Pierre Alexis Ponson du Terrail
ROCAMBOLE
LES MISÈRES DE LONDRES
Tome III
LA CAGE AUX OISEAUX
E. Dentu – 1868
Première publication en journal : La Petite Presse – Les
Misères de Londres – 9 novembre 1867 au 2 juillet 1868 –
237 épisodes (cf mémento bibliographique).
Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières
TROISIÈME PARTIE NEWGATE LE CIMETIÈRE DES
SUPPLICIÉS .............................................................................4
I .....................................................................................................5
II.................................................................................................. 13
III ................................................................................................ 21
IV.................................................................................................28
V36
VI45
VII ...............................................................................................53
VIII .............................................................................................. 61
IX68
X ..................................................................................................75
XI.................................................................................................81
XII 88
XIII96
XIV ............................................................................................104
XV...............................................................................................111
XVI 118
XVII........................................................................................... 125
XVIII .........................................................................................132
XIX139
XX.............................................................................................. 147
XXI ............................................................................................ 155
XXII...........................................................................................163
XXIII ..........................................................................................171
XXIV 178 XXV ...........................................................................................185
XXVI..........................................................................................193
XXVII ........................................................................................201
XXVIII...................................................................................... 209
XXIX .........................................................................................216
XXX223
XXXI 230
XXXII........................................................................................237
XXXIII ......................................................................................245
XXXIV.......................................................................................252
XXXV259
XXXVI266
XXXVII .....................................................................................273
XXXVIII ................................................................................... 280
XXXIX.......................................................................................287
XL..............................................................................................294
XLI ............................................................................................301
XLII .......................................................................................... 306
XLIII312
XLIV319
XLV ...........................................................................................326
XLVI ..........................................................................................333
XLVII........................................................................................ 340
XLVIII .......................................................................................347
XLIX354
À propos de cette édition électronique.................................362
– 3 – TROISIÈME PARTIE
NEWGATE LE CIMETIÈRE DES
SUPPLICIÉS
– 4 – I
L’Irlandaise avait longuement causé, dans la chambrette du
clocher, avec l’homme gris, et, sans doute, elle savait ce qui al-
lait se passer, car elle ne fit aucune objection et monta dans le
cab à quatre places que Shoking, qui était allé en avant, eut
bientôt découvert.
– À Hampsteadt ! cria l’homme gris au cocher.
L’enfant ne demanda rien non plus.
N’était-il pas avec sa mère et avec l’homme qui l’avait sauvé
du moulin ?
D’ailleurs, cet enfant était presque un homme, – il l’avait
prouvé déjà.
Le courage, le raisonnement, ces deux qualités essentielle-
ment viriles, avaient chez lui devancé les années.
Ralph avait vu pour la première fois l’homme gris dans la
prison de la cour de police de Kilburn.
Tout ce que cet homme, qui lui avait parlé le cher idiome
de son pays, lui avait prédit, s’était réalisé.
Ralph avait donc confiance dans l’homme gris comme dans
sa mère, et lorsque celui-ci lui dit, tandis que la voiture roulait :
– Mon petit Ralph, seras-tu bien obéissant ?
– Oh ! oui, monsieur, répondit-il.
– 5 –
– Feras-tu tout ce que je voudrai ?
– Oui, monsieur.
Le cab traversa de nouveau Waterloo-Bridge, remonta les
beaux quartiers jusqu’à Holborn-street et prit la route
d’Hampsteadt.
– Est-ce que nous retournons chez mistress Fanoche ? de-
manda Shoking.
Ce nom fit tressaillir la mère et l’enfant.
Cependant, aucune crainte ne se peignit sur leur visage.
– Non, répondit l’homme gris. Nous allons simplement à
ma maison de campagne.
Shoking crut avoir mal entendu.
– Est-ce que vous avez une maison de campagne à Hamp-
steadt, maître ? demanda-t-il.
– Ce n’est pas moi.
– Qui donc, alors ?
– C’est toi.
– Moi ? fit Shoking stupéfait.
– Toi-même, mon cher.
– 6 – – Maître, reprit Shoking, je suis habitué à vous voir faire
des miracles, mais il en est que Dieu lui-même, je crois, ne sau-
rait faire.
– Bah ! fit l’homme gris.
– Non-seulement je n’ai pas de maison de campagne, mais
encore je n’aurai pas de domicile dans Londres demain, car ma
dernière semaine payée à mon boarding expire demain, et…
Shoking s’arrêta.
– Et ? fit l’homme gris, en souriant.
– Et je n’ai plus d’argent, balbutia Shoking, en baissant la
tête.
– Comment, dit l’homme gris, qui se plut à prendre un air
sévère, tu as déjà dépensé les dix livres de lord Palmure ?
La tête de Shoking retomba presque au milieu de sa poi-
trine.
– Dame ! fit-il, j’ai cru que ça ne finirait jamais, et je suis
allé un peu vite.
– Après cela, dit l’homme gris, un mort n’a plus besoin de
domicile.
– Comment un mort ?
– Sans doute.
– Mais je suis bien vivant ! dit Shoking.
– 7 – – Je te prouverai tout-à-l’heure, non-seulement que tu es
mort et qu’il n’y a plus de Shoking en ce monde, mais encore…
– Ah ! par Saint-George, s’écria Shoking, je suis crédule,
maître, mais pas à ce point…
– Attends, tu verras.
Shoking regarda l’homme gris avec une véritable inquié-
tude.
On passait alors auprès d’un réverbère et sa lueur tombait
d’aplomb sur le visage.
– Bon ! dit celui-ci, souriant toujours, tu te demandes si je
ne suis pas fou…
Shoking ne répondit pas.
– Et si au lieu de me suivre à Hampsteadt, tu ne ferais pas
mieux de me conduire à Bedlam ?
– Dame ! fit naïvement Shoking.
– Eh bien ! un peu de patience, mon cher, et tu verras que
tout ce que je t’ai dit est la pure vérité.
Shoking tomba en une rêverie profonde.
La scène récente du cimetière avait quelque peu troublé
son cerveau, et les paroles de l’homme gris achevaient de le con-
fondre.
Mais ce qui l’étonnait peut-être plus encore, c’est que ces
paroles, si étranges qu’elles fussent, n’avaient point paru im-
– 8 – pressionner l’Irlandaise qui, même, avait eu deux ou trois fois
un pâle sourire.
Le cab roula quelque temps encore, puis il s’arrêta.
Alors Shoking mit la tête à la portière et reconnut la mon-
tée des bruyères et la maison de mistress Fanoche.
– Mais vous voyez bien que c’est chez mistress Fanoche
que nous allons, dit-il.
– Tu crois ?
– Pardine, nous voici dans Heathmount.
– C’est vrai.
– Et voilà la maison.
– Descends toujours, tu verras…
En même temps, l’homme gris donna la main à l’Irlandaise
qui sortit du cab, et son fils la suivit.
Shoking les avait imités.
Il demeurait planté sur ses pieds, se demandant pourquoi
l’homme gris, qui s’était toujours montré bienveillant et affec-
tueux, se moquait ainsi de lui.
Cependant l’homme gris, au lieu de se diriger vers la grille
de mistress Fanoche, s’était arrêté à la grille à côté, ce que Sho-
king vit parfaitement, car le brouillard était moins épais à
Hampsteadt qui est sur la hauteur, et un bec de gaz se trouvait
entre les deux habitations.
– 9 – Une chose qui eût encore étonné Shoking, si Shoking eût
pu s’étonner de quelque chose d’ordinaire, après qu’on venait de
lui certifier qu’il était mort, c’est que l’homme gris avait congé-
dié le cab après avoir payé le cocher.
On allait donc rester à Hampsteadt.
Quand l’homme gris eut sonné, Shoking vit une fenêtre de
la maison qui se trouvait au fond du jardin et qui paraissait dé-
serte, s’éclairer subitement.
Peu après le sable du jardin cria sous des pas d’homme et
bientôt la grille s’ouvrit.
Alors Shoking délia sa langue :
– Mais où allons-nous ? dit-il.
– Visiter ta maison de campagne.
– Encore !
– Mais dame ! fit l’homme gris, ai-je donc l’habitude de te
mentir ?
Shoking, ahuri, regarda celui qui venait d’ouvrir la grille.
C’était un vieux domestique en livrée et d’une tenue irré-
prochable.
Il avait une lanterne à la main et s’inclina sans mot dire de-
vant les nouveaux venus.
L’homme gris poussa Shoking devant lui, et, donnant tou-