la conquête, la domination et l’exploitation du continent africain Le contact entre les deux civilisations (africaine et occidentale) a parfois été brutal. Pendant des décennies, le concept de résistance a colporté un fouillis d’opinions, de prénotions et de préjugés sur les tentatives de révoltes et revendications des peuples colonisés face à la domination étrangère. Parler de résistance, c’est rendre compte d’un antagonisme fort entre deux cultures, deux acteurs différents, bien déterminés à s’affronter : l’un dans le rôle de l’agresseur et 1 l’autre dans une posture de riposte collective sur tous les terrains. Ces réactions peuvent être classées en trois grandes catégories : attitude d’opposition ou conflit pour tenter de préserver la souveraineté de la société ; résistance localisée pour tenter de remédier à certains abus du régime colonial et«rébellions ou révoltes » pour lutter contre le système colonial et ses abus. On note qu’une sémantique variable est sollicitée pour définir larésistance(singulier) ou d’envisager lesrésistances(pluriel), comme révolte, rébellion, insurrection, guerre ; donc une intensité, un taux de violence variables minimisés par l’historiographie coloniale pour déprécier l’acte de résistance des populations africaines et magnifier la bravoure de l’armée coloniale. Les résistances ne prirent pas naissance sur une base nulle,ex nihilo . Le contexte spécifique dominant créé par l’iniquité du fait colonial, aura servi à la naissance et l’explosion de plusieurs mouvements de contestation. Face aux abus de la colonisation, les populations rangées derrière leurs chefs ont montré incontestablement à quel point elles étaient prêtes et résolues à s’opposer aux Européens et à défendre leur souveraineté, leur religion et leur mode de vie. Elles ont plus d’une fois exprimé leur opinion sur la présence des Blancs : refus de ravitailler ou fournir des guides ou des porteurs, refus de payer l’impôt de capitation et de travailler pour le compte des compagnies 2 concessionnaires, etc. Le champ d’analyse des mouvements de résistance s’inscrit dans une perspective de l’histoire contemporaine. L’histoire ne retient généralement que les grandes figures ou hommes célèbres qui ont dominé la scène politique africaine à l’époque de la pénétration coloniale. Samory Touré, El
Hadj Omar Tall, Chaka Zoulou, Béhanzin et Rabah sont parmi d’autres figures de la résistance, et 3 qui occupent une place de choix dans l’histoire africaine . Elle laisse dans l’ombre, les résistances des villages, des groupes de villages ou ethnies qui s’opposèrent à leur propre chef aux colonnes militaires afin de défendre la terre des aïeux et sauvegarder leur liberté. Il est clair que la solidarité tribale fondée sur une unité de culture et renforcée par des alliances de mariage ou de guerre pouvait amener les villages à participer à la défense de la communauté menacée. L’historiographie de cette conquee fut longtemps dominée par des récits d’opérations militaires, chantant les gloires coloniales. L’histoire de la colonisation couvre ainsi des nouvelles pistes de recherche qui invitent à décrire, expliquer, analyser et évaluer le phénomène de la résistance sous 4 un anle plus objectif, par la pris en compte des notions d’enjeux et d’initiatives. Les mouvements de résistance constituent une partie intégrante de l’histoire du peuple congolais. Il s’agit d’un domaine d’étude à explorer pour mieux saisir de manière globale la lutte anticoloniale. La relecture de l’histoire des mouvements de contestation et de protestation à l’ordre colonial s’impose comme une nécessité afin de sortir de ce caractère partisan de glorification de l’action coloniale. Certaines luttes des populations contre le régime colonial sont restées jusqu’ici très mal connues. Les régimes précoloniaux ont imaginé des mécanismes de répression subtile et diversifiée. Ces mouvements sont riches d’enseignements. Les luttes engagées dans les différents royaumes (Teke, Kongo, Loango) témoignent de la détermination des populations à vouloir en découdre avec les puissances impérialistes. Les expériences de la bataille d’Ambwila de 1665, la montée des syncrétismes religieux à partir de 1702, les affronts contre l’impérialisme dès 1878 sont autant d’éléments qui méritent d’être abordés. Des rois se sont dressés devant les envahisseurs européens, pour contrecarrer leur projet d’absolutisme brutal et refuser leur autorité, en résistant contre leur volonté hégémonique. Ils ont lutté contre les injustices sociales, l’exploitation et la subordination. On peut schématiquement distinguer trois temps des résistances à la colonisation, même s’ils peuvent se chevaucher et obéir à des chronologies différenciées selon les espaces : les résistances à la pénétration coloniale, (1880-1899), les résistances à la conquête et l’occupation coloniale (1900-1944) et les résistances à la domination coloniale (1945-1960). Le refus de l’acculturation de la société va façonner l’environnement idéologique dans lequel les mouvements de résistance, y compris sous forme immédiatement contemporaine des luttes se développeront. Pour les partisans de l’Ecole coloniale de l’historiographie africaine, notamment : H. Johnston, Sir Alan Burns et plus récemment, Margery Perham, Lewis H. Gann et Peter Duignan, les populations africaines auraient en fait accueilli favorablement la domination coloniale, car non seulement elle les préservait de l’anarchie et des guerres intestines, mais elle leur procurait 5 également certains avantages concrets. On peut citer, à cet égard, Margery Perham qui écrit : La plupart des tribus acceptèrent rapidement la domination européenne, considérant qu’elle faisait partie d’un ordre irrésistible, d’un ordre d’où elles pouvaient tirer de nombreux avantages, essentiellement la paix, des innovations passionnantes : chemin de fer et routes, lampes, bicyclettes, charrues, cultures et aliments nouveaux, et tout ce qu’elles pouvaient acquérir ou éprouver en ville. Cette domination conféra aux classes dirigeantes-traditionnelles ou nouvellement créées-un surcroît de puissance et de sécurité, et de nouvelles formes de richesse et de pouvoir. Longtemps, malgré l’extrême confusion des esprits qu’elles provoquèrent, les révoltes furent très rares et il ne semble pas que la domination ait été 6 ressentie comme une indignité. Cette assertion peut être remise en cause lorsqu’on analyse les résistances congolaises. On admet difficilement que les populations avaient accueilli favorablement la domination coloniale. Ces résistances seraient des actes de banditisme, de révoltes indigènes refusant la civilisation, des attaques barbares. L’usage des terminologies de bandits armés, criminels héroïques et rebelles pour désigner ces chefs, réduit le sens même des luttes contre l’oppression coloniale et l’affirmation identitaire des
colonisés. Ces termes, souvent utilisés par les colonisateurs n’ont servi qu’à discréditer l’action des « héros » africains et à justifier la répression hystérique qu’exerçaient les fonctionnaires 7 coloniaux pour essayer de mettre fin à la lutte anticolonialiste. La cristallisation des oppositions en réaction de rejet de l’intrusion étrangère mérite d’être revisitée. Il y a là, un champ de recherche qui constitue un véritable défi, pour l’historien ayant le souci d’innover, de jeter un regard profond sur le passé, pour fournir une vision diversifiée et plus enrichissante des résistances à la domination et l’exploitation coloniale. La réduction des formes de résistance face au colonialisme à de simples révoltes des bandits au nouvel ordre politique et à l’émergence d’une idéologie hégémonique occidentale ne permet pas de comprendre le sens de certains mouvements de résistance face à la pénétration coloniale. Il convient de reconnaitre que le banditisme social comme forme de résistance, permet non seulement de saisir les atrocités commises par les administrateurs coloniaux pour exercer les pratiques comme le travail forcé, le portage, l’impôt de capitation et réprimer les récalcitrants, mais aussi d’inscrire dans les résistances, la place des « héros » comme des véritables chefs de guerre. Ces figures emblématiques de la résistance développent, presque toujours, un argumentaire de rupture, un plaidoyer ouvrant des perspectives nouvelles articulées, pour l’essentiel, au passé de la région concernée. Les archives coloniales sont muettes sur les figures des résistances, car souvent considérées comme des bandits de grand chemin. Les rares travaux consacrés à ces martyrs se sont limités à 8 énumérer quelques-uns des personnages historiques. Les populations congolaises, rangées derrière leurs chefs ont montré qu’elles n’étaient pas toujours d’accord avec le système colonial. Devant les exactions répétées, un grand nombre de chefs congolais répondirent par des révoltes armées. Les plus célèbres furent : Mabiala Ma Nganga, Boueta Mbongo (pays lari) Ekaka et Ostaka (pays koyo) ; Berandjoko et Ngaram Bizam (Ibenga, Motaba et Lobaye) ; Mbia (pays kwele) ; Kombo Mongongo, Mbala Mindele et Nguembe Sembé (pays beembé) ; Obambé Mbunzé et Iyongho (pays mbosi) ; Ekakha et Otsaka (pays koyo) ; Enymba n’idza et Mwene Yoka (pays Akwa), Ngambom (pays ngangulu). Plusieurs chefs, qualifiés à tort de collaborateurs étaient ceux qui estimaient que la meilleure manière de préserver leur souveraineté, voire de recouvrer celle qu’ils avaient perdue au profit des autres entités politiques avant l’arrivée des Européens, n’était pas de collaborer, mais plutôt de s’allier avec les envahisseurs européens. Par collaborateur, on entend celui qui trahit la cause nationale en s’unissant avec l’ennemi pour défendre les buts et les objectifs de celui-ci plutôt que les intérêts de son propre pays. Or, comme nous le verrons dans le cas du royaume Teke, Iloo qui avait signé un traité avec Pierre Savorgnan de Brazza n’avait pas compris le sens profond de cet accord. Il serait donc difficile d’affirmer que ce roi avait décidé d’abandonner sa souveraineté. Les populations congolaises n’ont pas toujours accueilli avec enthousiasme les soldats ou miliciens et l’administration coloniale. Les opérations dites de pacification menées par les colonnes militaires dans toutes les régions, témoignent de l’opposition des populations sur le terrain. La conquête territoriale suscitera un peu partout des remous. Les Français à leur arrivée n’avaient pas trouvé un territoire dépourvu de civilisation. Ils entendaient s’imposer pour exploiter ou mettre en valeur les terres conquises. Ils durent faire face à une résistance atroce durant huit décennies. Les résistances à la conquête et la domination coloniale constituent une préoccupation intellectuelle majeure. Ce travail entend ainsi revisiter les résistances congolaises dans une vision plus globale afin de saisir les enseignements que renferment les expériences de lutte du peuple congolais contre l’oppression coloniale et les formes de lutte mise en avant par les chefs traditionnels pour défendre leur indépendance. Nous avons choisi d’inscrire notre étude dans la période allant de l’implantation coloniale e e française à la fin du XIX siècle jusqu’à la deuxième moitié du XX siècle. Les années délimitant notre travail sont 1878 et 1959. La délimitation du champ d’étude mérite d’être justifiée. 1878est l’année de la fin de la première mission d’exploration de Pierre Savorgnan de Brazza
dans cet espace qui deviendra plus tard le Congo français. Elle est surtout marquée par la première réaction anticoloniale sur l’Alima : la bataille des Apfourou. 1959, c’est l’année où se ferme pour le Congo, ce que les spécialistes appellent « la parenthèse coloniale » avec la Communauté franco-africaine. Elle est marquée par le déclenchement de la résistance des matsouanistes au nouvel ordre politique postcolonial. La pénétration et la conquête coloniales furent accompagnées de la subordination et/ou la destruction des systèmes politiques, la remise en cause des systèmes de représentations sociales et la transformation de l’économie traditionnelle. Le refus par les populations locales de l’acculturation va façonner l’environnement idéologique dans lequel les mouvements de résistance se développeront. Le problème est à la fois d’inventorier l’ensemble de ces mouvements dans l’espace du Congo français, de dépasser le niveau descriptif pour s’interroger sur les paramètres d’intervention, les conjonctures favorables à l’émergence de ces mouvements et de présenter les stratégies mises en avant par les acteurs. L’objet de la recherche est de chercher à déterminer dans une perspective historique, les motivations, les stratégies et typologies des résistances et l’enjeu des mouvements de résistance au Congo, de la fin du XIXe siècle jusqu’au milieu du XXe siècle. Entreprendre une recherche sur les mouvements de contestation et de résistance à l’intrusion coloniale, c’est prendre le bout du fil qui forme le nœud de toute l’histoire sociale du Congo. Notre souci en conduisant cette étude n’est pas de faire une reproduction de l’histoire de la domination coloniale du Congo français, mais de décortiquer en rapport avec les résistances, toutes les grandes mutations qui se sont opérées tant au plan politique, économique que social depuis l’aube de la colonisation en 1880 jusqu’à la veille de l’indépendance. Notre recherche entend répondre à quatre questions majeures :
- Les résistances des populations congolaises n’ont-elles pas été l’aboutissement de la conquête et la domination coloniales ?
- En quoi les résistances sont-elles intégrées dans l’histoire politique et sociale du Congo ?
- Quels sont les grands moments historiques des résistances à l’intrusion coloniale ?
- Quelles sont les enseignements tirés des résistances congolaises à l’ordre colonial ?
Les réponses à ces interrogations recommandent une réflexion approfondie sur la problématique des résistances à la conquête et à la domination coloniales, en se fondant sur les stratégies mises en œuvre par les populations congolaises pour faire face aux conquérants européens, les caractéristiques essentielles, la signification profonde, les leçons apprises et le legs historique de ces mouvements. Trois hypothèses de recherche constitueront l’ossature de ce travail.
-Les mouvements de résistance dans la période allant de la fin du XIXe siècle à la deuxième moitié du XXe siècle ont été le reflet de l’affirmation identitaire du peuple colonisé face aux atrocités et répressions des puissances impérialistes.
-résistances congolaises s’inscrivent dans un contexte bien déterminé de la colonisation. Les Elles ont été éphémères, non structurées et spontanées.
-Les résistances ont eu des formes variées selon les périodes, les zones et les acteurs.
La revue de la littérature sur la conquete et la domination coloniale montre la centralité du thème de la résistance dans l’historiographie congolaise. Ces mouvements qui présentent des caractéristiques structurelles variées ont été spontanées ou organisées, passives ou armées ; d’inspiration religieuse ou de contestation politique ; diffuses ou centralisées. L’histoire des résistances à la pénétration, la conquête et la domination coloniales a été trop longtemps dominée par des partis pris idéologiques surprenants de la part des dominants comme des dominés. L’éditorial du premier numéro des Cahiers Congolais d’Anthropologie et d’Hitoire publiés en 1976 constitue sans doute le véritable acte de fondation de l’Ecole Historique de Brazzaville. Créée sous les auspices des professeurs Théophile Obenga et Michel Marie Dufeil, cette école s’est imposée par sa cohésion, son dynamisme et sa productivité, couvrant des mémoires, thèses, ouvrages et articles. L’n des défis de cette école était de parvenir un jour à la rédaction d’une histoire profonde du Congo, une histoire encore peu connue aujourd’hui. La connaissance de l’histoire des résistances congolaises s’impose comme un défi de la décolonisation de l’histoire. Pour Abraham Ndinga Mbo, décoloniser l’histoire, c’est ne plus s’encombrer de la problématique coloniale, à savoir que «l’histoire ne peut être écrite 9 valablement faute de documents écrits ». La problématique des mouvements de résistance a fait et continue de faire l’objet de plusieurs publications et travaux de recherche scientifique. Les recherches sur les résistances africaines à l’installation du régime colonial ont connu un essor réel depuis les indépendances. Malgré cet 10 effort, certaines luttes, dignes d’attention, demeurent encore ignorées. La littérature produite au cours de cette période de conquête et de mise en valeur montre deux aspects importants de l’histoire : les situations concrètes vécues par les communautés d’une part et de l’autre, l’interprétation et le cachet que les administrateurs coloniaux donnaient à la domination/oppression coloniale. Les résistances ou mieux les réactions des populations africaines à la colonisation européenne a fait aussi l’objet de nombreux travaux. Plusieurs ouvrages d’Histoire ont abordé les thématiques 11 liées à l’impérialisme occidental et la domination coloniale en Afrique. Les populations africaines n’avaient le choix qu’entre deux solutions : soit renoncer sans résistance à leur souveraineté et à leur indépendance, soit les défendre à tout prix. La supériorité de l’adversaire d’une part et d’autre part leur farouche détermination à résister à tout prix sont autant d’aspects abordés dans ce travail. Pour les auteurs de l’Histoire de l’Afrique parrainée par l’UNESCO, la défense de la souveraineté constituait le problème fondamental du début de l’époque coloniale. Adu Boahen, qui a dirigé le volume couvrant la période 1880-1935 voyait les sociétés africaines de la fin du XIXe siècle comme des sociétés dynamiques évoluant vers une forme de modernité dans laquelle elles garderaient leur souveraineté tout en entretenant sélectivement avec les Européens des liens dans 12 les domaines du commerce, de la religion et de l’éducation. L’historien Nicolas Metegue N’nah, conforte cette hypothèse en affirmant dans le cas du Gabon que la lutte menée par le peuple gabonais sous la période coloniale a été une lutte de libération 13 pour la défense et la reconquête de son indépendance. Les peuples se sont levés pour défendre leur indépendance et ce n’est pas sans peine que les Français purent s’imposer et se maintenir dans les colonies sous leur domination. 14 Les résistances africaines sont apparues sous d’autres vues comme des fatales impasses. Terence Ranger a lancé le débat sur la continuité et discontinuité des manifestations ou mouvements de résistance qui semble transcender la périodisation de l’histoire africaine à partir de multiples 15 transformations. Il a défendu l’idée qu’il existait un lien entre les premiers mouvements de résistance au tout début de la colonisation et le nationalisme de masse. Les résistances dites primaires sont des formes violentes de réactions à la conquête coloniale. L’enjeu de la lutte étant justement le maintien d’une souveraineté autochtone. Dans bien des cas, les chefs entendent utiliser des moyens de lutte dans le but de conserver leurs pouvoirs.
Les résistances dites secondaires sont des formes pacifiques de contestation, où les élites s’organisent autour des mouvements nationalistes, animés par des syndicats et des partis politiques. Selon les termes de J.F.Ade Ajayi, le colonialisme est « un épisode de l’histoire africaine », une 16 rupture dans l’exercice autrement continu de l’action politique autonome des Africains. Le thème de la résistance exerça une fascination particulière au cours des décennies, surtout dans la littérature anglophone, où des chercheurs se sont consacré à l’analyse des mobilisations politiques, les souvenirs de batailles contre les conquérants étrangers, les mouvements de libération 17 nationale. Les tenants du colonialisme ont longtemps considéré la résistance armée comme 18 irrationnelle et désespérée, prétextant qu’elle était souvent le résultat de la superstition. La revue de la littérature par région permet de mieux cartographier les différents mouvements de résistance qui ont vu le jour au Congo. Un inventaire et une analyse des faits liés à la contestation permettent d’aboutir à des constructions typologiques complexes et variables, qui tiennent aux structures sociales, à la personnalité des leaders de la résistance, au rapport des forces, à la durée de la confrontation et à la conjoncture historique. Georges Mazenot présente l’action coloniale française dans le nord du Congo et l’organisation sociopolitique des mbosi en analysant un certain nombre de mouvements de résistances qui se sont 19 développés dans cette région. C’est le cas de la résistance des Apfourous sur l’Alima . Théophile Obenga qui appréhende la totalité de la culture des populations mbosi présente quelques 20 figures de la résistance dans la Cuvette entre 1907 et 1912. D’autres auteurs y ont consacré des 21 analyses sur la résistance des populations dans le pays des confluents. Le Haut-Congo, notamment la région de la Likouala et la Sangha a été au centre de plusieurs mouvements de contestation à l’ordre colonial. Ces mouvements débutés au cours des années 1880 se sont poursuivis jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Des analyses pertinentes y ont 22 été consacrées. La résistance en pays teke et mbosi a été traitée par plusieurs auteurs. L’accent étant souvent mis 23 sur l’impôt de capitation et les abus de la conquête militaire coloniale. La région du Pool, considérée comme le carrefour des mouvements de résistance à la 24 pénétration, la conquête et la domination coloniale a été au centre de plusieurs réflexions. Côme Kinata montre par exemple, comment certains chefs qualifiés à tort de collaborateurs étaient ceux qui estimaient que la meilleure manière de préserver leur souveraineté n’était pas de collaborer, 25 mais plutôt des’allieravec les envahisseurs européens. Une bonne partie de la littérature sur les 26 résistances dans le Pool s’est focalisée sur le cas duMatsouanisme. 27 La résistance sur la piste des caravanes a été relatée par plusieurs spécialistes. On note également une documentation éparse sur la problématique des résistances dans la région de la 28 29 30 Haute-Louessé , le pays Beembe et dans la Nyanga . A la différence de la résistance précoloniale, dont le but essentiel était de préserver l’indépendance, la résistance menée au début du XXe siècle découlait directement des efforts déployés par les régimes coloniaux pour renforcer leur hégémonie et imposer des rapports capitalistes en vue d’exploiter les ressources humaines et naturelles des colonies. Le premier soin des administrateurs coloniaux fut d’instaurer un système administratif qui contrôlerait les activités des populations soumises : déposition des chefs indigènes, recrutement des mercenaires ou tirailleurs, intimidation de la population locale, recours au travail forcé, imposition 31 de l’impôt de capitation, abus des compagnies concessionnaires. De tels excès ont déchaîné 32 d’incessantes protestations de la part des populations. Pour traiter ce sujet, nous avons utilisé des documents susceptibles de nous renseigner sur les mouvements de résistances au Congo. Très peu de documents existent sur les figures de la résistance congolaise. Quelques rares documents que nous avons pu rassembler et souvent dans des conditions difficiles, nous ont servi d’éléments d’appoint. Trois catégories de sources constituent l’essentiel de notre matériel documentaire : les documents écrits, les documents iconographiques et les témoignages oraux. La valeur particulière des informations que nous pouvons en tirer exclut toute préoccupation d’établir une hiérarchie entre
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