Fairyland, d’Alysia Abbott, Premières pages
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1 Chaque oîs que mon père décrîvaît e deux pîèces qu’î partageaît avec ma mère sur Peachtree Street, î me paraît des poîssons. Lorsqu’îs emménagèrent ensembe, îs avaîent peu d’argent pour a décoratîon. Tapîs orîentaux curîeusement tachés, bufets ayant jadîs eu ière aure et dîférentes partîes de canapés urent récupérés ors de ventes-îquîdatîons et rapportés à a maîson dans un pîck-up emprunté. L’argent dont îs dîsposaîent, donné par es parents de ma mère, îs e consacrèrent à des poîssons tropîcaux qu’îs achetèrent un beau jour d’enthousîasme romantîque. Dans ’entrée de eur appartement se trouvaît un aquarîum împosant, au verre épaîs, dans eque îs avaîent mîs des scaaîres. On passaît un rîdeau de peres quî tîntaîent, et, une oîs dans e bureau, î y avaît deux autres aquarîums. Dans e premîer, des gouramîs embrasseurs nageaîent aux côtés de mînuscues guppys beu et vert autour d’arbres en pastîque et d’une petîte igurîne de Neptune recouverte d’agues. Dans ’autre, sur e mur d’en ace, évouaîent des pîranhas d’Amérîque du Sud, à quî mes parents donnaîent de a vîande à hamburger crue chaque soîr avant de se coucher. Quand mes parents se sont rencontrés pour a premîère oîs, à une ête du SDS, et que mon père a apprîs à ma mère qu’î étaît bîsexue, ee a répondu : « Ça sîgnîie que tu peux aîmer ’humanîté entîère et pas seuement une moîtîé. » On étaît en 1968, et tout e monde paraît de révoutîon.

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Publié le 01 avril 2015
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1
Chaque oîs que mon père décrîvaît e deux pîèces qu’î partageaît avec ma mère sur Peachtree Street, î me paraît des poîssons. Lorsqu’îs emménagèrent ensembe, îs avaîent peu d’argent pour a décoratîon. Tapîs orîentaux curîeusement tachés, bufets ayant jadîs eu ière aure et dîférentes partîes de canapés urent récupérés ors de ventes-îquîdatîons et rapportés à a maîson dans un pîck-up emprunté. L’argent dont îs dîspo-saîent, donné par es parents de ma mère, îs e consacrèrent à des poîssons tropîcaux qu’îs achetèrent un beau jour d’enthou-sîasme romantîque. Dans ’entrée de eur appartement se trouvaît un aquarîum împosant, au verre épaîs, dans eque îs avaîent mîs des scaaîres. On passaît un rîdeau de peres quî tîntaîent, et, une oîs dans e bureau, î y avaît deux autres aquarîums. Dans e premîer, des gouramîs embrasseurs nageaîent aux côtés de mînuscues guppys beu et vert autour d’arbres en pastîque et d’une petîte igurîne de Neptune recouverte d’agues. Dans ’autre, sur e mur d’en ace, évouaîent des pîranhas d’Amérîque du Sud, à quî mes parents donnaîent de a vîande à hamburger crue chaque soîr avant de se coucher. Quand mes parents se sont rencontrés pour a premîère oîs, à une ête du SDS, et que mon père a apprîs à ma mère qu’î étaît bîsexue, ee a répondu : « Ça sîgnîie que tu peux aîmer ’humanîté entîère et pas seuement une moîtîé.» On étaît en 1968, et tout e monde paraît de révoutîon. Mon père revenaît
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tout juste d’un été passé à Parîs ; a vîe bouîonnaît encore des révotes du moîs de maî, quand es étudîants camaîent : « Soyez réaîstes, demandez ’împossîbe ! » Maîntenant, dans es has des unîversîtés amérîcaînes, es étudîants quî s’opposaîent à a guerre duVîetnam aîsaîent ermer es campus de Berkeey et de Coumbîa. Ma mère étaît întrîguée par ’ouverture d’esprît de mon père en matîère de sexuaîté. Ee ne s’est jamaîs ormaîsée de ses béguîns pour des garçons, contraîrement aux autres petîtes amîes que mon père avaît eues. Ee étaît unîquement jaouse des reatîons qu’î pouvaît avoîr avec des emmes et, seon papa, ee aaît jusqu’à apprécîer es garçons par quî î étaît attîré. Les week-ends, îs aaîent au Cove ou dans d’autres bars gays et mîxtes dîssémînés en pérîphérîe d’Atanta. Là, ma mère choîsîssaît des jeunes hommes que mon père n’auraît jamaîs attîrés à uî tout seu – des hommes quî n’envîsageaîent pas une reatîon homosexuee, maîs quî pourraîent être partants pour une aventure à troîs acooîsée. Dans ces premîères années de a révoutîon sexuee, î étaît de bon ton chez es jeunes gens de tenter de nouvees combînaîsons. ï arrîvaît que ma mère s’habîe en homme orsqu’îs sortaîent. Papa dîsaît qu’î a trouvaît charmant garçon. Certaîns week-ends, mes parents organîsaîent des êtes à a maîson, îs recevaîent eurs amîs pacîistes et étudîants de troîsîème cyce, eur servaîent des spaghettîs, du vîn rouge bon marché et ’on jouaît à se aîre devîner des mets. Papa a écrît sa satîsactîon à a in de ces soîrées ; îs se voyaîent, uî et ma mère, comme ches de ie d’un saon d’étudîants înteectues et engagés.Tandîs qu’îs rangeaîent, un soîr, à a in d’une de ces soîrées, ma mère a suggéré qu’îs se marîent : « Les proprîétaîres d’appartements ne nous enquîquîneront pus autant, it-ee vaoîr. On pourra équîper a cuîsîne et a maîson grâce aux cadeaux de marîage. Mes parents nous donneront pus d’argent.
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À part ça, notre vîe ne changera pas vraîment.» Mon père a écrît qu’ee s’est mîse à baayer e îno, éîmé, « comme sî toutes es questîons en suspens dans notre vîe pouvaîent être rassembées dans une pee à poussîère et jetées à a poubee ». Mes parents se sont marîés e 20 évrîer 1969 dans e bureau d’un juge de paîx du centre-vîe d’Atanta. Aucun membre de a amîe ne ut învîté. Aucune photo de marîage ne ut prîse. Au début, îs ont apprécîé a nouveauté de a vîe matrîmonîae. « C’étaît comme un jeu, ou une sîtcom», a écrît mon père. Mes parents dîsaîent en paîsantant qu’î étaît comme un pîonnîer, tout de lanee vêtu, quî rentraît à a maîson après sa ongue journée de cours, pour retrouver une emme bîenveîante, quî prépa-raît à dner ou aîsaît a vaîssee pendant qu’î se consacraît au travaî sérîeux d’étudîant de matrîse et d’aspîrant écrîvaîn. Maîs, queques moîs seuement après eur marîage, eur vîe a néanmoîns changé. Leurs amîs étudîants ont prîs eurs dîstances, décîdant peut-être que maîntenant que mes parents étaîent marîés îs préé-raîent être seus. Ma mère commençaît à être agacée par a scène gay, à s’en asser, tandîs que mon père, uî, s’ennuyaît dans a vîe domestîque. ïs étaîent marîés depuîs quatre moîs quand mon père eut vent de perturbatîons dans GreenwîchVîage, à NewYork. Dans a nuît du 28 juîn 1969, une oue d’homosexues hommes et de travestîs s’opposèrent à une descente de poîce de routîne au Stonewa ïnn, un bar gay tenu par a maia, sur Chrîstopher Street. Les nuîts suîvantes, de vîoents afrontements et des manîestatîons marquèrent e début du mouvement en aveur des droîts des homosexues. ïnspîré par cet événement et par sa découverte du pérîodîque cutureGay Sunshîne, mon étaît aors présîdent dupère, quî Conseî des étudîants d’Emory, rédîgea pour e journa étudîant un artîce dans eque î aîsaît pubîquement son comîng-out, expérîence qu’î commenta par écrît utérîeurement :
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Comme j’avaîs une femme, personne ne pouvaît remettre en cause ma vîrîîté.À ’évîdence, je n’étaîs pas gay, pour cause de compexe sexue vîs-à-vîs des femmes. Assurément, cea m’a permîs de faîre mon « comîng-out » de manîère bîen pus pubîque et agressîve que je ne ’auraîs faît sînon. Et pourtant, on me ’a faît payer cher. J’aî perdu des amîs. D’après Barb, e pus dur, a-t-ee dît, ce fut a « compassîon » de ses amîes hétéros. « Comment tu peux e supporter ? » demandaîent-ees. Ees refusaîent d’accepter que ça ne ’ennuyaît pas tant que ça.
Au i des deux années suîvantes, mon père partîcîpa à ’orga-nîsatîon du Front de îbératîon gay d’Atanta, un mouvement parmî des centaînes d’autres quî vîrent e jour sur es campus amérîcaîns dans e sîage des émeutes de Stonewa. ï ut aussî nommé rédacteur spécîaîste des questîons homosexuees dans The Great Specked Bîrdtoutaternatî d’Atanta, , ’hebdomadaîre en partageant sa vîe et son ît avec sa emme. Et puîs, par une chaude soîrée du prîntemps 1970 – mes parents étaîent aors marîés depuîs un an –, ma mère entra dans e bureau où mon père étaît assîs et, avec une certaîne sévérîté et de manîère înutîe, se mît à réarranger es chaîses, à mettre en tas bîen nets es papîers étaés en désordre sur e bureau. Je ’îmagîne en chemîsîer mauve roncé et mînîjupe en veours côteé brun, quî remontaît e ong de ses jambes nues chaque oîs qu’ee se penchaît pour ramasser une euîe éparse. Mon père admîraît sa carrure compacte, émînîne et eIcace dans ses mouvements. Fînaement, après avoîr remîs d’équerre un caendrîer suspendu au mur, ee s’est campée ace à uî. Dans son journa întîme, mon père se rappeera qu’aînsî écaîrée par a umîère beu-vert des aquarîums quî es entou-raîent ma mère uî apparut comme une créature marîne. Avec son eye-îner noîr et du mascara quî mettaîent en vaeur ses grands yeux, on auraît dît une méchante sortîe d’une tanîère sous a mer.
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« Je suîs enceînte, uî annonça-t-ee. – Je croyaîs que tu avaîs un stérîet. – Je ’aî retîré.Tu ne t’en souvîens pas ? » ï ne s’en souvenaît pas.Au bout d’un moment, î a demandé : «Tu penses qu’on devraît garder e bébé ? Je ne nous voîs pas vraîment avec un bébé îcî.» ï a îndîqué d’un geste ’apparte-ment, quî semba rapetîsser autour de uî. « Je veux ce bébé. – Je ne saîs pas sî nous sommesprêts… Et puîs î y a ’aspect inancîer. Même avec ton saaîre et ’argent de ma bourse, on arrîve à peîne à joîndre es deux bouts. Je veux dîre… sî tu veux te aîre avorter, tu saîs, je seraî avec toî.» – Je veux ce bébé.» Mon père s’est sentî dans a peau de Fash Gordon, attaché sur une chaîse dans es proondeurs sous-marînes. ï a eu soudaîn très chaud, et du ma à respîrer. ï a scruté a pîèce à a recherche d’une échappatoîre. Maîs a sîrène peride a aît rétîer sa angue de serpent et réîtéré sa demande : Je veux ce bébé.
Cînq ans pus tôt, en hîver, durant sa premîère année unîver-sîtaîre, ma mère avaît obtenu du Smîth Coege une autorîsatîon d’absence et avaît emménagé à a Chander House, une cînîque d’accouchement pour jeunes ies enceîntes, à Evanston, dans ’ïînoîs, à troîs heures de voîture de chez mes parents, en dîrectîon du nord-est. Ce ut une pérîode dîIcîe. Mes grands-parents irent de nombreux eforts pour que a grossesse de ma mère demeure un secret, car, dans eur petîte bourgade du Mîdwest, cea auraît jeté ’opprobre sur a amîe. Ma mère ut admîse au oyer de jeunes ies sous un aux nom et ne revînt auprès de ses parents qu’après avoîr accouché de son bébé. Les regîstres du oyer îndîquent que ma mère étaît soîtaîre ; souvent, ee îsaît ou se promenaît par tous es temps sur es bords du ac
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Mîchîgan. Après a naîssance de sa ie, en maî 1965, ee sîgna es papîers par esques ee donnaît son enant à des gens qu’ee ne rencontreraît jamaîs. Durant es cînq moîs de son séjour au oyer, ma mère appea ma grand-mère presque chaque soîr. Mon once Davîd, quî avaît aors dîx ans, se souvîent avoîr décroché e combîné et entendu ma mère peurer. Les chambres étaîent à peîne chaufées, se paîgnaît-ee auprès de ma grand-mère. La dîrectrîce étaît brutae. Après cea, ma mère dormîraît chaque hîver avec une couverture chaufante verte d’une texture douce maîs granu-euse. Ma mère détestaît avoîr roîd, m’a conié mon père. Donc, en cette soîrée du prîntemps 1970, ma mère décara à mon père qu’ee vouaît me garder. Peut-être pensaît-ee que e aît d’avoîr un bébé changeraît mon père, e transormeraît en un marî pus attentîonné, ou bîen uî eraît oubîer son jeune amant, John Dae. Dans son journa întîme, papa se souvenaît qu’ee uî avaît dît que, s’î vouaît partîr, î e pouvaît. J’îmagîne eur conversatîon, papa croîsant et décroîsant es jambes, aîsant tomber a cendre de sa cîgarette dans une oreîe de mer quî servaît de cendrîer, sans pîper mot. Ee a u de ’hésîta-tîon et de a peur sur son vîsage, puîs uî a proposé un compromîs. « Sî j’aî ce bébé et que c’est trop pour toî, tu pourras t’en aer. Je ne te courraî pas après.Tu n’auras même pas à payer de pensîon aîmentaîre. J’en prendraî ’entîère responsabîîté.» Ma mère a înspîré proondément, puîs expîré. Ee a écarquîé ses yeux bruns avant de es pîsser en regardant ixement mon père.Assîs à côté d’ee, quî se tenaît debout, î a eu ’împressîon d’être un petît garçon. ï n’avaît aucun argument à aîre vaoîr. « Nous sommes marîés, écrîvît-î dans son journa. Ee est îbre d’être ee-même. En que honneur ’en empêcheraîs-je ? »
La nuît de ma naîssance, John Dae m’a dît que a puîe tombaît déîcatement dans es rues bordées de patanes devant
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’hôpîta de ’unîversîté Emory. ï attendaît avec mon père dans un couoîr de a maternîté. Mon père umaît une cîgarette et paraît avec nervosîté en attendant a naîssance de son enant. « Paroîs, je me surprends à vouoîr que ce soît un garçon, et je me demande ensuîte pourquoî je veux ça.» Mon père a croîsé a jambe droîte par-dessus a gauche, et son pîed baant étaît agîté d’un mouvement ébrîe. « Est-ce parce que… j’aî étécondî-tîonné? Ou bîen parce que j’aî besoîn depour vouoîr un garçon voîr une versîon de moî-même dans ce bébé ? » John a haussé es épaues, en se endant d’un sourîre pâe. ïs ont contînué à parer jusqu’à ce qu’une înirmîère apparaîsse dans ’encadre-ment d’une petîte porte. « Monsîeur Abbott ?Votre emme vîent de donner naîssance à une petîte ie en bonne santé. Ee se repose pour ’înstant, maîs vous pouvez voîr e bébé par a vître de a nursery de ’aîe sud, juste au bout du couoîr.» Mon père est venu se coer à a vître de a nursery, sî près qu’î y a eu de a buée. ï a scruté es nombreux vîsages à a recherche du mîen. Dans une ettre qu’î m’adressa utérîeurement, î décrîvît tous es nouveau-nés comme « autant de ruîts sur un étaage ». Quand î a trouvé e bébé correspondant à a iche «Abbott », î a étudîé es traîts de mon vîsage en se demandant sî je seraîs comme Angea Davîs, ’actîvîste des Back Panthers ameuse pour sa coupe aro, e poîng brandî en ’aîr au trîbuna. « Mon espoîr, écrîvît-î, étaît que tu prennes e monde par es oreîes et que tu poursuîves a révoutîon pour “Le Bîen”.» Maîs on ne m’a pas prénommée Angea. Mes parents vouaîent un prénom composé, « comme une vraîe beauté du Sud, expî-queraît pus tard mon père, du genre Peggy-Sue ou Betty-Joe ». Après avoîr compusé des îvres de prénoms à a maternîté, mes parents ont opté pour Aysîa-Rebeccah, quî sîgnîie « captîvante concîîatrîce ». ïs utîîseraîent ’abrévîatîon A-R. Pus tard, dans sa chambre de a maternîté, ma mère étaît aongée, me tenant contre sa poîtrîne. Tout son corps étaît
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dououreux. En voyant mon père, ee a sourî et m’a pacée dans ses bras. J’étaîs pus petîte que ce à quoî î s’attendaît. ï ne savaît pas me tenîr, et ma mère a rî et uî a montré comment aîre. Mon père a dît que je me tortîaîs dans sa maîn comme un petît reptîe et que j’aî ensuîte aît pîpî sur son bras. ï étaît aux anges.
DIMANCHE Aysîa – 1 œuf, 1 petît pot céréaes. 2 morceaux de paîn. Un petît pot compote. Barbara – 1 tartîne beurrée – jus de fruîts. Steve – 2 tartînes + coniture.
Steve – 3 tranches de bacon – 2 œufs. 4 tartînes. 1 verre de jus de fruîts. Barbara – 1 tartîne – fromage. Marshmaow. Jus de fruîts. Une poîgnée de noîx, noîsettes et fruîts secs. Aysîa – 6 cuîères à café de yaourt. ¼ petît pot pruneau. 1 marshmaow.
Ce message constîtue une surprîse au mîîeu du carnet de mon père daté de 1971. C’est a seue trace de ’écrîture de ma mère. Contraîrement aux pattes de mouches paternees, son écrîture à ee est soîgnée et contrôée, penchée à droîte, vers ’avenîr. Ee écrît avec un styo-eutre beu à poînte ine. Peut-être a sîtuatîon inancîère est-ee déîcate. Peut-être s’înquîète-t-ee de notre ratîon aîmentaîre quotîdîenne. C’est d’une maîn soucîeuse, d’une maîn maternee aîmante qu’ee dresse a îste des repas de a journée. La semaîne précédente, mon père avaît perdu son poste au Centre pour maades et arrîérés mentaux d’Atanta – un bouot que ma mère ’avaît aîdé à décrocher. Sî bîen que durant cette pérîode, pendant que ma mère poursuîvaît sa matrîse de psychoogîe en travaîant tous es jours au centre médîco-socîa, mon père s’empoyaît à vendre ses bandes dessînées à des
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journaux underground. ï restaît égaement à a maîson avec sa iette âgée de dîx-huît moîs, jouant e rôe révoutîonnaîre d’homme au oyer. Chaque jour, après avoîr passé des coups de i et envoyé des ettres exposant ses projets d’écrîture, papa me mettaît dans une poussette et me promenaît au Luwater Park. D’un petît sac en papîer, î sortaît des morceaux de paîn rassîs qu’î rompaît et me donnaît ain que je es ance aux canards. J’adoraîs regarder es canards aîre coîn-coîn et s’écabousser tout en bataîant pour ne pas manquer une mîette. Pour des raîsons d’argent, ma mère et mon père ont înstaé eur aquarîum dans un appartement pus grand, qu’îs parta-geaîent avec un coocataîre, un étudîant pacîiste quî s’appeaît Bî. En revenant du travaî un après-mîdî, ma mère a trouvé mon père en compagnîe de Bî et de ses amîs Jef et Phoenîx sur e canapé pendant que je jouaîs sur e tapîs orîenta avec une gîrae rose quî aîsaît de a musîque quand on a remontaît. Ma mère a annoncé qu’ee éprouvaît « d’întenses sentîments d’amour pour tout e monde ». Mon père m’a raconté qu’ee se paîsaît à îmagîner chacun comme aîsant partîe d’une grande amîe. Ma mère m’a prîse dans ses bras puîs m’a assîse sur e canapé tandîs que mon père, înterrompu par son arrîvée, reprenaît sa dîscussîon surMort de a famîe, de Davîd Cooper. « Cooper montre que a amîe en tant qu’înstîtutîon génère une vîoence subtîe vîsant à détruîre ’îndîvîdu.» La sonnerîe du tééphone a de nouveau suspendu eur conversatîon. Mon père a décroché. « C’est John ! » ï a emporté e tééphone dans a pîèce d’à côté maîs, magré sa voîx basse, ma mère pouvaît entendre à travers es portes-enêtres combîen î étaît excîté. John rendaît vîsîte à sa amîe à St. Louîs pendant ’été. « Comment va Aysîa ? a demandé John.
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– Super bîen. On communîque par téépathîe. C’est, genre, je saîs sur quoî ee est branchée même quand ee ne dît pas un mot. Barbara pense que je a “négîge”. Maîs je pense que A-R sent a sécurîté d’un amour proond avec moî.» John uî a annoncé qu’î vîendraît de St. Louîs pour e week-end et mon père a eu toutes es peînes du monde à contenîr sa joîe. «Vraîment ?Vendredî ? » Ma mère m’a prîse de nouveau dans ses bras et a quîtté a pîèce en tapant des pîeds. Papa s’est sentî gêné, e tééphone coîncé sous e menton comme pour se protéger. « Ee aît une scène dans a chambre d’Aysîa. ï aut que je raccroche.» Jef et Phoenîx avaîent trîppé à a mescaîne pendant tout ’après-mîdî. Ma mère es a raccompagnés en voîture chez eux pendant que mon père me gardaît en pîcorant des asagnes dans a cuîsîne. Ee est revenue vîngt mînutes pus tard et a ondu en armes, du mascara noîr dégouînaît sur son vîsage. « Pourquoî aut-î que tu débatères comme ça sur es méaîts de a amîe ? Sî on te pose probème, dîs-e-nous. – Ta réactîon ne aît que conirmer ce que je dîsaîs ! La struc-ture amîîae est corrosîve. Ee aîmente a paranoa et ’hostîîté. – Bouce-a sur ce sujet, tu veux bîen ? ’a-t-ee coupé. Ça t’arrîve, des oîs, de songer à mûrîr ? – Est-ce que je t’aî déjà rendue heureuse ? Est-ce qu’î t’est déjà arrîvé d’être peînement satîsaîte grâce à moî ? » En s’enten-dant commencer à crîer, mon père a essayé de se camer. « Ou… en supposant que je soîs tout ce que tu voudraîs que je soîs ? Eh bîen, tu seraîs quand même maheureuse.Tu es peut-être e genre de personne quî en veut toujours davantage.» Ma mère s’est remîse à peurer et est aée se réugîer à ’autre bout de a maîson en me tenant dans ses bras. Mon père ’a suîvîe. « Ça chaufe trop par îcî, a-t-î dît. Je pense qu’î seraît préérabe pour ’un et ’autre que je m’en aîe un moment.
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J’aî dîscuté avec Larry ’autre jour. ï a de quoî crécher à Frîsco et î m’a învîté. Je croîs que je vaîs accepter son învîtatîon.»
En janvîer 1973, mon père m’a envoyé une ettre îustrée :
Ce que faît papa Les pîeds de papa sont grands. Les pîeds d’Aysîa sont petîts. Aujourd’huî papa a prîs ses pîeds pour se promener dans e parc. En chemîn, papa a paré aux leurs. « Saut, Feurs.» Papa a vu un chîen-chîen. Le chîen-chîen a aboyé et remué a queue. «Wouf ! Wouf ! » Maîs papa pense à Aysîa et maman. Quand Aysîa sera endormîe, papa uî fera un gros bîsou. Bîentôt papa montera dans sa voîture et vîendra à a maîson. Ensuîte papa pourra rejouer avec Aysîa. « Saut, Bébé.» «Youp à ! » Aors on retournera voîr es canards.Aysîa pourra donner à manger aux canards. « Coîn, coîn ! »
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Quand Aysîa sera endormîe, papa uî fera un gros bîsou– détaî d’une ettre de Steve Abbott [1973]
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