Une nation nommée Narcisse
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Description

La nation est une promesse de réalisation et d’unité. Elle réunit, par cet engagement implicite, les citoyens vers un narcissisme collectif qui sert, dans la foulée des cultes et des idéologies, à repeindre de sens un ciel métaphysique que l’homme perçoit de plus en plus vide au-dessus de lui. Mais dans le même temps, la nation se révèle être l’un des périls de la démocratie, car sa nature cachée est de réduire le monde à une expression homogène et à une continuité excluant le mouvement et la contingence ; la nature de la nation est de correspondre à la velléité de l’homme, terrifié devant le chaos du monde, de vouloir se fondre dans la totalité rassurante au risque de ne plus évoluer. Le danger inhérent à la nation consiste à se perdre dans le passé, dans l’identité et de promouvoir une idée de la pureté qui, par essence, peut tout broyer sur son passage, et qui refuse de voir l’utilité instrumentale de la démocratie comme outil de gestion d’une société.

Tel est le postulat proposé dans ce petit ouvrage : le nationalisme est un amour illusionnel, forgé par une blessure incurable.

François De Smet est docteur en philosophie et collabore au Centre de Théorie politique de l’Université Libre de Bruxelles ainsi qu’au Centre Interdisciplinaire d’Études des Religions et de la Laïcité (CIERL). Ses domaines de prédilection sont la philosophie politique, l’histoire des idées et les enjeux contemporains. Il est l’auteur de Vers une laïcité dynamique, paru aux éditions de l’Académie royale de Belgique.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782803104154
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

UNE NATION NOMMÉE NARCISSE
François De Smet
Une nation nommée narcisse
P M D RÉFACE DE ICHEL UMOULIN
Académie royale de Belgique rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0415-4 © 2014, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant Volume 39
Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be
Crédits Conception et réalisation : Grégory Van Aelbrouck, Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Illustration de couverture : Le Caravage,Narcisse à la source, 1597-1599, Galleria Naz. d’Arte Antica Palazzo Barberini, Rome. Inv. 1569. © Soprintendenza Speciale per il Patrimonio Storico, Artistico e Etnoantropologico e per il Polo Museale della città di Roma.
Publié en collaboration avec
Bebooks - Editions numériques Quai Bonaparte, 1 (boîte 11) - 4020 Liège (Belgique) info@bebooks.be www.bebooks.be
Informations concernant la version numérique ISBN 978-2-87569-147-7 A propos Bebooks est une maison d’édition contemporaine, intégrant l’ensemble des supports et canaux dans ses projets éditoriaux. Exclusivement numérique, elle propose des ouvrages pour la plupart des liseuses, ainsi que des versions imprimées à la demande.
Préface
En 1951, les six signataires du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier se déclaraient « résolus à substituer aux rivalités séculaires une fusion de leurs intérêts essentiels, à fonder (…) une communauté (…) entre des peuples longtemps opposés par des divisions sanglantes, et à jeter les bases d’institutions capables d’orienter un destin désormais partagé ». Cinquante-six ans plus tard, ayant rappelé « l’importance historique de la fin de la division du continent européen», les vingt-sept signataires du traité de Lisbonne affirmaient notamment vouloir « poursuivre le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe » et « établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leurs pays ». Que de chemin parcouru depuis 1908 quand Georges Sorel déclarait, à propos du concert européen des Nations : « Comment ferez-vous pour fédérer des Slaves, ou religieux ou mystiques révolutionnaires ; des Scandinaves assagis ; des Allemands ambitieux ; des Anglais jaloux d’autorité ; des Français avares ; des Italiens souffrant d’une crise de croissance ; des Balkaniques braconniers ; des Hongrois guerriers ? Comment calmerez-vous ce panier rempli de crabes qui se pincent toute la sainte journée ? Malheureuse Europe ! Pourquoi lui cacher ce 1 qui l’attend ? Avant dix ans, elle sombrera dans la guerre (…) . » Entre ce dernier propos et les préambules des deux traités, deux guerres mondiales ont contraint « l’Hamlet européen » cher à Valéry à regarder des millions de spectres avant de contempler le passage de la guerre à la paix qui « est plus obscur, plus dangereux que le 2 passage de la paix à la guerre ». À cet égard, le centenaire du début de la Première Guerre mondiale est l’occasion de dénoncer la responsabilité du nationalisme qui « avait presque aveuglé tous les cœurs et les esprits » dans le déclenchement et la poursuite de la tragédie, déclarait le président de la République fédérale d’Allemagne le 4 août 2014 à Liège. Dans le même temps, il encourage, poursuit l’orateur, l’expression de la reconnaissance « de pouvoir vivre déjà depuis si longtemps dans une Europe de paix » grâce à la construction européenne que certains inscrivent dans une vision téléologique. Ainsi le président de la République française, affirme, dans le discours qu’il prononce lui aussi à Liège : « Ces hommes, il y a un siècle, (…) espéraient qu’un jour tous les pays d’Europe seraient rassemblés. Cent ans après, cette utopie est réalité » ! Mais il faut à la vérité de préciser que M. Hollande ajoute : « L’Europe est là, mais l’Europe doit faire encore davantage car la paix n’est jamais sûre. Elle exige une vigilance, un combat, une organisation, une défense de son propre continent. » e Le propos, à quelques encablures du 25 anniversaire de la chute du mur de Berlin, ne manque pas de pertinence. Mais ne trahit-il pas un échec ? Englués que nous sommes dans « les trente piteuses » par référence aux « trente glorieuses » qui les précédèrent, nous ne vivons pas une crise mais bien une mutation. Nous voici en présence de ces deux abîmes que sont l’ordre et le désordre, du risque de recommencer le passé comme de celui de vouloir innover envers et contre tout. Constatant que nos sociétés sont marquées par la perte de toute grille de lecture homogène, François De Smet apporte une précieuse contribution à la question de la résurgence du nationalisme qui, écrit-il, « reste une menace pour la démocratie, parce qu’elle campe le refuge psychologique des frustrations, manques de sens, angoisses et précarités des citoyens ». Cadre potentiel des « identités meurtrières », la nation, objet d’une parenthèse antinationale durant la Guerre froide, tend, depuis la fin de celle-ci, à vouloir se libérer de l’Europe. Cette tendance à la « retribalisation » dans le contexte de la globalisation ne manque pas d’être paradoxale. À moins qu’elle n’en soit une conséquence. Dans ce cas, la déconstruction de l’État-nation qui a marqué les décennies qui ont suivi la fin du second conflit mondial n’a pas donné lieu à la reconstruction d’un projet abouti. Ni l’Europe-nation ni le « patriotisme constitutionnel » ou encore l’idéal des allégeances multiples permettant de se dire à la fois « athénien, grec et
citoyen du monde » n’ont permis de prévenir le repli identitaire qui s’accompagne de communautarismes à l’effet fragmentant qui marque notre temps. Le propos de François De Smet ne laisse pas indifférent. S’abstenant de jouer au Cassandre, l’auteur nous encourage à prendre nos responsabilités car, écrit-il, « le monde est un théâtre dont les citoyens sont à la fois les héros et les spectateurs. C’est à eux, au bout du compte, d’estimer en chacun d’eux-mêmes quel est l’équilibre le plus juste à maintenir entre la froide raison de la démocratie et l’ardente passion de la nation ». Michel Dumoulin, Membre de l’Académie royale de Belgique
1 Jacques Variot,Propos de Georges Sorel, Paris, 1935, cité dans Denis de Rougemont,28 siècles d’Europe. La conscience européenne à travers les textes. D’Hésiode à nos jours, Paris, Christian de Bartillat, 1990, p. 308. e 2Paul Valéry,Variété, 3 éd., Paris, Éditions de la Nouvelle Revue française, 1924, p. 21.
Introduction
Vivons-nous la fin de la nation en tant que phénomène ? La question a longtemps agité la doxa européenne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les enfants de la postmodernité que nous sommes, éduqués à l’ombre de l’Histoire, dans le respect des droits humains, dans la foi en la construction européenne et dans la répulsion des excès identitaires, ont fait leur le postulat d’un État-Nation comme épisode appelé à être dépassé. La nation était devenue un monstre domestiqué ; monstre par l’ampleur de ses excès destructeurs exposés par deux guerres mondiales dont elle constituait, qu’on le veuille ou non, le protagoniste principal et le coupable idéologique désigné ; domestiqué par la construction compulsive, dès 1945, d’une impressionnante série d’organismes internationaux et supranationaux visant peu ou prou à juguler l’énergie des identités en mouvement et à la canaliser pour en prévenir, désormais, les destructeurs ravages. Dans les années 80, en particulier, l’intuition qu’un dépassement définitif de la nation pouvait advenir a pris une consistance singulière. Deux raisons justifiaient de se montrer optimistes quant à un avenir dépourvu de tensions nationales et identitaires, et coopérant de plus en plus vers la paix et l’unification progressive du monde autour de quelques valeurs communes. D’une part, sur le plan extérieur, la fin de la Guerre froide couronnait le triomphe d’un libéralisme exacerbé, qui devait emmener l’humanité vers une plus grande stabilité en l’éloignant de la perspective de l’holocauste nucléaire ; d’autre part, sur le plan intérieur aux nations, l’intrication des pays en paix par la coopération, le commerce et l’échange, élevait le niveau de prospérité de tous, orientait les préoccupations des citoyens vers le bonheur privé et rendait caduques les nécessités matérielles et culturelles de conflits armés et de mouvements identitaires — la construction européenne faisant office de symbole fort de ce dépassement, puisque axée sur le libre-échange comme générateur de paix et de bien-être. Or ces deux éléments se sont avérés être de cruelles désillusions. La fin de la Guerre froide, d’abord, fut une désillusion parce qu’elle est apparue après coup comme le couvercle d’une boîte de Pandore dont le contenu ne cesse de s’échapper depuis lors. L’issue inattendue de l’opposition Est-Ouest, en 1989 et en 1991, semblait donner raison à Francis Fukuyama et à sa « fin de l’histoire ». On s’acheminait résolument, pouvait-on espérer, vers un monde aux tensions internationales diminuées, se dirigeant peu à peu vers des perspectives pacifiques et universalistes. Les conflits identitaires des années 90 ont, hélas, rapidement fait déchanter les plus optimistes. Toutes les révolutions de l’Est n’ont pas été de velours ; en Yougoslavie, l’éclatement s’est transformé en une guerre civile qui, en plein cœur de l’Europe, remettra au goût du jour une notion de « purification ethnique » qu’on croyait rayée du continent — au point que c’est un massacre ethnique, celui de la ville martyre de Srebrenica, qui finira par entraîner l’action de l’OTAN et enclenchera la mécanique menant à l’issue du conflit. Pire : au Rwanda, en avril 1994, allait se perpétrer le plus gigantesque génocide depuis la Seconde Guerre mondiale, sur la population tutsi et sur les Hutus modérés, là encore dans un contexte d’abandon à leur sort de civils par la communauté internationale, qui avait baissé la garde et n’était nullement préparée, malgré les manœuvres de mise en place du génocide, à en enrayer l’exécution. Les nations se réveillèrent, les identités reprirent en assurance, les ethnies revenaient investir le vide laissé par l’écroulement des idéologies : les conflits identitaires ont ressurgi avec une virulence inédite, comme si la Guerre froide s’était finalement contentée de congeler des velléités nationalistes qui se sont retrouvées libres de s’exprimer et de revendiquer une place une fois le Mur de Berlin tombé. Cerise sur le gâteau, au crépuscule de ces terribles années 90 marquées par la libéralisation de l’identité et du rapport de force : le 11 septembre 2001 allait porter un coup fatal à la visée de l’humanité vers davantage d’union, en rappelant brutalement que les hommes sont, pour longtemps encore et peut-être de manière irrémédiable, porteurs de différences qui les soudent en communautés opposées, et que les efforts
d’unification au nom de la paix et des droits de l’homme pouvaient même engendrer des effets de radicalisation par voie de vases communicants. Tous les éléments de l’attentat desTwin Towerset du Pentagone convergent pour offrir à l’événement une telle portée symbolique d’une modernité universalisante prise complètement à revers. Comme le relève Pierre Manent : « Que la plupart des terroristes soient venus d’Arabie saoudite, un allié intime, si je puis dire, des États-Unis, qu’ils aient transformé en armes meurtrières des avions de ligne — le moyen de communication le plus capable de réunir les hommes dans un réseau embrassant la planète —, qu’ils aient choisi de détruire les symboles les plus glorieux du commerce mondial au cœur de la capitale du monde, toutes ces circonstances, nullement anecdotiques, conspiraient pour confirmer que les instruments les plus perfectionnés du commerce et de la communication restent extérieurs à la vie des peuples, loin de les réunir comme l’opinion libérale et e 1 progressiste l’espérait, ou plutôt l’escomptait depuis le XVIII siècle . » On pourrait ajouter à ce tableau saisissant le mépris de la vie humaine incarné par des kamikazes se sacrifiant pour tuer un maximum de personnes, à contre-courant des valeurs prônant l’individualisme et les droits de l’homme, et la coïncidence de calendrier qui a fait cet attentat se dérouler moins de trois jours après la fin du Sommet de Durban contre le racisme, qui marquait l’apogée des tentatives — laborieuses — de l’humanité pour s’accorder sur ce qui constitue la haine d’autrui et les moyens de la combattre, et dont la funeste conjonction rendra désormais suspecte toute velléité de lutte contre le racisme objective — depuis lors, le raciste, c’est toujours l’autre, celui qui ne reconnaît pas mon identité ; l’universel comme horizon, depuis le 11 Septembre, est durablement renvoyé aux oubliettes. L’explosion identitaire et le renouveau des ethnies et des nations apparaissent de manière si intense depuis les années 90 qu’il devient temps de se demander s’il ne conviendrait pas d’inverser la perspective. La Guerre froide apparaît rétrospectivement comme un temps de stabilisation des tensions en les bipolarisant dans un équilibre périlleux mais stabilisateur entre Est et Ouest. Il n’est pas inadéquat, en effet, de considérer la Guerre froide sous la forme d’une parenthèse antinationale entre deux phases de virulence identitaire. Durant cette Guerre froide, chaque conflit était finalement ramené de gré ou de force à l’antagonisme Est-Ouest. Les mouvements nationaux étaient essentiellement des décolonisations, certes motivées par des mouvements identitaires se construisant contre un envahisseur ou une puissance coloniale, mais également encouragées par l’Est au titre de lutte contre l’impérialisme et correspondant à une conséquence logique de la Seconde Guerre mondiale exigeant de reconnaître le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Depuis lors, nous sommes bel et bien en face d’une « retribalisation du monde », que le géopolitologue français François Thual avait identifiée comme telle dès 1995 dans son essai devenu un classique,Les conflits identitaires : « La multiplication des organes supranationaux, à commencer par l’ONU, héritière de la SDN, a pu faire croire qu’on s’acheminait cahin-caha vers une régulation, si ce n’est une réglementation, du concert des nations. Or, à peine le plus massif des problèmes que constituait l’affrontement est-ouest a-t-il disparu qu’aujourd’hui, la perspective d’une retribalisation des différents continents vient assombrir tous les efforts de coopération que les hommes de bonne volonté ont 2 essayé de mettre sur pied pour déclarer la guerre à la guerre . » Ce constat est d’autant plus frappant qu’il ne date que de 1995. S’il avait su qu’en 2014 l’Ukraine serait déchirée par un conflit identitaire entre Russes et Ukrainiens, que l’Écosse obtiendrait un référendum sur son indépendance et que les mouvements nationalistes flamands et catalans deviendraient les premières forces politiques de leurs régions, il aurait assurément encore pu forcer le trait. Toutefois, la déception des espoirs placés dans la fin de la Guerre froide n’est pas la seule raison de la résurrection identitaire dont les nations ont constitué l’opportun véhicule. Les efforts de redressement et de reconstruction économique entamés dès l’après-guerre, combinés à la vague de décolonisation des années 60, se basaient sur le postulat puissant selon lequel un certain niveau de prospérité intrinsèque aux différents pays du monde libre ferait baisser le besoin d’identité, donc de nationalisme. Les Première et Seconde Guerres mondiales semblaient valider ce postulat liant repli identitaire avec précarité. Or, la prospérité grandissante des États occidentaux et la paix gagnée depuis des dizaines d’années n’ont pas fait diminuer...
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