Vu du Brésil
180 pages
Français
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Description

C'est avec une curiosité renouvelée que la revue invite ici les géographes brésiliens à écrire dans ses colonnes, dans un numéro spécial qui ne présente pas une vue panoramique de la recherche faite au Brésil mais plutôt un coup de projecteur qui témoigne de la formidable dynamique de la recherche brésilienne en géographie culturelle, des débats qui l'agitent et des questionnements dont on a peu connaissance en France.

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Date de parution 01 décembre 2011
Nombre de lectures 21
EAN13 9782296474901
Langue Français
Poids de l'ouvrage 5 Mo

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Extrait

SOMMAIRE
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Géographie et cultures nº 78, été 2011
Introduction Francine Barthe-DeloizyetAngelo Serpa La géographie culturelle au Brésil Paul Claval Hybridité culturelle, "anthropophagie" identitaire et transterritorialité Rogerio Haesbaert La géographie des formes symboliques chez Ernst Cassirer Sylvio Fausto Gil Filho Le football au Brésil : réflexions sur le paysage et l’identité à travers les stades Gilmar Mascarenhas La maritimité chez les Indiens du Brésil Eustogio Dantas Les fêtes junines de Cachoeira (État de Bahia) : quand la ville devient spectacle ! Janio Roque Barros de Castro Capoeira et Internet : tactiques de territorialisation à Salvador, Bahia Angelo Serpa, Henrique Araujo et Sérgio Borges Frontières sociales et identités dans l’État du Goias : étude de cas à partir du complexe hydro-électrique de la Serra da Mesa, Brésil. Maria Geralda de Almeida Le paysage sonore de l’île des Valadares : perception et mémoire dans la construction de l’espace Marcos Alberto TorresetSalete Kozel Note. Géographie et littérature au Brésil : état de la recherche Lectures Une géographie historique de Rio de Janeiro
Ils ont aimé, ils en parlent… Le blog "Pedra afiada"
Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
La revueGéographie et culturesest publiée quatre fois par an par l’Association Géographie et cultures et les Éditions L’Harmattan, avec le concours du CNRS. Elle est indexée dans les banques de données Pascal-Francis, GeoAbstract et Sociological Abstract.
Fondateur: Paul Claval Directrice de la publication: Francine Barthe-Deloizy Secrétariat: Yann Calbérac
Comité scientifique: M. Almeida Abreu (†) (Rio de Janeiro), G. Andreotti (Trente), L. Bureau (Québec), B. Collignon (Paris I), G. Corna Pelligrini (Milan), N. Fakouhi (Téhéran), J.-C. Gay (Montpellier), M. Houssay-Holzschuch (Grenoble 1), C. Huetz de Lemps (Paris IV), J.-R. Pitte (Paris IV), J.-B. Racine (Lausanne), A. Serpa (Salvador de Bahia), O. Sevin (Paris IV), J.-F. Staszak (Genève), M. Tabeaud (Paris I), J-L. Tissier (Paris I), J.-R. Trochet (Paris IV), B. Werlen (Iéna).
Correspondants: A. Albet (Espagne), A. Gilbert (Canada), D. Gilbert (Grande-Bretagne), J. Lamarre (Québec), B. Lévy (Suisse), J. Lossau (Allemagne), R. Lobato Corrêa (Brésil) et Z. Rosendhal (Brésil).
Comité de rédaction: A. Berque (EHESS), Y. Calbérac (Paris IV - IUFM), P. Claval (Paris IV), H. Dubucs (Paris IV), L. Dupont (Paris IV), V. Gelézeau (EHESS), C. Ghorra-Gobin (CNRS), S. Guichard-Anguis (CNRS), C. Guiu (Nantes), C. Hancock (Paris-Est Créteil), Y. Raibaud (Bordeaux III), F. Taglioni (La Réunion), S. Weber (Marne-la-Vallée), D. Zeneidi (ADES-CNRS).
Secrétariat de rédaction: Laurent Vermeersch Relectures: Laurent Vermeersch Cartographie: Florence Bonnaud et Véronique Lahaye
Laboratoire Espaces, Nature et Culture(université de Paris IV – CNRS) Institut de géographie, 191, rue Saint-Jacques 75005 Paris France Tél. : 33 1 44 32 14 52, fax : 33 1 44 32 14 38 Courriel : revue.geographie.cultures@gmail.com
Abonnement et achat au numéro: Éditions L’Harmattan, 5-7 rue de l’École Polytechnique 75005 Paris France. Chèques à l’ordre de L’Harmattan.
Abonnement 2008 Prix au numéro
France 55 Euros 18 Euros
 Étranger 59 Euros 18 Euros
Recommandations aux auteurs : Toutes les propositions d’articles portant sur les thèmes intéressant la revue sont à envoyer au laboratoire Espaces, Nature et Culture et seront examinées par le comité de rédaction.Géographie et culturespublie en français. Les articles (30-35 000 signes) doivent parvenir à la rédaction sur papier et par informatique. Ils comprendront les références de l’auteur, des résumés en français, en anglais et éventuellement une autre langue. Les illustrations (cartes, tableaux, photographies N&B) devront être fournies dans des fichiers séparés en format pdf ou Adobe Illustrator et n’excéderont pas 11 x 19 cm.
ISSN : 1165-0354 ISBN : 978-2-296-54686-8
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
Introduction
VU DU BRÉSIL, PRÉSENTATION
Dans la continuité des numéros consacrés à la géographie culturelle qui se fait à l’étranger après "Vu d’Allemagne" et "Vu d’Italie", la revue a invité les chercheurs géographes brésiliens à participer à cette initiative. Cet intérêt renouvelé pour la recherche de ce qui se fait ailleurs est le miroir d’une certaine forme de curiosité qui anime les membres de la revue Géographie et cultures. Nous avons donc lancé un appel à articles et ce que nous vous présentons dans les pages qui suivent en est le résultat. Ceci explique que ce dossier deGéographie et culturesne présente pas une vue panoramique de la recherche faite au Brésil mais plutôt un coup de projecteur qui témoigne de la formidable dynamique de la recherche brésilienne en géographie culturelle, des débats qui l’agitent et des questionnements dont on a finalement peu connaissance en France, et ce, malgré une longue tradition de coopération et d’échanges.
Afin de mieux comprendre l’enjeu et la difficulté du travail accompli dans ce numéro, nous soumettons au lecteur ce petit exercice. Imaginons qu’une revue brésilienne ait l’idée de publier un numéro spécial sur l’état de la géographie culturelle en France… Que pourrait-il bien se passer ? Le résultat à coup sûr ne serait pas le reflet exact de ce qui se passe en géographie culturelle mais donnerait davantage une idée un peu trouble et sans doute aussi assez troublante de l’état de la géographie culturelle en France. Continuons l’exercice, nous avons passé la première étape, l’article a été écrit en français, il faut pour certains trouver un traducteur suffisamment au fait d’un vocabulaire spécifique, précis, au courant des concepts et des nuances de la langue pour que, au final, notre article soit d’une bonne facture scientifique.
Enfin ! Le voici envoyé et dans les temps en tenant compte des contraintes éditoriales spécifiées dans l’appel à communications. L’aventure n’est pas achevée pour autant, elle continue quelques mois plus tard par la réception des rapports d’évaluation (écrits en portugais) qui remarquent avec diplomatie, certes, mais fermement de revoir notre niveau d’écriture qui n’est pas satisfaisant et surtout qui suggère des lectures (toujours en portugais) d’un nombre impressionnant d’ouvrages ayant déjà été écrits sur le sujet… en s’étonnant qu’il n’y soit jamais fait référence… Voici un court résumé de la situation dans laquelle se sont trouvés certains des auteurs de ce numéro.
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
Ce parcours du combattant s’achève après presque deux années d’échanges réguliers, et nous avons le plaisir aujourd’hui de vous présenter ce copieux numéro. Fait exceptionnel, il comporte un nombre plus important d’articles qu’à l’accoutumée. Nous tenons donc à remercier tous ceux qui ont contribué à l’élaboration de ce volume, les auteurs, les 1 traducteurs, les évaluateurs et les relecteurs .
Paul Claval ouvre ce numéro en présentant un état de l’art de la recherche en géographie culturelle au Brésil, ainsi que le cadre institutionnel dans lequel elle se déploie. Deux articles théoriques suivent, le premier, écrit par Rogerio Haesbaert s’intitule : "Hybridité culturelle : 'anthropophagie' identitaire et transterritorialité". L’auteur problématise les doubles concepts d’hybridité/transculturation et de multi/transterritorialité. Le second article théorique écrit par Sylvio Fausto Gil Filho s’interroge sur les apports théoriques et méthodologiques de l’œuvre d’Ernst Cassirer pour la géographie.
Quatre articles spécifiques sur des questions brésiliennes suivent : Gilmar Mascarenhas propose une réflexion originale sur le football au Brésil à travers les paysages qu’il produit et les questions identitaires qu’il soulève. Son étude s’est portée sur les deux grands clubs de football de Porto Alegre. C’est ensuite dans le Nordeste que nous amène Eustogio Dantas. Il nous présente l’évolution du concept de "maritimité" chez les Indiens du Ceara. Le résultat de ses recherches montre que depuis un siècle et demi un sens nouveau de la maritimité est progressivement intégré à l’imaginaire touristique des populations urbaines du Nordeste, mais aussi de l’ensemble du Brésil comme de l’Europe. L’article qui suit s’intéresse à un autre aspect du Nordeste, plus folklorique, plus mystique. Il s’agit des fêtes qui se déroulent pendant tout le mois de juin. Janio Roque Barros de Castro nous montre comment ces fêtes "junines" ont évolué à travers le temps. Autrefois confinées dans les maisons, elles deviennent aujourd’hui des événements festifs réinventés. Pour clore cet ensemble d’articles consacrés aux spécificités brésiliennes, un dernier texte nous est proposé par Angelo Serpa, Henrique Araujo et Sergio Borges. Il porte sur les rapports entre capoeiraet Internet. Les trois auteurs nous font entrer dans les coulisses de cet art de la lutte dansée. Ils se sont penchés sur les tactiques de territorialisation de ce sport mondialisé. Leur objectif est de nous faire comprendre les relations entre lacapoeira et l’univers virtuel d’Internet à partir de l’analyse des différents groupes et communautés dans les quartiers de Salvador de Bahia.
1. Nous tenons à remercier particulièrement Paul Claval pour ses 4 traductions, ses réécritures et ses relectures. Sans son aide et son soutien bienveillant, ce numéro n’aurait jamais pu arriver à son terme.
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
Enfin deux études de cas terminent le numéro. Maria Geralda de Almeida s’est intéressée à la notion de frontière sociale et territoriale à travers l’exemple de l’édification du complexe hydro-électrique de la Serra da Mesa et de ses impacts sur le paysage dans l’État du Goias. L’article de Salete Kotzel et Marcos Alberto Torres termine ce volume. Ces deux auteurs nous proposent une lecture sensible du paysage sonore de l’île des Valadares. Leur recherche nous fait découvrir, à travers les perceptions et la mémoire des musiciens du fandango, les éléments qui composent l’univers symbolique du lieu où ils vivent. Nous vous souhaitons une bonne lecture
Francine BARTHE-DELOIZY et Angelo SERPA
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
Appel à texte : numéro spécial deGéographie et cultures "Catastrophes et qualité des productions alimentaires au Japon" Dirigé par Sylvie Guichard-Anguis (ENeC, courriel : sguichard_anguis@hotmail.com) et Nicolas Baumert (Université de Nagoya)
Depuis une vingtaine d’années, la culture alimentaire japonaise commençait à participer au phénomène de mondialisation. Certains de ses produits, comme les sushis, étaient en train de devenir emblématique d’une certaine modernité urbaine et trouver un peu partout les ingrédients nécessaires à cette cuisine s’avérait de plus en plus aisé. Après la succession des évènements du 11 mars 2011 et ses conséquences, notamment l’accident nucléaire, la question de la qualité auparavant associée à l’ensemble des produits japonais se trouve remise en question. L’agriculture et la pêche ont été particulièrement touchées, autant dans les régions littorales frappées par le tsunami que dans les zones contaminées par les fuites radioactives.
L’ancrage identitaire et territorial des productions agricoles, bien plus important que pour d’autres activités, va poser la question de la reconstruction d’une qualité associée aux régions et aux produits. Pour prendre toute l’ampleur des enjeux de la reconstruction, il faut se souvenir que l’agriculture japonaise a une longue expérience des catastrophes. Séismes, tsunamis, éruptions volcaniques et typhons, sans oublier leurs effets secondaires (inondations, glissements de terrain, incendies, etc.) ont toujours rythmé la vie dans l’archipel japonais. Leur énumération constitue un chapitre inévitable de l’histoire de chaque localité. L’actualité récente a une fois de plus rappelé cette terrible réalité, même si, pour la première fois, le surgissement de ce type d’événement naturel s’est accompagné d’effets secondaires inédits.
Ce numéro se propose de tenter de comprendre comment la qualité des produits issus de l’agriculture japonaise est maintenue à travers les siècles, malgré les menaces qui pèsent sur leur environnement. Par quels procédés la réputation de ces produits est soutenue, malgré les bouleversements inévitables au cours de l’histoire apportés par les catastrophes ? Une sélection inévitable se produit à chaque événement, qui diffère à chaque fois par son ampleur et son cadre. Comment se déroule la re-création d’un produit quand tout le contexte de sa production a été détruit ? La menace suscitée par la radioactivité lors du dernier évènement ajoute une dimension inédite à ces questions car la réflexion sur la qualité se double à présent d’une réelle question de sécurité. Les contributions ne se limiteront pas uniquement au Nord-Est du Japon, brutalement frappé par la succession d’évènements du 11 mars, mais considèreront sur le temps long l’ensemble du pays dans les rapports qu’il entretient avec une agriculture visant à fournir des produits de qualité dans un environnement imprévisible pouvant réduire à néant les efforts de générations.
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
LA GÉOGRAPHIE CULTURELLE
AU BRÉSIL
1 Paul CLAVAL Université Paris IV-Sorbonne
RésuméL’unité et la diversité humaines du Brésil favorisent l’étude des faits de : culture. Apparue dès les années 1930 sous l’influence de Pierre Deffontaines, l’approche culturelle en géographie piétine lorsque triomphent les travaux quantitatifs à l’américaine des années 1970, ou les courants critiques des années 1980. Comme dans les autres pays occidentaux, les recherches modernes traduisent le tournant culturel, pris au Brésil par le Centre de Recherche sur Espace et Culture (NEPEC) qu’animent Zeny Rosendahl et Roberto Lobato Corrêa. Ce groupe fait connaître les travaux menés en Allemagne, en France ou dans les pays anglophones ; il est à la pointe des recherches en géographie religieuse. Les travaux de géographie culturelle résultent aussi de l’approfondissement de certains des aspects de la nouvelle géographie (perception, cartes mentales, territorialité), ou de préoccupations critiques, comme le montrent les travaux du Centre de Recherche sur l’Espace et les Représentations (NEER).
Mots-Clés : Culture, tournant territorialité.
culturel, géographie religieuse,
perception,
Abstract: The human unity and diversity of Brazil invites to cultural analysis. Born in the 30s under the influence of Pierre Deffontaines, the cultural approach in geography made no progress at the time when the quantitative methods (in the 70s) and the critical orientations (in the 80s) were dominant. In the 90s, modern trends were responsible for the cultural turn of geography, led in Brazil by the Research Centre on Space and Culture (NEPEC), under the aegis of Zeny Rosendahl and Roberto Lobato Corrêa. This group diffuses the main results of German, French, English or American research. It specializes in religious geography. Developments in cultural geography result also from the deepening of some aspects of the New Geography (perception, mental maps) or critical theory, as showed by the Research Centre on Space and Representations (NEER).
Keywords: Culture, cultural turn, religious geography, perception, territoriality.
1. Courriel : p.claval@wanadoo.fr
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
La géographie moderne arrive au Brésil dans les années 1930
Les publications géographiques ne manquent pas dans le Brésil du e XIX siècle : récits de voyages écrits par des étrangers et de plus en plus par des Brésiliens ; inventaires administratifs selon le modèle statistique alors à la mode. Les institutions en portent encore la marque : l’Institut statistique brésilien, l’équivalent de l’INSEE, s’appelle IBGE, Institut brésilien de géographie et de statistique.
Sous sa forme moderne, la géographie arrive au Brésil au début du e XX siècle. Elle y est véhiculée par des Brésiliens éduqués à l’étranger, comme Carlos Delgado de Carvalho ou Everardo Backhauser. L’inspiration est française pour le premier, allemande pour le second. Ce qu’ils retiennent des travaux européens, c’est surtout l’étude de l’État et la géopolitique : ce domaine est déjà vivant au Brésil dans les années 1930.
Une seconde greffe se produit alors : elle donne naissance à la géographie universitaire. L’État de São Paulo d’abord, le gouvernement fédéral ensuite, décident de moderniser l’enseignement supérieur : ils font appel à la France. Pierre Desfontaines part pour l’université de São Paulo, puis gagne l’université fédérale de Rio de Janeiro, que l’on vient l’une et l’autre de créer ; Pierre Monbeig lui succède à São Paulo. À l’inspiration française s’ajoute celle venue d’Allemagne : elle est véhiculée par un exilé, Leo Waibel.
La géographie change d’échelle : elle complète l’étude des réalités étatiques par celle des campagnes, des villes, des régions. Les géographes brésiliens apprennent leur métier sur le terrain, en observant, en enquêtant : ils sont les premiers universitaires brésiliens à sortir de leurs cabinets pour appréhender directement le réel – avec les ethnologues, inspirés eux aussi par des professeurs français, Roger Bastide ou Claude Lévi-Strauss.
Deffontaines, l’influence géographie culturelle
française et les premiers travaux de
La géographie que pratique Pierre Desfontaines est largement culturelle. Les articles qu’il rédige à l’occasion de son séjour le montrent. Deffontaines s’interroge par exemple sur l’origine des villes brésiliennes (Deffontaines, 1938). Beaucoup sont nées de l’initiative de grands propriétaires érigeant une église pour répondre aux aspirations de leurs dépendants. Une ville se développe alentour – une "ville du dimanche", aux premiers temps et, souvent, assez longtemps : les fidèles quittent leurs maisons disséminées dans la campagne le samedi soir ou le dimanche tôt le
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
matin ; ils marchent des heures, assistent à la messe, rentrent chez eux le jour même ou le lendemain. Pour se reposer et jouir un peu de la ville, ils s’y construisent une maison, qui n’est, au vrai, qu’une résidence secondaire.
L’inspiration culturelle se lit dans les ouvrages que Pierre Deffontaines rédige, ou dans ceux dont il passe commande pour la collection de géographie humaine que Gallimard lui confie au début des années 1930. Ils sont bâtis sur le modèle deL’Homme et la forêt ou L’Homme et la montagne: comment les sociétés s’insèrent-elles dans les milieux où elles vivent ? Quelles ressources en tirent-elles ? Quelles techniques et savoir-faire mobilisent-elles pour ce faire ? Quelles marques les groupes humains impriment-ils sur les paysages ?
L’exemple que donne Pierre Deffontaines n’est pas sans postérité au Brésil. Dans les années 1940, Alberto Ribeiro Lamego Jr. rédige ainsi quatre études consacrées à "L’Homme et lebrejo" (1946) (les versants relativement humides des montagnes de l’intérieur aride du Nordeste), "L’Homme et larestinga" (1946), "L’Homme et la Guanabara" (les milieux de la baie de Rio) (1948), "L’Homme et la montagne" (1950).
Une place modeste face aux orientations quantitatives des années 1970 et à la géographie radicale des années 1980
L’approche culturelle demeure cependant minoritaire. La géographie d’inspiration française multiplie les monographies locales et régionales, mais est plus sensible à la progression du peuplement et aux réalités démographiques et économiques qu’aux spécificités culturelles des zones qu’elle étudie. Le caractère répétitif de ces travaux finit par lasser : dans le courant des années 1960, les jeunes géographes brésiliens aspirent à autre chose. Ils critiquent les pratiques et les institutions inspirées du modèle français – les excursions et les stages de terrain en particulier. Ils rêvent d’économie, d’actualité. Cela explique la large diffusion des idées et des ouvrages de Pierre George. Cela favorise surtout le succès des approches quantitatives, propagées depuis les États-Unis, à un moment où les militaires au pouvoir veulent détacher le Brésil d’une Europe trop progressiste et préfèrent les démarches pragmatiques des Américains.
La fin de la dictature entraîne un second revirement : après la géographie régionale française, c’est la géographie quantitative d’inspiration américaine qui est attaquée. Les approches radicales s’imposent ; le prestige de Milton Santos, qui profite de l’amnistie pour revenir au pays, contribue à leur succès.
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Géographie et Cultures, n° 78, été 2011
Est-ce à dire que les approches culturelles aient complètement disparu entre 1950 et la fin des années 1980 ? Non, mais leur situation reste marginale. En Amérique du Nord et en Europe, le renouveau de l’approche culturelle est marqué, au début des années 1970, par le courant humaniste qui s’interroge sur le sens des lieux, la région vécue ou la territorialité. Il ne rencontre pas un écho immédiat dans un Brésil qui copie la nouvelle géographie anglo-saxonne ou réagit contre celle-ci en se tournant vers le radicalisme. Le tournant culturel s’esquisse cependant grâce à des orientations originellement issues de la nouvelle géographie : on s’attache à la perception de l’espace et aux biais qu’elle introduit, aux cartes mentales et aux représentations. L’université de Rio Claro, où Livia de Oliveira et Lucy Machado animent une réflexion originale sur la pédagogie de la géographie et les problèmes de cognition, joue un rôle important dans la diffusion de ces thèmes. La traduction de livres de Yi-fu Tuan, en 1980 et 1983, introduit les orientations phénoménologiques.
L’approche culturelle s’affirme au Brésil dès le début des années 1990
Au Brésil, comme dans les autres pays occidentaux, le tournant culturel de la discipline s’affirme dans les années 1990. Certains collègues adoptent alors cette approche, la font connaître et la structurent. Zeny Rosendahl crée ainsi, à Rio de Janeiro, en 1994, un laboratoire ; sur le modèle de celui que je dirigeais à Paris depuis le début des années 1980, elle l'appelle "Espace et culture" : c’est le NEPEC,Nucleo de Estudos e Pesquisas em Espaço e Cultura, le "Centre d’Etudes et de Recherches sur Espace et Culture". Dès la fin des années 1990, le succès des nouvelles orientations est évident : lorsqu’il organise des conférences, le NEPEC est à tel point submergé de propositions de communications qu’il ne procède bientôt plus que par invitation.
Le NEPEC est dirigé par Zeny Rosendahl et Roberto Lobato Corrêa. Ses travaux suivent essentiellement deux lignes : sous l’impulsion de Roberto Lobato Corrêa, le Centre traduit et publie en portugais les textes fondateurs allemands, français et anglais de la démarche culturelle ; à l’initiative de Zeny Rosendahl, il fait une place de choix à la géographie religieuse. Culturellement, le Brésil est bicéphale, dominé à la fois par Rio de Janeiro et São Paulo : pour beaucoup de jeunes géographes brésiliens, le NEPEC est une expression de cette centralisation traditionnelle.
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