Cet exemple d’un dévouement sublime remua les cœurs à Palencia ; les familles riches ouvrirent leurs greniers, leurs coffres, et les nécessiteux furent généreusement secourus.
Dominique avait tout donné, lorsqu’une femme sans ressource vint à lui, sollicitant quelque secours de sa charité pour payer le rachat de son frère captif chez les Maures. Cette dure extrémité touche l’âme de notre étudiant ; mais que faire ? il n’a plus rien ! Il n’a plus rien, mais il est libre ; à l’instant sa résolution est prise : « Consolez-vous, pauvre femme, dit-il avec l’accent de
la plus tendre compassion ; je puis travailler, offrez-moi aux Maures en échange de votre frère ; je veux être esclave à sa place. »
O vous, qui deviez étonner le monde par l’héroïsme de la charité : Raymond, Nolasque, Vincent de Paul, sublimes libérateurs des prisonniers dont vos mains prendront pour elles-mêmes les fers, Dominique n’est encore qu’un enfant, et le voilà votre égal ! Dieu cependant, qui réservait notre jeune saint pour la rédemption spirituelle d’un grand nombre, ne permit pas qu’il tombât ainsi entre les mains des barbares. Sa proposition ne fut pas acceptée.
Dominique n’avait pas encore achevé ses études, qu’il était chargé d’enseigner l’Écriture sainte. Il commença, au même temps, d’annoncer la parole de Dieu. Il y déploya des qualités si brillantes et si solides, que les auditeurs, avides de l’entendre, accoururent nombreux. On le consultait comme un docteur habile, on lui confiait les plus épineuses affaires de conscience, on comptait sur lui pour trouver les remèdes du vice et donner les élans de la vertu.
Depuis longtemps déjà le jeune Gusman demandait au Ciel de le conduire selon sa vocation. « Pour l’homme du monde, dit Lacordaire, la vie n’est qu’un espace à franchir le plus lentement possible par le chemin le plus doux ; mais le chrétien ne la considère point ainsi. Il sait que tout homme est vicaire de Jésus-Christ pour travailler par le sacrifice de soi-même à la rédemption de l’humanité, et que, dans le plan de cette grande œuvre, chacun a une place éternellement marquée, qu’il est libre d’accepter ou de refuser. Il sait que s’il déserte volontairement cette place, que la Providence lui offrait dans la milice des créatures utiles, elle sera transportée à un meilleur que lui, et lui abandonné à sa propre direction dans la voie large et courte de l’égoïsme. Ces pensées occupent le chrétien à qui sa prédestination n’est pas encore révélée, et, convaincu que le plus sûr moyen de la connaître est de désirer l’accomplir, quelle qu’elle soit, il se tient prêt
pour tout ce que Dieu voudra. Il ne méprise aucune des fonctions nécessaires à la république chrétienne, parce qu’en toutes peuvent se rencontrer trois choses d’où dépend leur valeur réelle : la volonté de Dieu qui les impose, le bien qui résulte de leur fidèle exercice, et le dévouement du cœur qui en est chargé. Il croit même fermement que les moins honorées ne sont pas les moins hautes, et que la couronne des saints ne tombe jamais plus droit du ciel que sur un front pauvre, blanchi dans l’humilité acceptée d’un dur service. Peu lui importe donc où Dieu marquera sa place ; il lui suffit d’apprendre quelle est sa volonté. »
L’heure était venue pour Dominique de connaître ce que demandait de lui cette volonté sainte.
Afin d’entrer dans les vues de l’Église pour la réformation de la discipline ecclésiastique, l’évêque d’Osma, Martin de Bazan, venait de convertir les chanoines de sa cathédrale en chanoines réguliers. Instruit qu’un jeune homme de grand mérite,
originaire de son diocèse, achevait ses études à l’université de Palencia, il voulut le gagner à son œuvre et chargea de cette affaire don Diégo de Azévédo. C’était le prieur du chapitre réformé, un homme de forte trempe, illustre déjà, mais dont la gloire trouvera bientôt son plein épanouissement au milieu de ce groupe d’apôtres vaillants, dirigés par lui contre les manichéens du midi de la France. Dominique reçut la proposition du prieur comme un ordre d’en haut : il se rendit à Osma et prit sans délai l’habit de religion. Il avait alors vingt-cinq ans.