anthropologie l es 100 ans d’un géant Claude Lévi-Strauss, dont on fête le centenaire, a révolutionné notre vision des sociétés humaines. Retour sur l’itinéraire de l’anthropologue mondialement célèbre. l e 28 novembre 2008, l’anthro- retrouve à l’université de São pologue Claude Lévi-Strauss Paulo, en compagnie de l’histo- aura 100 ans. Universellement rien Fernand Braudel et de l’an- connu, l’auteur de Tristes Tro- thropologue Roger Bastide. Et piques (1955) sera célébré ce une rencontre fondamentale a jour-là un peu partout dans le bientôt lieu : en 1935 et 1936, monde. Que ce soit à Saint-Pé- avec son épouse d’alors, Dina tersbourg, à Paris, à São Paulo Dreyfus, Claude Lévi-Strauss ef- ou au Gabon, de nombreuses fectue une expédition ethnogra- manifestations seront consa- phique en Amazonie. Ainsi s’ap- crées à ce géant de la pensée. proche-t-il pour la première fois Auteur d’une œuvre savante de groupes indiens. D’abord les d’une virtuosité intellectuelle Bororo et les Caduveo, puis, lors éblouissante, ce penseur du d’un second voyage en 1937- exx siècle aura pendant des an- 1938, les Nambikwara, Munde nées cherché à comprendre le et Tupi-Kawahib. fonctionnement des sociétés r encontres capitaleshumaines. Catherine Clément, une de ses plus importantes bio- Il rentre en France à la veille de graphes, résume ainsi son che- la guerre.
Claude Lévi-Strauss, dont on fête le centenaire, a révolutionné notre vision des sociétés humaines. Retour sur l’itinéraire de l’anthropologue mondialement célèbre.
le 28 novembre 2008,l’anthro-pologue Claude Lévi-Strauss aura 100 ans. Universellement connu, l’auteur deTristes Tro-piques sera céléré ce (19 our-là un peu partout dans le monde. ue ce soit à Saint-é -tersourg, à aris, à São aulo ou au aon, de nomreuses maniestations seront consa -crées à ce géant de la pensée. uteur d’une œuvre savante d’une virtuosité intellectuelle élouissante, ce penseur du xxesiècle aura pendant des an -nées cherché à comprendre le onctionnement des sociétés humaines. Catherine Clément, une de ses plus importantes io -graphes, résume ainsi son che -minement «Fondée sur l’in-tuition que des structures inconscientes régissent jus -qu’au moindre détail le fonc -tionnement des sociétés, la pen -sée de Lévi-Strauss se déploya ensuite dans toute son am -pleur, en explorant la magie, la religion, les formes artistiques, les formes classifi-catoires etpè enfin les mythes, mythes qui en sont le support pour l’expres -l ttli, audont convoquéexixesiècle, sion de l’émotion collective»Claude Lévi-Strauss fut l’un des les historiens traitaient lorsque ais comment devient-on Claude Lévi-Strauss é àtauéhxoxretéa,sneicisiècle,cotmimaeslénéadiafrinMa,laruqeolsrouad,lfénoutèmessdu ruelles en 190, l’anthropolo -gue raconte ue l’epérience ui structures du sstème lescourant des sciences humaines a changé sa vie est datée d’«unmodèduingulelsi’qiuartisnipguinstditai,euqitsileuqelenocerecnurtsrutc.teaLitapisalcuitnocderpdo dimanche de l’automne , àles structures d’une langue de la logique des rapports eistant h du matin». Un coup de il du directeur de l’cole normalensemlemnisédnasnueléérseucosntmetneisulperliéarlardeenéh.elaicosétcellearolepodelapr’dparprutneet supérieure lui propose d’aller n ce sens, on parle organisé.Toutefois, comme le rappelle enseigner la sociologie au ré - structures du cerveau, des desl’anthropologue Maurice sil. ans, l’agrégé de philoso-phie ui a découvert l’ethnolo -àédodieelrSS,laonitnoedstructureétaitolpiqitssmetè.eutéoarenlapde’dnuelscleuedserutcurts gie en lisant oert . Lorie se
78ScienceS et Avenir - décembre 2008
retrouve à l’université de São aulo, en compagnie de l’histo -rien ernand raudel et de l’an -thropologue oger astide. t une rencontre ondamentale a ientôt lieu en 19 et 19, avec son épouse d’alors, ina reus, Claude Lévi-Strauss e -ectue une epédition ethnogra -phiue en maonie. insi s’ap -proche-t-il pour la première ois de groupes indiens. ’aord les ororo et les Caduveo, puis, lors d’un second voage en 19-19, les amiara, unde et upi-aahi.
enonres aaes l rentre en rance à la veille de la guerre. près la déaite, il est révoué du lcée de ontpellier où il a à peine enseigné trois se -maines, du ait de la législation antiuive du gouvernement de ich. Claude Lévi-Strauss, ui n’a pu otenir de visa pour le résil, parvient à uitter la ran -ce pour les tats-Unis. n 191, il est accueilli à e or à la e School or Social esearch (SS, dans le cadre d’unprogramme d’aide au eilés soutenu par la ondation oc -eeller. Là, avec uelues autres, il onde l’cole lire des hautes études. e or sera un lieu de rencontres capitales. endant la traversée eectuée sur leapitaine-aul-Lemerle, il a ait la connaissance du sur-réaliste ndré reton. Un peu plus tard, ce seront an a, a rnst, arc Chagall, ar-cel uchamp… ès son arrivée, il a aussi reoint la rance lire et travaille à la radio
Claude Lévi- Strauss photographiéen décembre .
décembre 2008 - Science S et Avenir79
thpli
i lianthropologue, directeur d’études à l’SS, arisphilipp l « Un savant de son temps »riseregd,anaecurseeslèolCaugoloporhforp,eutn « pour évauer l’onla portée de ne peut plus se passer d’une analse«Son œuvre, l’une certaines des critiues ui de l’évolution de l’homme ni de celle des lui ont été opposées, il esttransormations de ses ormes d’eistencedes plus complees nécessaire de rappeler ue sociale. l n’ a pas eu de ig ang, maisduxxesiècle » Lévi-Strauss est un savant des transormations successives.de son temps en anthro- n 190, la thèse de Lévi-Strauss est ue pologie, avant la Seconde uerre mondia - la parenté est avant tout alliance et ue« rs es ros grandsle, époue où il eectue ses missions de l’alliance est universellement ondée surthéoriciens d’avant-guerre terrain en mériue, il se situe dans un l’échange des emmes par et entre les u’étaient mile ur-contete ou perdure un évolutionnisme hommes.Cette thèse a été ensuite orte - heim, arcel auss etunilinéaire datant duxixe critiuée à la ois par des anthropo - mentsiècle. L’histoireLucien Lév-ruhl, Claude de l’humanité est une succession de troislogues ui ont montré ue l’échange -Lévi-Strauss a été le pre stades sauvagerie-ararie-civilisation. des emmes n’était pas universel, et par mier à reprendre, avec une très grande ans son grand livre surles Structures des prolèmes anthropologi -les mouvements éministes ui voaient amition, élémentaires de laparenté ues cette thèse un argument en aveur complees. as de l’interprétation dans, Lévi-Strauss commence par répudier l’évolutionnisme de la domination universelle des hommes ethnographiue, mais des uestions véri -et le pschologisme. Son approche lui a sur les emmes. éanmoins l’hpothèse talement ondamentales à peine aor -suggéré l’idée u’une sorte de ig ang du de Lévi-Strauss s’appliue à de nomreu - dées à la in duxixesiècle «u’est-ce langage articulé avait émergé un our, à la ses sociétés et il aut reconnaître la orcequi fait le propre de l’homme dans la di -suite duuel l’humanité avait pu penser de de son approche ui aisait du taouversité de ses manifestations sociales » açon smoliue. t en conséuence, ellede l’inceste, de l’échange et de l’eogamie«u’est-ce qui est à l’œuvre dans la pen -aurait décidé d’interdire les relations trois éléments d’une même chaîne desée mythique » «eut-on produire une seuelles entre consanguins, aisant émer-relations sociales. é n é r a l e dt h é o r i e g o r m e s e s fger la règle de la prohiition de l’inceste.l aut donc savoir lire Lévi-Strauss, un desde mariage »… otre espèce serait ainsi passée de la na - plus grands penseurs duxxesiècle. Sur la CheLévi-Strauss, il a surtout eu, année ture à la culture, de l’animalité à l’huma - route de la connaissance, il a apporté après année, décennie après décennie, la nité. Cela est auourd’hui contesté. l est eaucoup et l’on doit s’appuer sur son volonté de construire une œuvre d’une indéniale ue l’humanité a évolué et ue œuvre pour aller plus loin. » très grande « sstématicité », aordant les principau domaines de la vie sociale. Son œuvre a consisté à montrer com -l i htacognsita-su’litrsvenihiCdeéopologueanthresruà,rpfoseonsoudesm-sedsalciisitac.deeuscetoiitssdumnouudormlaergeeémtnem « Une pensée très vivante au Brésil »ttohuets.àceosucphoosnesvouiaiatdleaunrseunnt.eCroomchmeessaistructure métamorphiue, simplement s exvie se,avec Strauss parceacuis lors de son séour à e u’un éclairage l’avait modiié, « ontaigne, et plus tard or – e pense surtout au surréalisme et alors ue ce n’était u’un magma. ans avec ousseau – deu à la linguistiue structurale –, ce sont des l’œuvre de Lévi-Strauss, il a en ait deu auteurs dont, à des titres réleions inspirées de cette rencontre choses. Une méthode, l’analse structu -divers, Lévi-Strauss s’est avec les ndiens ui donnent le ton et les rale, ui est mise en œuvre sur des oets touours senti proche –, le thèmes du livre. n peut donc dire – et particuliers et par ailleurs, une philoso-résil indien a été une source de réleion celasurtout à partir de 19 et des volu - phie générale de la vie sociale. Celle-ci philosophiue pour la rance (et partant mes dessuelohtqigoy aussi ien dans ses écrits sur s’eprime– u’il aut pren-pour l’ccident. l est le premier rançais l’esthétiue, ue dans une sorte de pessi -dre à la lettre ce ue Lévi-Strauss dit dans à avoir directement connu plusieurs so - sa célère ouverture du livre intitulélemisme sur le destin de l’humanité… ciétés indiennes avec une sensiilité à laru et le uit ue la pensée mthiue in-l a aussi eu de très grands malentendus, ois de philosophe et d’anthropologue. Le dienne prend orme à travers la sienne ustement dus à la compleité de sa pen -résultat est étonnant. l transparaît dans tout autant ue la sienne prend orme à sée, elorescence aroue d’intuitions, les pages deTristes Tropiques et d’idées aillissant en con - d’hpothèses la pensée mthiue indienne. travers, un livre dans leuel Lévi-Strauss s’est donné une éanmoins, si la pensée de Lévi-Strauss tinu ui, parois, paraissaient entretenir grande lierté. est touours très vivante au résil, on ne le un rapport asse lointain avec la méthode ien sûr, l’ouvrage a été pulié à presue lit plus guère au tats-Unis, où l’on sem - des anthropologues classiues. n scien -deu décennies de distance des voages le d’ailleurs croire ue la vogue du post- ces sociales, la pensée de Lévi-Strauss ue Lévi-Strauss avait eectués au résil, structuralisme (un courant philosophiue demeure la plus complee duxxesiècle. après ses très importants séours au né dans les années 190 dans le sillage de e ce ait, elle est ort mal connue, et tats-Unis. t pourtant, ien plus ue les oland arthes et acues errida a si - nécessairement travestie et réduite à des éléments ormateurs de la pensée de Lévi- gniié le décès du structuralisme. » clichés. »Propos recueillis par B. A.
80ScienceS et Avenir - décembre 2008
Claude Lévi-Strauss en campement près de la rivière achado (maonie) lors de ses epéditions de - avec son singe Lucinda. auprès de l’ice ar cise « intérêt pour les travau de l’an - tion sur le désenchantement etLes mythes ne disent normation ( ue dirige thropologue néerlandais osse - la in de l’eotisme demeurerien qui nous instruise sur l’or-ierre Laare. lin de ong, lui permettent de inouliale «e hais les voya-dre du monde, la nature du réel, entré en rance après la guer- ormaliser une méthode sur lages et les explorateurs» n -l’origine de l’homme ou sa des re, il soutient à aris en 19 une ase d’intuitions u’il avait déà 19, une autre œuvre connaîttinée Les mythes nous appren -thèse intitulée Les Structureseues en lisant un ouvrage du si - aussi un vi succès. l s’agit dela nent eaucoup sur les sociétés élémentaires de la parenté arcel ranet sur les. nologueensée sauvage. our Claudedont ils proviennent, ils aident ans cette œuvre maîtresse, où catégories matrimoniales en Lévi-Strauss, entre-temps élu àà exposer les ressorts intimes il décrit de açon théoriue les Chine. e cet auteur, il conierala chaire d’anthropologie du Col -de leur fonctionnement» sstèmes matrimoniau, Claude d’ailleurs en 19 «Toute malège de rance,« la pensée ma- -lu en 19 à l’cadémie ran Lévi-Strauss démontre déà ue gique »réflexion sur les systèmes de çaise, Claude Lévi-Strauss seet la science sont à con-la pensée dite primitive n’eisteparenté vient de là» sidérer retire comme deu modes de dans les années 190 des pas. ue ien au contraire, il outeois, pour le grand pulic, connaissance diérents, u’ilracas d’un monde «qu’il n’aime s’agit d’une pensée complee et le morceau de ravoure date de aut mettre en parallèle.pas», et pour leuel il déplore sophistiuée. ue la culture est 19. L’« essai » transormé ui Suiteà ses conérences du Col - eplicitement la séparation ue un univers de règles, et ue cel - suscite l’admiration, et ue lelège de rance où il enseigne us -l’humanité a étali entre elle-les-ci constitueront l’oet d’étu - ur oncourt regrettera de ne u’en 191, Claude Lévi-Strauss même et le reste du vivant. ou -de de l’ethnologue. n s’inspi -pouvoir couronner car il ne s’agit pulieseuylohtqigo, une étudeteois, auourd’hui encore, le rant de la linguistiue u’il a pas d’un roman, s’intituleTristes -des mécanismes de onctionne - de orce de sa pensée de tour prise pour modèle, en particuliertropiques ment de l’esprit humain. l pré -Sa phrase d’introduc- meure sa théorie de la culture « la phonologie structurale », il « -Toute culture peut être consi introduit cette méthode dansdérée comme un ensemle de l’anthropologie. L’étude des lisystèmes symoliques au pre -« sstèmes de parenté » estLes Cahiemier rang desquels se placent le aordée comme celles des « ss-tit tpiq,rs de l’erne,langage, les règles matrimonia -coll. « Terres umaines », p., e. tèmes phonologiues ». «l estocet, ,e. il,cetles, les rapports économiques, parti du principe que la scienceŒ,pulication des septl’art, la science, la religion sociale ou humaine qui avaitouvrage comporte les photosTous ces systèmes visent à ex -atteint le plus haut degré de pré -livres maeurs de Claude(voir l’une d’elles ci-dessus)primer certains aspects de la cision et de formalisation pourLévi-Strauss, iliothèque de prises par Claude Lévi-Straussréalité physique et de la réalité la description des phénomènes maonie, entre et enla léiade, allimard,sociale, et, plus encore, les rela -était la linguistique,et qu’il fal- p., e. . lon, p., e.tions que ces deux types de réa -lait donc s’en inspirer», préciset,ilplusieursl lit liqsymuesseseulemssyètetrentqetxeurtneétinenneitel hilippe escola, du Collège detetes méconnus de l’auteur, coll. Catherine Clémentoeux-tneselettrnniememêensrance. Sa rencontre à e, accompagnés de tetes de « ue sais-e » ,uns avec les aut or avec le linguiste russe o - man aoson, mais aussi son p., , ses meilleurs connaisseurs,e.Berrneasde»tte Arnaud